Dominique Maestrati, réalisateur
" Par la grâce du diable " et de Bonaparte ! Arte Mare
Dominique Maestrati, réalisateur
« Par la grâce du diable » et de Bonaparte !
Le 7 octobre en partenariat avec « Les Nuits Med » le festival bastiais, Arte Mare, projette le film documentaire de Dominique Maestrati, « Par la grâce du diable », diffusé il y a peu sur Via Stella, télévision qui vient aussi de nous offrir une rediffusion de « Bonaparte, côté noir » du même cinéaste. Deux remarquables réalisations.
« Par la grâce du diable » retrace l’histoire d’une fratrie juive née en Roumanie qui comptait sept mains sur dix enfants. Nom de famille ? Ovitz. Caractéristique ? Musiciens, chanteurs, comédiens.
Dans les années 30 ils se produisent sur scène. Ils ont, en effet, formé « La Compagnie Lilliput » qui connait succès et célébrité dans leur pays, en Ukraine, en Tchécoslovaquie, en Hongrie. En tant qu’artistes on les respecte. En tant que juifs on les méprise.
Juifs, ils sont déportés à Auschwitz et tombent entre les mains de Mengele, qui s’adonne sur eux à des expériences comme il en pratique sur les jumeaux car la gémellité le fascine. Il va faire d’eux ses cobayes favoris sous prétexte d’une médecine fallacieuse en les soumettant à des expérimentations traumatisantes et éprouvantes ainsi qu’à des humiliations publiques. Arrêtés en mai 1944, les Ovitz sont libérés par l’Armée rouge début 1945.
Ils échappent aux marches de la mort organisées par les nazis pour vider les camps d’extermination avant l’arrivée des soviétiques. Pendant leur internement les Ovitz se voient octroyer quelques arrangements en leur faveur car ils servent ni plus ni moins que d’animaux de laboratoire qu’il faut préserver le lus longtemps possible. Sauvés par leur infirmité les Ovitz ! Au prix de supplices et de tortures, mais sauvés tout de même… Paradoxe, leur survie ils la doivent à leur bourreau…
« Par la grâce du diable » a également été visionné tout récemment dans le cadre de « Partage » d’expérience » au Lazaret d’Ajaccio où un débat a suivi sa projection.
Un film documentaire à voir absolument pour ne pas se soustraire à l’histoire. Pour la maîtrise du fond et de la forme dont il fait la démonstration. Pour se vacciner contre la vague de racisme qui enfle actuellement.
Michèle Acquaviva-Pache
« Bonaparte, côté noir »
Bonaparte, le 20 mai 1802, rétablit l’esclavage qu’avait aboli la Convention lors de la Révolution Française. « Bonaparte, côté noir » est un travail magistral de Dominique Maestrati parce qu’il fait fi des explications à l’eau de rose voulant que Joséphine soit pour quelque chose dans cette décision.
Bonaparte rétablit l’esclavage pour des raisons économiques et géopolitiques étroitement liées, ainsi que pour asseoir les ambitions impérialistes françaises. Les Caraïbes, à l’époque, c’est de l’or en barre pour la France. Pérenniser cette exploitation implique de caser du Nègre rebelle et la théorisation de la hiérarchie des races qui va se développer.
Le film décortique tous les ingrédients de ce plat répugnant. Toussaint Louverture, le général des insurgés mourra d’épuisement et de froid au Fort de Joux… Mais Haïti finira par gagner son indépendance… Les anciens maîtres ne lui pardonnèrent jamais.
(Ce film documentaire qui inclut des prestations de comédiens bienvenues est visible sur internet).
« Mon film, c’est la victoire de la pulsion de vie »
Dominique Maestrati
Comment vous est venue l’idée d’un film documentaire sur la fratrie Ovitz composée d’artistes de music-hall, juifs et nains, déportés à Auschwitz ?
Séjournant en Roumanie j’ai lu un magazine qui contait l’histoire de cette famille Ovitz qui avait eu du succès entre les deux guerres en Europe centrale et orientale. Sur dix enfants sept étaient nains comme leur père qui était rabbin et boute-en-train.
Dans une Roumanie violemment antisémite, patriarcale, machiste la renommée des Ovitz, dont les filles naines montaient sur scène, n’était pas banale. Déportés, ils avaient survécu aux traitements inhumains de Mengele.
