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Maître Dupond-Moretti : grand ministre ou petit courtisan ?

Il est opportun d’évaluer au plus vite l’influence et la force conviction du nouvel occupant avec titre de l’Hôtel de Bourvallais.
Depuis l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, l’État continue d’exercer une pression policière, judiciaire et administrative sur de nombreux nationalistes (interpellations, poursuites, condamnations). Les militants restant emprisonnés et ceux ayant recouvré la liberté durant ces dernières années ne sont pas épargnés. Il apparaît même que les nationalistes emprisonnés sont plus durement traités que la plupart des détenus «radicalisés». En effet, alors que plusieurs de ces derniers, prévenus ou condamnés en fin de peine, ont bénéficié de mises en liberté pour réduire la surpopulation carcérale (dans le cadre de la prévention de la transmission du Covid19), les nationalistes corses ont été exclus de ces mesures car étant assimilés à des terroristes. Les nationalistes emprisonnés ou récemment libérés ont par ailleurs été confrontés à des prélèvements financiers exercés par le Fonds de garantie des victimes du terrorisme et le Trésor Public, ainsi qu’a des inscriptions au Fichier national des personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes, au Fichier national automatisé des empreintes génétiques ou pire encore au Fichier des auteurs d'infractions terroristes. C’est à juste raison que, lors d’une récente conférence de presse, l’Associu Patriottu a souligné : « Le succès des élections territoriales de 2015 et 2017, ce que pudiquement d'aucuns ont appelé l'accession aux responsabilités, n'a pas pour le moment et dans les rapports Corse-France, imposé des avancées significatives sur le plan anti-répressif, à l'inverse des périodes 1981-1982 et 1989-1990 avec alors une organisation forte de la Lutte de Libération Nationale.»

Un bel à propos

Tout en faisant ce constat d’une absence d’avancées, et d’ailleurs rejoint en cela par l’Associu Sulidarità, Patriottu a décidé d’oser le pragmatisme. Il a demandé audience à Maître Dupond-Moretti qui, à l’occasion du tout récent remaniement ministériel, a été nommé Garde des Sceaux. Cette initiative relève d’un bel à propos. Maître Dupond-Moretti n’est autre que l’avocat qui a obtenu en appel l'acquittement d’un militant qui était accusé d’avoir contribué à l’action du commando Erignac (cellule intellectuelle) et avait été lourdement condamnés en première instance. Il est aussi l’avocat qui, à l’occasion du troisième procès d’Yvan Colonna et à la demande de ce dernier, a accepté de se joindre à la défense et plaidé l’acquittement. Enfin, il est l’avocat qui, à l’occasion de différentes interviews, a évoqué la nécessité d’un rapprochement des militants corses emprisonnés et dit être favorable à une amnistie. Considérant tout cela, il est effectivement opportun d’évaluer au plus vite l’influence et la force conviction du nouvel occupant avec titre de l’Hôtel de Bourvallais. Est-il en mesure d’obtenir la levée du statut de DPS (Détenu Particulièrement signalé) qui empêche toute possibilité de rapprochement vers la prison de Borgo d’Yvan Colonna, Pierre Alessandri, Alain Ferrandi ? Aura-t-il le courage de contribuer à faire accepter la lubération conditionnelle d’Yvan Colonna (libérable à partir de 2021) dont il avait plaidé l’innocence et demandé acquittement ? A-t-il l’étoffe d’un autre grand nom du Barreau lui aussi devenu Garde des Sceaux, Robert Badinter, ce qui pourrait en faire le promoteur et l’acteur d’une loi d’amnistie. Ces challenges sont certes de taille mais les relever ou non contribuera à révéler si Maître Dupond-Moretti est de la veine des grands ministres ou des petits courtisans.

En présence d’un nœud gordien

Agir sera certes difficile. Il faudra que Maître Dupond-Moretti ose affronter le lobby des préfets qui cultive un esprit de vendetta à l’encontre des membres du commando Erignac et un Emmanuel Macron qui avait déclaré «non plaidable» la cause d’Yvan Colonna. Concernant l’amnistie, s’il ose la proposer, il devra compter avec un calendrier électoral qui incitera son camp, la droite et l’extrême-droite à critiquer vertement son initiative. Maître Dupond-Moretti sera donc en présence d’un nœud gordien : se hisser, au risque d’être démis, au rang d’un Robert Badinter qui a été jusqu’au bout de son combat contre la guillotine et a su convaincre de la supprimer un François Mitterrand qui en avait soutenu l’usage contre les nationalistes algériens, ou se satisfaire de n’être qu’un ministre de plus. S’il n’ose pas au moins proposer l’amnistie, il pourra alors être rappelé à Maître Dupond-Moretti que la République a plusieurs fois recouru à cette pratique qui, d’une part, instaure un oubli collectif et juridique d’actes, même horribles, commis dans le cadre de la lutte politique et, d’autre part, créé les conditions d’un apaisement durable. La terrible guerre d’Algérie a eu son amnistie. La question corse, heureusement bien moins douloureuse que l’algérienne, a elle aussi donné lieu à des amnistie. La première, au début des années 1980. La deuxième à l’approche des années1990. Ces trois amnisties avaient un point commun, elles parachevaient et consolidaient des avancées politiques (indépendance de l’Algérie, pardon accordé aux partisans de l’Algérie française, statut Defferre, statut Joxe). Alors Maître Dupond-Moretti, serez-vous l’artisan de la consolidation de l’arrêt de la lutte clandestine et du début d’un nouveau dialogue, ou au moins essaierez-vous de l’être ?
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