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Catalogne : la langue à l'épreuve des magistrats et de la droite

Le statut d'une langue régionale est toujours menacé car il reste soumis au bon vouloir des institutions du pouvoir central

Catalogne : la langue à l’épreuve des magistrats et de la droite

Le statut d’une langue régionale est toujours menacé car il reste soumis au bon vouloir des institutions du pouvoir central.



Selon un sondage réalisé en 2018 par l’Institut d’Estadística de Catalunya (organisme de la Generalitat de Catalunya) : côté territoire espagnol, 52,7% des habitants déclaraient « avoir pour langue maternelle » le castillan (31,5 % le catalan), 46,6% considéraient le castillan comme « langue d’identification » (36,3% le catalan), 48,6% désignaient le castillan comme « principale langue d’usage » (36,1% le catalan).
La prédominance du castillan, la langue officielle de l’État espagnol, qui a ainsi été constatée s’explique aisément. Le régime franquiste a combattu durant plus de quarante ans les spécificités locales. La puissance économique de la Catalogne attire, depuis des décennies, des populations pauvres originaires du reste de l’Espagne et des immigrés pour lesquels le castillan représente la langue du pays d’accueil, de l’intégration et de la promotion sociale. Enfin la Catalogne n’échappe pas à la standardisation culturelle et linguistique.

L’enseignement immersif en catalan qui existe, depuis les années 1980, dans le système éducatif, permet certes que la jeunesse catalane accède à une connaissance du catalan, mais cela ne suffit manifestement pas à assurer à ce dernier un équilibre d’usage et de prestige avec le castillan. Une récente décision du Tribunal Suprême espagnol n’aidera sans doute pas à ce que la catalan devienne l’égal du castillan. En effet, les magistrats de la plus haute juridiction espagnole ont, le 23 novembre dernier, confirmé une décision de justice qui ordonnait qu’il soit fait usage du castillan dans 25 % des cours dispensés hebdomadairement dans les établissements scolaires catalans du primaire et du secondaire. Les indépendantiste catalans dénoncent d’ores et déjà un « harcèlement politique, médiatique et judiciaire » qui « conforte la cruauté de la répression envers l’identité catalane ». Le ministre de l’Éducation de la Generalitat de Catalunya a appelé les établissements scolaires concernés à « ne pas modifier leurs plans linguistiques ».


Vers un « 155 linguistique » ?


La droite espagnole a immédiatement réagi. Le Parti Populaire, principale formation d’opposition au gouvernement socialiste au pouvoir à Madrid, a demandé que soit appliqué un « 155 linguistique » si la Generalitat persistait à rejeter la décision du Tribunal Suprême (155, référence à l’article de la Constitution espagnole qui permet au pouvoir central de prendre des dispositions coercitives lorsqu’une région se rebelle, article utilisé en 2017 à la suite de la déclaration d’indépendance prononcée par la Generalitat de Catalunya).
Le gouvernement socialiste est quant à lui dans l’embarras. En effet, c’est un texte dont il a été l’initiateur (loi Celaá, du nom de la ministre de l’Éducation qui l’a élaborée) qui, l’an passé, a supprimé la qualité de « langue véhiculaire » du castillan dans les écoles catalanes et ainsi provoqué la colère du centre et de la droite. Les partis ont dénoncé une inéluctable « élimination du castillan ». Le quotidien conservateur madrilène ABC a surenchéri : « Avec le temps va s’étioler le principe qui donne à tous les Espagnols le droit et le devoir de connaître leur propre langue officielle. » De la colère et de la surenchère est issu le recours qui a donné lieu à la décision du Tribunal Suprême du 23 novembre dernier.
Pourquoi le gouvernement socialiste a-t-il pris le risque de provoquer une guerre linguistique sur le terrain miné catalan ? Il a cédé à des considérations politiciennes : ne disposant pas d’une majorité parlementaire absolue, il a agi pour obtenir le soutien vital des indépendantistes catalans siégeant aux Cortès (Parlement espagnol).

Un enseignement majeur peut être tiré de tout cela : le statut d’une langue régionale est toujours menacé car il reste soumis au bon vouloir des institutions du pouvoir central. Deux personnalités bien différentes l’ont d’ailleurs souligné. « L’Espagne tente depuis des siècles de liquider le catalan. Elle n’a jamais abandonné cette obsession. Nous n’avons qu’une chance de sauver la langue : matérialiser l’indépendance que nous avons proclamée »et « Chaque fois, nous sommes obligés de construire pierre à pierre l’édifice pour pouvoir enseigner nos langues. Et, de temps en temps, quelqu’un essaie d’en saper les fondations »ont en son temps respectivement constaté Carles Puigdemont, l’ancien Président toujours en exil de la Generalitat de Catalunya, et Paul Molac, le député français, inlassable défenseur de toutes les langues régionales de France.



Alexandra Sereni




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