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Fabrique de théâtre bastiaise

Le Liban à l'honneur

Fabrique de théâtre bastiaise
Le Liban à l’honneur

Hôte d’honneur de la Fabrique de Théâtre bastiaise ce soir-là : De Gaulle Eid, réalisateur du film documentaire, « Chou Sar » (Que s’est-il passé n ?) et producteur de la fiction, « Good morning » du cinéaste libanais, Bahij Hojeij.

« Chou Sar »,
sorti sur les écrans il y a plus de dix ans n’a pas pris une ride. « Chou Sar » et toujours le même coup de poing dans la gueule. « Chou Sar » ou ces images fruit de la quête d’un homme qui a vu treize membres de sa famille exterminés sous ses yeux dans son village natal d’Edbel, au nord Liban, le 9 décembre 1980. Une quête pour savoir comment cette horreur a pu survenir, horreur perpétrée par des voisins de toujours. A l’époque le cinéaste avait dix ans ! Sa survie il la doit à son réflexe d’avoir fait semblant d’être mort…

Le film part de Venaco où De Gaulle Eid s’est établi. Le Venacais dont la géographie offre d’étonnantes ressemblances avec les paysages montagneux du Liban. « Chou Sar » nous donne alors en cadeau une séquence bouleversante avec Jacky Micaelli participant à une fête de la belle-famille du réalisateur. Moment magique.

A Beyrouth et à l’intérieur du Liban le cinéaste nous emmène sur les traces de ceux qui ont vécu le malheur… Proches parents. Cousins éloignés. Témoins. Jeunes et anciens disent leur ressenti : colère ou insondable affliction. Certains, ne s’en cachent pas, veulent refermer la page du carnage. Mais est-ce possible ou simplement réaliste ? Certains sont retournés à Edbel et se sont fracassés sur la vision des murs noircis par les flammes de l’incendie des lieux et par les voix des massacrés. De Gaulle Eid reconstitue le déroulement de l’attaque dont ont été victimes les siens. A chaque esquisse de réponse survient immédiatement de nouvelles questions ! Qui a fomenté cet assassinat collectif ?

Les exécutants sont connus, mais qui les a poussés à ce carnage ? Pour quels mobiles véritables ? Pour quelles raisons sous-jacentes ? Au terme de son investigation à Edbel le réalisateur ne trouve plus qu’une maison des morts ! Vide de vie. Hantée par des destins tragiques. Soudain… des voix de gamins. Soudain… du linge qui sèche. Soudain… une silhouette replète et impavide. La caméra reste braquée sur un individu plutôt âgé. Le tête-à-tête dure. Et en off : « Comment oublier l’assassin de ma mère ? » Terrible confrontation.

« Good morning » de Bahij Hojeij est d’un tout autre registre. C’est une comédie fine et délicate qui met en scène deux vieux amis. L’un ex-général et musulman. L’autre ex-médecin et chrétien. Les deux vieux passent leur matinée à l’entresol d’un café de Beyrouth. Cadre sympathique, illuminé par une jeune serveuse. A l’affiche du film deux comédiens sublimes : Gabriel Yammine et Adel Chahine. Entre eux des échanges nostalgiques et drôles. « Good morning » est pétri d’humanité…Ça fait du bien !

Michèle Acquaviva-Pache


                        ENTRETIEN AVEC DE GAULLE EID


Comment l’enfant que vous étiez a-t-il réagi psychologiquement, moralement, physiquement au massacre de votre famille ?
Enfant on a conscience de certaines choses … et pas d’autres ! On est porté par la survie. On efface les images du carnage. On se rappelle les bons moments avec ses parents…


Dans votre cas peut-on parler de résilience ?
Certainement. Il faut dépasser ce qu’on a vécu, aller au-delà du malheur. Chez moi ce travail de résilience s’est fait seul, en me parlant beaucoup à moi-même. Ce qui m’a aidé c’est d’avoir été bien entouré par les miens et au collège. Avec un tel vécu on ne peut tenir que grâce à son entourage. Et puis à l’époque la société libanaise savait ce qu’était l’entraide. Elle n’était pas individualiste.


