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BD à Bastia , Prix des Lycéens

<< Perpendiculaire au soleil >>, lutter......

BD à Bastia, Prix de Lycéens

« Perpendiculaire au soleil », lutter…



Il est de livres qu’on referme à la dernière page… mais qu’on ne quitte pas tant ils s’enracinent en vous… « Perpendiculaire au soleil » de Valentine Cuny-Le Callet est de ceux-là. Cette bande dessinée a reçu le Prix de Lycéens lors du dernier festival, « BD à Bastia ». Des planches originales de cette œuvre sont exposées à la Galerie Noir et Blanc. Dessins, gravures, gouaches méritent le détour car elles sont l’écho d’un combat essentiel.



« Perpendiculaire au soleil » déploie une esthétique foisonnante de diversité alliant réalisme et onirisme. Le livre décrit des faits dans leur âpreté et s’évade dans l’imaginaire, dans le rêve sans sombrer dans des illusions faciles. Il y a un côté hugolien dans cet ouvrage qui nous conte l’histoire de Renaldo. Arrêté à 18 ans. Condamné à 20 ans à la peine capitale. Parqué dans une cage de 5 mètres carrés dans le couloir de la mort d’une prison de Floride. Un quotidien de folie depuis 2008. Pas de fenêtre, seulement l’éclairage électrique. Mais l’obstination de Renaldo à rester debout. A se cultiver, même s’il doit se priver de nourriture.

Renaldo, Valentine Cuny-Le Callet a commencé à lui écrire en 2016. Elle, ardente abolitionniste de la peine de mort depuis toujours. A l’époque la bédéiste a 19 ans. Hasard ? Chance ? Son correspondant partage son goût pour le dessin qu’il n’a cessé de développer malgré son incarcération. A quatre mains ils vont peu à peu écrire un récit impressionnant, flamboyant d’où le pathos est exclu car il se déroule sous le signe du combat pour la dignité humaine, y compris dans les conditions déshumanisantes qui sont celles du prisonnier.

Dans le livre, seul Renaldo s’exprime avec la couleur parce qu’elle éclaire ses ténèbres. Il est parfois plein d’humour comme lorsqu’il taquine Valentine en lui envoyant une carte où il la voit en Betty Boop ! Ses textes savent la sensibilité et ont des résonances poétiques déchirantes. « Perpendiculaire au soleil » dénonce le racisme systémique sévissant aux Etats-Unis. Il rappelle ces crimes épouvantables perpétrés contre les noirs – les lynchages en particulier – ainsi que l’évoque la chanson « Strange fruits » de Billie Holiday. Il dit la lutte pour les droits civiques Il ressuscite la figure d’une Ida. B , femme, noire, journaliste, qui a été une précurseure dans la revendication de la fierté retrouvée des afro-américains. Il restitue la vérité sur le Black Panthers Party. Il revient sur ces terribles mises à mort ratées en prison avec l’épouvantable souffrance qu’elles peuvent provoquer. Il s’attache à la brutalité de la censure pratiquée par l’administration pénitentiaire… Et pourtant cette BD n’a rien de déprimant… Elle requinque cœur, tripes, neurones du lecteur… Vivre c’est combattre !

Michèle Acquaviva-Pache


Vous avez dit justice !
Une autre justice est envisageable : une justice réparatrice. Deux films récents abordent ce sujet : « Les repentis » d’Iciar Bollain, qui met en scène une veuve dont le mari a été tué par l’ETA et qui accepte de rencontrer l’un des assassins et « Je verrai toujours vos visages » de Jeanne Henry.



ENTRETIEN AVEC VALENTINE CUNY-LE CALLET


Pourquoi ce titre, « Perpendiculaire au soleil » ?
Cette expression est la manière de dire de Renaldo qu’il reste debout, qu’il continue à se battre et à voir le meilleur en chaque chose. Ce titre a aussi un côté mystérieux.


Votre sujet est dur. Vous a-t-il été facile de trouver une maison d’édition ?
« Perpendiculaire au soleil » comprend 300 planches réalisées dans la solitude. Je n’ai pensé à trouver un éditeur que lorsque mon projet a été avancé. En 2016 j’avais travaillé dans une société de graphisme proche de Delcourt, un collègue d’alors, que j’ai contacté, m’a donné le nom d’une personne à qui remettre ma BD ce qui a facilité mon initiative.


