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Polynésie française : le triomphe d'Oscar Temaru

La victoire des indépendantistes est aussi et pour beaucoup le produit d'une démarche ayant débuté il y a plus de quatre décennies.

Polynésie française :Les indépendanatistes au pouvoir



Le 30 avril dernier, à l’issue du deuxième tour des élections des représentants à l’Assemblée de la Polynésie française, la liste du parti indépendantiste Tāvini huiraʻatira no te ao Māʻohi, communément appelé Tavini huiraatira, a obtenu 44,32 % des suffrages et 38 sièges sur 57. La liste du parti Tapura Huiraatira (autonomiste, soutien et relais de la politique d’Emmanuel Macron) dont le chef de file présidait la Polynésie française depuis neuf ans, n’a totalisé que 38,53 % des suffrages et 16 sièges. Le reste des suffrages (17,16%) et des sièges (3) est allé à la liste du parti A here ia porinetia (autonomiste). Cette victoire est historique car si Oscar Temaru, le leader historique du Tavini huiraatira, a cinq fois accédé à la présidence de la Polynésie française depuis 2004, il n’a jamais pu, faute d’une majorité stable, durer aux commandes le temps d’un mandat. Cette fois le Tāvini huiraʻatira dispose d’une majorité absolue devant permettre de gouverner durant cinq ans. En outre, venant après qu’il ait obtenu, lors des élections législatives de juin 2022, les trois sièges dévolus à la Polynésie française, sa récente victoire place le parti indépendantiste en position de négocier des évolutions institutionnelles et peut-être un référendum d’autodétermination. Le député Moetai Brotherson qui a conduit la liste Tapura Huiraatira entend toutefois temporiser car il sait que sa victoire ne doit pas tout à un choix indépendantiste des électeurs ayant voté pour lui et ses colistiers. Durant la campagne, il avait d’ailleurs axé son discours sur la sauvegarde du pouvoir d’achat et écarté une indépendance rapide : « Je pense qu’on ne peut pas envisager un référendum avant dix ou quinze ans ». Pour l’heure, il semble que cette temporisation incite l’État à opter pour le réalisme, l’écoute et le dialogue. « Les Polynésiens ont voté pour le changement. Le gouvernement prend acte de ce choix démocratique. Nous travaillerons avec la majorité nouvellement élue avec engagement et rigueur, pour continuer d’améliorer le quotidien de nos concitoyens polynésiens » a fait savoir Gérald Darmanin, le très actif et influent ministre de l'intérieur et des Outre-mer.


Polynésie française : le triomphe  d'Oscar Temaru


La victoire des indépendantistes est aussi et pour beaucoup le produit d’une démarche ayant débuté il y a plus de quatre décennies : celle d’Oscar Temaru, figure emblématique de l’indépendantisme, leader du parti Tāvini huiraʻatira.

La victoire du parti indépendantiste Tāvini huiraʻatira peut être qualifiée d’historique. D’abord parce que sa liste a suscité la confiance et le rassemblement. En effet, au deuxième tour, elle a séduit une grande partie des électeurs ayant voté pour les listes éliminées au premier tour. Ensuite parce que ses élus seront en mesure de gouverner durant les cinq prochaines années sans devoir composer avec des alliés ou passer des compromis douloureux avec l’opposition, et pourront ainsi prouver leur capacité de bien gérer et réussir.
En effet, leur liste a obtenu une forte majorité relative en suffrages (44,32 %) et une majorité absolue en sièges (le mode de scrutin assure trois quarts des sièges à la liste arrivée en tête). Enfin parce que la participation a été plus que convenable (69,96 %). Les esprits chagrins ou hostiles aux indépendantistes peuvent certes relever que Tavini huiraatira a bénéficié d’un contexte favorable. Ce qui est en partie vrai car la majorité sortante a été plombée par son positionnement politique, ses erreurs et ses échecs. Elle s’est inscrite dans le camp du Président de la République alors que la popularité de ce dernier et celle de son gouvernement sont au plus bas depuis plusieurs mois. Elle n‘a pas su mettre en valeur un bilan économique jugé convenable par la plupart des observateurs. Elle a fait campagne en se positionnant en « rempart contre l’indépendantisme » alors que la liste Tāvini huiraʻatira assurait que l’indépendance n’était pas une urgence et que l’électorat lui demandait de répondre de sa mauvaise gestion de la crise Covid, de la forte inflation (+ 8,5 % en 2022), de l’instauration d’une nouvelle TVA pour préserver la sécurité sociale locale. Le contexte favorable n’explique cependant pas tout. La victoire indépendantiste de ces derniers jours est aussi et pour beaucoup le produit d’une démarche ayant débuté il y a plus de quatre décennies : celle d’Oscar Temaru, figure emblématique de l’indépendantisme, leader du parti Tāvini huiraʻatira.