De retour dans leur village ils n’avaient pu que constater qu’on les avait dépouillées de tout. Ils partirent pour Israël où ils durent repartir de zéro.
Pourquoi les épreuves des Ovitz ont-elles été ensevelies dans le silence ?
Une biographie, très tardive, leur a été consacrée. Lors de mes recherches sur internet je n’ai rien trouvé… Je pense que la complexité du sujet a dû rebuter puisque les victimes ont eu la vie sauve grâce à leur bourreau !
Très délicate aussi l’évocation de la question de cette infirmité qu’est le nanisme ?
Dans nos imaginaires et nos mythologies les nains sont associés à la vigueur sexuelle et à la dimension phallique. Il suffit de se reporter à Héphaïstos chez les Grecs anciens ou plus près de nous à Toulouse Lautrec. Mais en même temps les nains suscitent de la crainte, de la peur. Ils sont dérangeants.
Un autre phénomène vous a-t-il incité à tourner « Par la grâce du diable » ?
Une photo, prise en 1943, dans un camp de transit via Auschwitz, a été déterminante. Elle montre un gendarme hongrois observant le groupe des Ovitz en les écrasant de dégoût, tandis qu’eux affichent des regards de tranquille assurance. D’un côté la pulsion de mort du nazisme. De l’autre la pulsion de vie des Ovitz… Mon film, c’est la victoire de la pulsion de vie.
Avez-vous rencontré beaucoup de difficultés pour réaliser ce documentaire ?
J’ai mis sept ans à le boucler ! Les difficultés financières ont, en particulier, été énormes. Ni France 2, ni Arte, ni LCP, ni Histoire ne voulaient du scénario… Or, sans diffuseur c’est le tiers du budget qui manque. Pas d’aide non plus de la part du CNC (Centre national du cinéma). Seule la CDC nous a soutenu. Résultat : on a sorti de l’argent de nos poches. D’où un tournage étalé sur quatre ans.
Les propos de vos intervenants sont pertinents et enrichissants. Ont-ils adhéré immédiatement à votre entreprise ?
Ceux qui apparaissent à l’image disent, en effet, des choses très fortes. Néanmoins un témoin direct m’a opposé un refus catégorique. Cette dame très âgée, juive roumaine, déportée à Auschwitz, reprochait aux Ovitz d’avoir eu un statut particulier. Elle occultait que si Mengele les avait gardés en vie c’était pour ses expériences ! D’ailleurs elle-même n’avait eu la vie sauve que parce qu’elle avait une jumelle … qui, elle, avait succombé. Son attitude relevait de l’affect et non de la raison.
La force des Ovitz ne résidait-elle pas avant tout dans le sentiment d’être de artistes ?
Dans le climat très antisémite de la Roumanie de l’époque ils étaient stigmatisés en tant que juifs et en tant que nains. Leur force bien sûr c’était d’être artistes et reconnus comme tels, mais également d’être toujours restés ensemble de leur naissance en Roumanie à leur fin en Israël.
Votre réaction face au regain actuel de racisme ?
On ne retient pas les leçons de l’histoire.
L’universalisme est en repli si bien qu’on veut se rassurer avec sa petite identité et c’est mortifère. Nous vivons dans un mode inquiétant, pour nous en sortir on doit affronter les problèmes non les fuir, les travestir, ou verser dans le révisionnisme. Il faut expliquer les contradictions et avoir en tête qu’on ne peut se contenter de raisonnements binaires.
Via Stella vient de rediffuser votre documentaire sur Bonaparte et le rétablissement de l’esclavage. La réalisation de ce documentaire est-elle allée de soi ?
« Bonaparte, côté noir » a carrément été blacklisté ! La censure s’est exercée parce qu’on veut voir dans le Ier Consul le continuateur de Pascal Paoli ce qui est pure invention, pur phantasme…
On m’a aussi conseillé amicalement de renoncer à mon projet afin de ne pas écorner l’image de Bonaparte si séduisante au plan touristique… Le bagne voulu en Corse pour enfermer les rebelles vaincus de Saint Domingue (décision de celui qui allait devenir empereur), les gens n’étaient pas très chauds pour en parler.
Bref, ils auraient préféré qu’on n’insiste pas puisque j’avais déjà fait un film sur ce sujet… Aux débuts de mon projet je n’ai pu m’appuyer que sur la chaîne, France O ! Par facilité intellectuelle on ne veut pas croire que les grands hommes ne sont pas complètement positifs.
