• Le doyen de la presse Européenne

Marie-Antoinette Maupertuis, Présidente de l’ATC

« Le risque majeur d’une année blanche est loin d’être exclu »
À l’arrêt depuis le début du confinement, la Corse s’apprête à vivre des lendemains très difficiles au niveau économique. De manière sous-jacente, une grave crise succédera à celle liée au Covid-19. Réservations annulées, reports, remboursements, prévisions à la baisse, baisse du pouvoir d’achat, les professionnels du tourisme restent très inquiets quant à l’après coronavirus. Ainsi, les responsables politiques s’attachent, dès à présent, à anticiper. Président de l’ATC et Conseillère Exécutive, Nanette Maupertuis fait le point sur la situation…

Qu’est-il ressorti de la réunion qui s’est tenue en début de semaine dernière entre les élus, le Préfet de Corse et les acteurs du tourisme ?
Faire front commun autour du secteur touristique, principal levier économique de l’île, fut le fil rouge. Il s’agit de sortir par le haut de cette crise sans précédent. D’où ce large consensus qui s’est dégagé pour maintenir le système productif actuel et soutenir dès à présent les professionnels. Car le choc annoncé sera encore plus rude pour la Corse. Je dirais même qu’il s’agira d’un séisme. Chez nous, près de la moitié des entreprises touristiques (plus de 44%) sont familiales et ne dépendent pas de groupes internationaux. Cela accroit donc leur vulnérabilité. Les indépendants vont payer un lourd tribut. Cette donne nous engage un peu plus encore dans l’urgence à agir. Il est impératif de limiter l’ « effet domino » qui pèse sur la chaîne touristique. Des entreprises d’hébergement aux guides-interprètes, en passant par les restaurateurs, les autocaristes et l’ensemble de la filière liée à l’événementiel, la liste est dense. Aussi, notre volonté commune est de donner à chacun les moyens de repartir une fois la crise passée. Sous l’égide de la Collectivité de Corse, 120 millions d’euros d’aides seront débloqués pour soutenir l’ensemble des acteurs économiques. Ces mesures viendront abonder celles mises en place par l’Etat, notamment pour des avances en trésorerie.

Une cellule de crise a été évoquée lors de la réunion. Dans quelle mesure ?
Un suivi particulier du secteur s’impose pour sauver les emplois et attirer, le cas échéant, des clientèles. D’où cette notion de cellule de crise vécue comme un baromètre de l’activité. Un point d’étape sera fait de façon très régulière. Et l’ensemble des acteurs y a toute sa place. C’est aussi une façon de connaître le moment le plus propice au coup d’envoi de la reprise tant souhaitée. L’option d’une « conférence bancaire » entre l’Etat et la Région pourrait être organisée.


Il faut songer, dès à présent, à l’après coronavirus. De quelle manière quand on ignore encore la fin de la période de confinement ?
Confinement et tourisme sont antinomiques. Mais la situation exceptionnelle que nous vivons nous oblige à réfléchir d’ores et déjà à un plan de rebond sur notre territoire. Il en va de notre responsabilité d’être prêts. Bien sûr, des incertitudes demeurent. Les vacances d’été sont-elles déjà perdues ? Y-a-t-il un risque d’ « année blanche » ? A quoi ressemblera la reprise ? Cette crise économique est étroitement corrélée à la crise sanitaire. Et pour l’heure, aucune date butoir n’est communiquée ce qui laisse la filière dans l’expectative. Les professionnels passent leur journée à gérer les reports, les demandes d’annulation ou de remboursement. Quid, en outre, de l’embauche des saisonniers ? La reprise sera conditionnée aussi bien à l’offre qu’à la demande. Et chacun sait bien que la confiance des ménages sera un élément déterminant pour la suite. Car il y aura un après, fort heureusement. Du côté de l’ATC, nous nous attelons à faire en sorte qu’il soit visionnaire et innovant. Pour cela, une stratégie sur plusieurs niveaux a été actée : le court, le moyen et le long terme. Nous mettons en place une campagne de communication exceptionnelle, une campagne commerciale et une politique d’investissement conséquente. Sans oublier deux grands projets structurants à dimension européenne que nous pilotons: « wintermed » (La Méditerranée en hiver) et « A via San Martinu » (itinéraire culturel lié à Saint Martin). Ces deux projets misent sur la « dessaisonalisation », un créneau sur lequel repose l’avenir du tourisme insulaire.