La peine de mort, depuis quand êtes-vous abolitioniste ?
Si je suis contre la peine capitale, je questionne également tout ce qui touche à l’incarcération, à l’emprisonnement, aux sanctions… Très jeune, en primaire déjà, ces sujets m’interpelaient d’autant plus qu’en regardant, « Les cent photos du siècle », j’étais tombé sur un cliché montrant un condamné sur la chaise électrique… Inoubliable ! J’estime que le système carcéral doit être repensé et qu’il faut examiner toutes les pistes que propose la justice réparatrice.


Avez-vous eu de l’appréhension en expédiant vos premières lettres à Renaldo ?
Je savais que cela pouvait être potentiellement dur… Et puis quand notre correspondance a commencé tout est devenu évident parce qu’on a découvert qu’on avait des atomes crochus et une sensibilité commune… même si on vit des situations opposées : lui, homme noir, élevé dans une famille monoparentale et dans un milieu violent ; moi, blanche, bourgeoise, issue d’une famille unie et ayant fait de hautes études… En somme la chance était avec nous, c’était important car notre correspondance exigeait un très fort investissement humain. Je signale que l’incarcération à l’isolement, comme c’est le cas dans le couloir de la mort, est considérée comme une torture par l’ONU.


Au fil de vos échanges épistolaires quand avez-vous eu l’idée de votre BD ?
Au terme de ma première visite de trois jours à Renaldo en novembre 2017. Cette visite était un choc. J’avais pris beaucoup de notes qui constituait la base d’un récit. Celui-ci a été publié chez Stock sous le titre, « Le monde dans 5 mètres carrés ». Il ne comportait pas de dessin. Ce livre était une urgence pour moi. Ensuite j’ai voulu aller au-delà et incorporer des images de notre correspondance. Pour cette BD je me suis donné du temps car c’était un pied-de-nez à le censure exercée par la prison.


Chez Renaldo qu’est-ce qui vous frappe le plus ?
Sa culture qui est très éclectique. Il a été emprisonné juste après son bac mais il s’est incroyablement cultivé, seul dans sa cellule. Il a préféré acquérir des livres, de la musique plutôt que cantiner. Chez lui chaque morceau de culture correspond à un sacrifice.


Vous faites un procès de la pénitentiaire aux Etats-Unis. Qu’est-ce qui vous révulse le plus ?
Je ne fais pas de procès. Je décris ce qui est. Point besoin d’en ajouter des couches et surtout je ne voulais pas faire un catalogue d’horreurs. Ce qui me révulse le plus c’est la résignation de certains Américains qui pensent, qu’importe les innocents exécutés, puisqu’on conserve notre système ! Pareil pour la vente et le port d’armes…


Où en est la peine de mort aux Etats-Unis ?
Elle est appliquée dans 26 Etats sur 50. Tout dépend des politiciens locaux et de leur degré de démagogie ! Parfois arrivent de bonnes surprises : la Virginie a aboli la condamnation à la peine capitale en 2021… On ne s’y attendait pas !


Correspondre avec un condamné à mort n’est-il pas un défi dans la pratique ?
En Floride, où est emprisonné Renaldo, est tombée une interdiction du courrier papier provenant des personnes de l’extérieur à la prison, en mai 2022. A quelques mois près, notre projet dans sa forme, serait devenu impossible. Maintenant tout est plus compliqué, officiellement pour des raisons de sécurité. Cette décision a des effets catastrophiques. On est obligé de passer par une messagerie payante… Nos envois aux prisonniers ne sont plus transmis que par scan !


Vous avez rencontré les lycéens qui vous ont couronné. Quels ont été vos échanges ?
Ce Prix des Lycéens m’a fait intensément plaisir. Parler avec des jeunes offre des moments précieux où j’apprends autant qu’eux.


Vos vœux à Renaldo ? A vous ?
Renaldo rêve de sortir même si dans le cadre actuel c’est impossible. Il attend pour l’heure sa re-sentence puisqu’il n’a pas été condamné à mort à l’unanimité du jury. Quant à moi j’ai entrepris une thèse d’art plastique à la Sorbonne : « Témoigner et résister dans le couloir de la mort. Contraintes. Censure. Do it yourself » … Ceci sur les arts plastiques dans le contexte qui est celui de Renaldo.

Propos recueillis par M.A-P
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