La trajectoire de Bonaparte montre que, chez lui, il n’y a pas véritablement d’idéologie mais surtout de l’arrivisme…
Propos recueillis par M.A-P
« Par la grâce du diable » et de Bonaparte !
Le 7 octobre en partenariat avec « Les Nuits Med » le festival bastiais, Arte Mare, projette le film documentaire de Dominique Maestrati, « Par la grâce du diable », diffusé il y a peu sur Via Stella, télévision qui vient aussi de nous offrir une rediffusion de « Bonaparte, côté noir » du même cinéaste. Deux remarquables réalisations.
« Par la grâce du diable » retrace l’histoire d’une fratrie juive née en Roumanie qui comptait sept mains sur dix enfants. Nom de famille ? Ovitz. Caractéristique ? Musiciens, chanteurs, comédiens.
Dans les années 30 ils se produisent sur scène. Ils ont, en effet, formé « La Compagnie Lilliput » qui connait succès et célébrité dans leur pays, en Ukraine, en Tchécoslovaquie, en Hongrie. En tant qu’artistes on les respecte. En tant que juifs on les méprise.
Juifs, ils sont déportés à Auschwitz et tombent entre les mains de Mengele, qui s’adonne sur eux à des expériences comme il en pratique sur les jumeaux car la gémellité le fascine. Il va faire d’eux ses cobayes favoris sous prétexte d’une médecine fallacieuse en les soumettant à des expérimentations traumatisantes et éprouvantes ainsi qu’à des humiliations publiques. Arrêtés en mai 1944, les Ovitz sont libérés par l’Armée rouge début 1945.
Ils échappent aux marches de la mort organisées par les nazis pour vider les camps d’extermination avant l’arrivée des soviétiques. Pendant leur internement les Ovitz se voient octroyer quelques arrangements en leur faveur car ils servent ni plus ni moins que d’animaux de laboratoire qu’il faut préserver le lus longtemps possible. Sauvés par leur infirmité les Ovitz ! Au prix de supplices et de tortures, mais sauvés tout de même… Paradoxe, leur survie ils la doivent à leur bourreau…
« Par la grâce du diable » a également été visionné tout récemment dans le cadre de « Partage » d’expérience » au Lazaret d’Ajaccio où un débat a suivi sa projection.
Un film documentaire à voir absolument pour ne pas se soustraire à l’histoire. Pour la maîtrise du fond et de la forme dont il fait la démonstration. Pour se vacciner contre la vague de racisme qui enfle actuellement.
Michèle Acquaviva-Pache
« Bonaparte, côté noir »
Bonaparte, le 20 mai 1802, rétablit l’esclavage qu’avait aboli la Convention lors de la Révolution Française. « Bonaparte, côté noir » est un travail magistral de Dominique Maestrati parce qu’il fait fi des explications à l’eau de rose voulant que Joséphine soit pour quelque chose dans cette décision.
Bonaparte rétablit l’esclavage pour des raisons économiques et géopolitiques étroitement liées, ainsi que pour asseoir les ambitions impérialistes françaises. Les Caraïbes, à l’époque, c’est de l’or en barre pour la France. Pérenniser cette exploitation implique de caser du Nègre rebelle et la théorisation de la hiérarchie des races qui va se développer.
Le film décortique tous les ingrédients de ce plat répugnant. Toussaint Louverture, le général des insurgés mourra d’épuisement et de froid au Fort de Joux… Mais Haïti finira par gagner son indépendance… Les anciens maîtres ne lui pardonnèrent jamais.
(Ce film documentaire qui inclut des prestations de comédiens bienvenues est visible sur internet).
« Mon film, c’est la victoire de la pulsion de vie »
Dominique Maestrati
Comment vous est venue l’idée d’un film documentaire sur la fratrie Ovitz composée d’artistes de music-hall, juifs et nains, déportés à Auschwitz ?
Séjournant en Roumanie j’ai lu un magazine qui contait l’histoire de cette famille Ovitz qui avait eu du succès entre les deux guerres en Europe centrale et orientale. Sur dix enfants sept étaient nains comme leur père qui était rabbin et boute-en-train.
Dans une Roumanie violemment antisémite, patriarcale, machiste la renommée des Ovitz, dont les filles naines montaient sur scène, n’était pas banale. Déportés, ils avaient survécu aux traitements inhumains de Mengele.