« Le scénario d’un pic de consommation euphorique post-confinement semble aujourd’hui peu probable. »


Quelles modalités en cas de reprise ?
Le scénario d’un pic de consommation euphorique post-confinement semble aujourd’hui peu probable. Actuellement l’ampleur de la crise sanitaire est telle que la prudence est de mise. Une fois le confinement levé, la modalité envisagée est plutôt celle d’une réticence prolongée. Le comportement des touristes va donc changer. La tendance actuelle repose sur des vacances pas loin et pas chères. C’est ce qui ressort des nombreuses études diligentées en Corse comme sur l’ensemble du territoire national. Fait notable : La proximité du lieu de villégiature. Autrement dit, des Français qui prennent moins l’avion, restent dans un environnement ultra local. Et un volume de vacanciers étrangers qui devrait décroitre de façon significative. Voilà brossé à grands traits le modèle touristique post-coronavirus. Entraînant dans son sillage, une reconfiguration inédite du paysage concurrentiel. Le marché sera, à n’en pas douter, Franco-français. Dans ce droit fil, certains songent déjà à repenser le produit, l’architecture tarifaire, voire nouer des partenariats inédits. Quoi qu’il en soit, la seule modalité est d’aller de l’avant.

Peut-on parler de « saison blanche » ? Quels chiffres concernant les réservations et les annulations ?
Le risque majeur d’une année blanche est loin d’être exclu. D’autant que les Italiens, durement frappés par la crise sanitaire, constituent la première clientèle étrangère de la Corse. Leur venue à court terme n’est guère envisageable. En Corse, comme ailleurs, ce coup d’arrêt brutal de l’activité touristique risque d’entrainer des conséquences sur le long terme. Les professionnels le savent déjà : la convalescence prendra du temps. Les chefs d’entreprises évoquent des perspectives inquiétantes. En montagne, les opérateurs ont perdu la fin de la saison d’hiver. Perdues aussi, les vacances de pâques, qui traditionnellement donnent le coup d’envoi de la saison. Au niveau national, mai et juin ne s’annoncent guère mieux : -75 et -60%. Selon une enquête de l’ATC, 40% des entreprises du secteur envisagent de ne pas ouvrir avant le mois de juin... Sur les mois cruciaux de juillet et août, les professionnels anticipent à minima une baisse du chiffre d’affaires de -30 à -40%. A cela s’ajoutera inéluctablement une baisse importante du pouvoir d’achat. C’est la raison pour laquelle le Conseil Exécutif a fait remonter au gouvernement des demandes fortes d’exonérations totales de charges. La finalité étant de se préparer à la relance. Afin de reprendre un bon cap dès qu’il y aura l’accalmie.

La corse, où le tourisme reste le secteur économique le plus important, s’en remettra-t-elle ?
Toute l’économie de La Corse dépend de la vigueur des flux touristiques. Avec 24% du PIB sur notre île (hors transports) contre 7% (moyenne nationale), le tourisme s’impose comme la clé de voûte. Il draine chaque année dans son sillage 3 millions de touristes, 35 millions de nuitées, génère 2,5 milliards d’euros et représente un emploi sur 5. On parle alors « d’économie non délocalisable ». Derrière les chiffres, une autre réalité : une faible démographie en Corse. Mais aussi l’absence de marché intérieur. Aussi, cette très forte spécialisation du secteur touristique crée forcément une très large vulnérabilité vis-à-vis des chocs dits « exogènes » comme l’est le coronavirus. Dans les mois et les années à venir, cette crise doit nous inciter à opérer une transition forte de notre économie. Nous devrons construire une offre touristique plus diversifiée et innovante. Plus rien ne sera comme avant. L’heure est sans doute venue de songer ensemble à un nouveau modèle. A condition de la vouloir, l’aggiornamento est à portée de mains.

L’exécutif Corse et l’ADEC vont-ils prendre des mesures autres que celles de l’Etat pour aider les entreprises Corses ?
Le tissu économique de l’île est constitué de PME et de TPE. C’est une autre particularité. Aussi, des mesures complémentaires et spécifiques à la Corse sont nécessaires. Parallèlement au dispositif Etatique général, tout un travail est mené avec le Conseil Exécutif de Corse et l’ADEC pour dégager des aides en trésorerie très rapide. Ill est impératif de soutenir le porte-monnaie des entreprises. Ces aides se concrétiseront notamment par des avances sur trésorerie avec le soutien de la CADEC. Mais aussi un fonds de 10 millions d’euros financé par la Collectivité de Corse et la CCI Régionale. L’objectif est de soutenir un prêt à taux zéro via les banques. A la clé, un effet levier de 120 millions d’euros.


Quelles mesures l’ATC va-t-elle prendre ? Doit-elle en fonction de la situation revoir sa stratégie ?
Nous allons déployer un dispositif de 3,8 millions d’euros dans une campagne de communication exceptionnelle. Objectif : préserver les parts de marché de la destination Corse fréquentée à 75% par les touristes venant de l’hexagone. Une campagne commerciale sera également lancée. Quant au reste, rien n’est gravé dans le marbre. L’ATC sera à l’écoute. D’autres mesures peuvent être décrétées en fonction des nouvelles informations. Car cette crise nécessite une vraie coordination de tous les acteurs touristiques. Et je souhaite mener la nécessaire synergie qui s’impose.
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