A Liban vous parlez de démocratie communautaire. Est-ce parce que le fonctionnement de l’Etat repose sur les religions : maronite, sunnite, chiite, et autres ?
Le fonctionnement des institutions prend en compte les 18 communautés qui cohabitent au Liban et accorde une place à chacune d’elles dans l’Etat. Ce qui est affreux aujourd’hui c’est que de compromis en compromis on est dans une totale situation de blocage. La classe politique est à changer car elle ne se renouvelle pas. Aux dernières élections législatives il n’y a eu que 15 élus nouveaux sur 128. Cette classe politique vieillie est en outre influencée par divers pays étrangers. Autre impératif : désarmer le Hezbollah, étroitement lié à l’Iran et à la Syrie d’Assad, mouvement qui est mieux équipé et entrainé que l’armée libanaise et qui est intervenu directement dans la guerre en Syrie.


Vous soulignez dans les discussions autour de « Chou Sar » que le massacre de votre famille est le fait d’un clan. Qu’entendez-vous par ce mot ?
Au Liban la mentalité claniste remonte à l’Empire ottoman. Les partis politiques sont dirigés par des chefs de clan, agrégats de parentèles. Dans mon village du nord on est chrétiens partagés entre phalangistes, pro occidentaux – les miens - et membres du parti progressiste social syrien, prônant l’union des arabes du Croissant fertile. Ce parti est proche de la Syrie et donc du Hezbollah. Foncièrement anti-israélien son idéologie est pratiquement néonazie. Entre phalangistes et nationalistes pro-syriens s’est développée une haine féroce qui date des années 50 lorsqu’un des chefs nationalistes syriens a été abattu. Qui a poussé à éliminer en sous -main les miens, je m’interroge ? On s’est servi du clan comme couverture de même que de la présence de l’armée syrienne stationnée alors au nord Liban.


Vous dénoncez l’armistice générale décrétée en 1993. Pour quels motifs ?
Parce qu’elle a été décrétée d’en-haut, sans discussion avec le peuple. Le parlement a voté cette amnistie et le président l’a paraphée. En fait, les parlementaires, auteurs de crimes de guerre, se sont amnistiés eux-mêmes !


L’horreur dont a été victime votre famille a-t-elle joué un rôle dans votre vocation de cinéaste ?
On me pose souvent la question. Avant le carnage je me passionnais déjà pour le théâtre et les films diffusés par la TV. Je faisais des imitations… Comme dans mon engagement de cinéaste je dénonce la haine et la violence, mon malheur a en quelque sorte affirmé ma vocation.


Était-il impossible pour vous de rester au Liban ?
Tout est possible dans la vie qui peut prendre des tournants bizarres. Deux de mes frères étaient à Aix-en-Provence, je les ai rejoints. C’est le destin… On ne contrôle rien !


En quoi le mélange clan-politique-religion est-il un cocktail explosif ?
Depuis la nuit des temps le politique et le religieux sont associés. En France, pays laïc, une certaine influence de l’Eglise demeure, même si elle est mesurée par les institutions. Il n’en va pas de même au Liban où la laïcité n’existe pas pour instiller une dose de modération.


Vous êtes réalisateur et également producteur de cinéma. Comment retenez-vous les sujets qui vous sont présentés ?
Comme producteur je suis attiré par les thématiques qui mêlent ma culture et celles des autres et je suis mû par mes convictions sociales et politiques. Je pense que pour qu’une société avance et que progresse son ouverture d’esprit il faut de l’universalisme dans tous les sujets, y compris les plus particuliers.


Vos projets ?
Comme producteur je termine deux longs-métrages documentaires. L’un sur le Haut-Karabagh qui traite de la guerre de 2020 et de ses conséquences. La réalisatrice est une Arménienne d’Erevan. L’autre tourné en 16 mn par une réalisatrice sarde, est filmé au nord-ouest de la Sardaigne, avec pour thématique, la mémoire des lieux. Par ailleurs je coproduis avec Marie Drucker un film sur trois résistantes dont Danielle Casanova. En tant que réalisateur je suis en train d’écrire un long-métrage de fiction.

Propos recueillis par M.A-P
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