Qui est Oscar Temaru ?

Bien qu’étant âgé de 78 ans et affecté par des problèmes de santé, bien que ne s’étant guère exprimé durant la campagne électorale, Oscar Temaru peut légitimement estimer que la victoire du 30 avril représente son triomphe. Mais qui est Oscar Temaru ? L’intéressé est le fondateur et le leader historique du parti Tāvini huiraʻatira. En 1977, en fondant le Front de Libération de la Polynésie ayant pour objectif d’obtenir l'indépendance de la Polynésie française, il a pris la relève de Pouvana'a a Oopa Tetuaapua (1895-1977), surnommé « te Metua » (le Père de la Nation), initiateur du mouvement anticolonialiste en Polynésie française, qui a été député et sénateur. En 1983, le Front de Libération de la Polynésie a pris le nom de Tāvini huiraʻatira no te ao Māʻohi (servir la population de l'univers maohi) et a été communément appelé Tavini huiraʻatira. Oscar Temaru a d’emblée usé d’un grand pragmatisme. Il a mis en avant des revendications plus populaires que celle d’indépendance : arrêt des essais nucléaires, restitution des terres, défense des terres maohi. Il a très vite investi le terrain électoral au niveau communal. Ainsi, en mars 1983, il a été élu maire de Faʻaʻā (ville de 30 000 habitants aujourd’hui, la plus peuplée de toute la Polynésie française, proche de Papeete, la capitale de la Polynésie française). Pour obtenir ce mandat qu’il détient encore, il s’est assuré l'appui de l’ancien maire de la commune Francis Sanford (1912-1996) ; notable qui a successivement été un soutien du centriste Jean Lecanuet, du gaulliste George Pompidou et du socialiste François Mitterrand, qui était opposé à l’implantation du nucléaire « Nous n'étions pas préparés à accueillir en Polynésie le Centre d'expérimentation du Pacifique […] L'installation de ce centre a provoqué un début de crise économique, en entraînant une hausse du coût de la vie et un gonflement de notre budget » ; qui dès la fin des années 1950, revendiquait l’autonomie interne.

L’opposant au système Flosse

Cependant, ce qui a vraiment contribué à façonner la notoriété et l’image de combattant d’Oscar Temaru, fait progresser le parti Tavini huiraʻatira et ancré l’indépendantisme dans le paysage politique et électoral, c’est l’opposition frontale à Gaston Flosse (opposition purement politique car les deux protagonistes entretenaient des relations personnelles cordiales). Plus âgé que son adversaire (né en 1931, aujourd’hui âgé de 92 ans), Gaston Flosse a été, durant plus de quatre décennies (1970-2014), l’homme de Paris, le leader de la droite et la tête d’un système qui a fait la pluie et le beau temps en détenant, souvent dans le cadre de cumuls, les mandats de Président de la Polynésie française, de député, de sénateur. Il a même connu le faîte de la puissance et de l’influence quand, au milieu des années 1980, durant la cohabitation Mitterrand-Chirac, il a été nommé secrétaire d'État au Pacifique Sud. La confrontation entre les deux hommes n’a pris fin que lorsqu’en 2014 Gaston Flosse a été condamné à une peine d’inéligibilité dans le cadre d’une affaire d’emplois fictifs et démis de ses mandats. Cette confrontation s’est déroulée sur fond de progression du parti Tavini huiraʻatira à l’occasion de chaque renouvellement des membres de l'Assemblée de la Polynésie française et aussi sur fond de nouvelles preuves du pragmatisme d’Oscar Temaru. En 1986, le parti Tavini huiraʻatira a obtenu 2 sièges. En 1991, il a conforté sa représentation (4 sièges). En 1996 puis en 2001, il a encore progressé : 9 puis 13 sièges. En 2004, Oscar Temaru a décidé que l’indépendantisme n‘irait pas seul. Il a fait alliance avec d’autres partis (Union Pour la Démocratie). Cela s’est avéré payant. Union Pour la Démocratie l’a emporté, le parti Tavini huiraʻatira a obtenu 23 sièges et Oscar Temaru été élu à présidence de la Polynésie française. Pour la première fois un indépendantiste était aux commandes. Entre 2004 et 2011, au total, Oscar Temaru a été porté cinq fois à la présidence de la Polynésie française et deux fois à celle de l’Assemblée de la Polynésie, et autant de fois contraint de quitter ces postes. Cette instabilité due au mode de scrutin d’alors qui ne permettait pas de dégager des majorités absolues, ne lui à pas laissé la latitude de convaincre. Entre 2011 et ces derniers jours, le parti Tavini huiraʻatira et son leader ont été à l’écart de la gestion de la Polynésie française.

De victoire en victoire

Le rebond est intervenu à l’occasion des élection s législatives de juin 2017. Lors de ce scrutin, dans la troisième circonscription de Polynésie française, Moetai Brotherson, candidat Tavini huiraʻatira, gendre d’Oscar Temaru, a devancé le candidat du parti Tāpura huiraʻatira (parti autonomiste soutenant Emmanuel Macron). En juin 2022, le rebond a été confirmé. Moetai Brotherson a été largement réélu (61,32 % des suffrages exprimés) et dans les deux autre circonscriptions, les deux candidats Tavini huiraʻatira ont défait ceux du parti Tāpura huiraʻatira en obtenant respectivement 50,88 % et 58,9 % des suffrages exprimés. Ce triple succès a représenté le tremplin de la victoire du 30 avril dernier à laquelle Oscar Temaru a fortement contribué en faisant preuve, une fois encore, de pragmatisme. En effet, il a confié à son gendre, plus à même que lui de rassembler large car réputé modéré, le soin de mener la liste des candidats Tavini huiraʻatira à l’élection à l’Assemblée de la Polynésie Française. Le résultat est connu : gagnant ! Et, à l’heure où sont écrites ces lignes, il apparaît plus que probable et même quasiment certain que Moetai Brotherson sera porté à à la présidence de la Polynésie Française .


Une autonomie de plein droit et de plein exercice

La Constitution du 27 octobre 1946 fait de la Polynésie française un territoire d’Outre-Mer. Aux termes de l'article premier de la loi n° 84-820 du 6 septembre 1984, la Polynésie française devient « un territoire d'outre-mer doté de l'autonomie interne dans le cadre de la République». Ses institutions sont constituées du gouvernement du territoire, de l'assemblée territoriale et du comité économique, social et culturel. Un haut-commissaire qui a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois et de l'ordre public, veille à l'exercice régulier de leurs compétences par les autorités territoriales. Avec la loi organique du 12 avril 1996, le territoire de la Polynésie française devient la Polynésie française. L’autonomie est renforcée (compétences supplémentaires notamment en matière économique, possibilité de participer à l'exercice de certaines compétences de l'État, compétences consultatives renforcées, faculté de solliciter l'avis du Conseil d'État pour vérifier la répartition des compétences). La loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 instaure une autonomie de plein droit et de plein exercice : compétence de droit commun à la Polynésie française, compétences d’attribution à l’État recentrées sur les missions régaliennes. En clair : la Polynésie française est compétente dans tous les domaines à l’exception de ceux expressément attribués à l’État (nationalité, droits civiques, droit électoral, état et capacité des personnes, justice, garantie des libertés publiques, politique étrangère, défense, sécurité, ordre public. L'assemblée de la Polynésie française peut voter des « lois du pays » dans le cadre de l'exercice de ses compétences (ces actes relèvent du domaine de la loi), abroger ou modifier des dispositions législatives ou réglementaires qui entrent dans son champ de compétence, adopter des mesures préférentielles en faveur de la population en matière d'emploi ou de protection du patrimoine foncier. Elle peut ainsi définir ses propres règles dans la plupart des domaines, sous réserve du respect des principes généraux inscrits dans les textes formant le bloc constitutionnel ou ceux dégagés par la jurisprudence. La loi organique du 5 juillet 2019 portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française a confirmé que la Polynésie française « se gouverne »
librement et démocratiquement, exerce le pouvoir délibératif et produit des normes juridiques.

Petite sur la terre, grande sur et sous la mer, immense stratégiquement

La Polynésie Française compte environ 300 000 habitants. Elle est composée de 5 archipels regroupant 118 îles (seules 76 sont habitées). Sa superficie terrestre est de 4000 km² (la moitié de la superficie de la Corse). Petite sur terre, la Polynésie Française est grande sur et sous la mer : elle constitue la plus grande surface du domaine maritime français (environ 4,5 millions de km²) ; ses eaux et ses fonds marins représentent une zone économique exclusive (ZEE) riche en ressources halieutiques et minières ; elle est située au cœur de l’Océan Pacifique. C’est dans cela que réside l’enjeu stratégique pour la France de conserver la Polynésie française car, d’une part, la convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 donne aux pays disposant de droits souverains sur les fonds marins, un droit exclusif d’exploration et d'exploitation du sol et du sous-sol ; car, d’autre part, comme l’a souligné en novembre dernier le ministre français des Armées, disposer d’un territoire au centre de l’Océan Pacifique, permet à la France d’être « présente dans une zone au cœur de l’économie-monde » car « c’est en Indo-Pacifique » que « se trouvent cinq des dix plus grands pays commerçants mondiaux » et aussi « les principaux fournisseurs de semi-conducteurs dont l’industrie européenne ne peut se passer ».
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