De retour dans leur village ils n’avaient pu que constater qu’on les avait dépouillées de tout. Ils partirent pour Israël où ils durent repartir de zéro.
Pourquoi les épreuves des Ovitz ont-elles été ensevelies dans le silence ?
Une biographie, très tardive, leur a été consacrée. Lors de mes recherches sur internet je n’ai rien trouvé… Je pense que la complexité du sujet a dû rebuter puisque les victimes ont eu la vie sauve grâce à leur bourreau !
Très délicate aussi l’évocation de la question de cette infirmité qu’est le nanisme ?
Dans nos imaginaires et nos mythologies les nains sont associés à la vigueur sexuelle et à la dimension phallique. Il suffit de se reporter à Héphaïstos chez les Grecs anciens ou plus près de nous à Toulouse Lautrec. Mais en même temps les nains suscitent de la crainte, de la peur. Ils sont dérangeants.
Un autre phénomène vous a-t-il incité à tourner « Par la grâce du diable » ?
Une photo, prise en 1943, dans un camp de transit via Auschwitz, a été déterminante. Elle montre un gendarme hongrois observant le groupe des Ovitz en les écrasant de dégoût, tandis qu’eux affichent des regards de tranquille assurance. D’un côté la pulsion de mort du nazisme. De l’autre la pulsion de vie des Ovitz… Mon film, c’est la victoire de la pulsion de vie.
Avez-vous rencontré beaucoup de difficultés pour réaliser ce documentaire ?
J’ai mis sept ans à le boucler ! Les difficultés financières ont, en particulier, été énormes. Ni France 2, ni Arte, ni LCP, ni Histoire ne voulaient du scénario… Or, sans diffuseur c’est le tiers du budget qui manque. Pas d’aide non plus de la part du CNC (Centre national du cinéma). Seule la CDC nous a soutenu. Résultat : on a sorti de l’argent de nos poches. D’où un tournage étalé sur quatre ans.
Les propos de vos intervenants sont pertinents et enrichissants. Ont-ils adhéré immédiatement à votre entreprise ?
Ceux qui apparaissent à l’image disent, en effet, des choses très fortes. Néanmoins un témoin direct m’a opposé un refus catégorique. Cette dame très âgée, juive roumaine, déportée à Auschwitz, reprochait aux Ovitz d’avoir eu un statut particulier. Elle occultait que si Mengele les avait gardés en vie c’était pour ses expériences ! D’ailleurs elle-même n’avait eu la vie sauve que parce qu’elle avait une jumelle … qui, elle, avait succombé. Son attitude relevait de l’affect et non de la raison.
La force des Ovitz ne résidait-elle pas avant tout dans le sentiment d’être de artistes ?
Dans le climat très antisémite de la Roumanie de l’époque ils étaient stigmatisés en tant que juifs et en tant que nains. Leur force bien sûr c’était d’être artistes et reconnus comme tels, mais également d’être toujours restés ensemble de leur naissance en Roumanie à leur fin en Israël.
Votre réaction face au regain actuel de racisme ?
On ne retient pas les leçons de l’histoire.
L’universalisme est en repli si bien qu’on veut se rassurer avec sa petite identité et c’est mortifère. Nous vivons dans un mode inquiétant, pour nous en sortir on doit affronter les problèmes non les fuir, les travestir, ou verser dans le révisionnisme. Il faut expliquer les contradictions et avoir en tête qu’on ne peut se contenter de raisonnements binaires.
Via Stella vient de rediffuser votre documentaire sur Bonaparte et le rétablissement de l’esclavage. La réalisation de ce documentaire est-elle allée de soi ?
« Bonaparte, côté noir » a carrément été blacklisté ! La censure s’est exercée parce qu’on veut voir dans le Ier Consul le continuateur de Pascal Paoli ce qui est pure invention, pur phantasme…
On m’a aussi conseillé amicalement de renoncer à mon projet afin de ne pas écorner l’image de Bonaparte si séduisante au plan touristique… Le bagne voulu en Corse pour enfermer les rebelles vaincus de Saint Domingue (décision de celui qui allait devenir empereur), les gens n’étaient pas très chauds pour en parler.
Bref, ils auraient préféré qu’on n’insiste pas puisque j’avais déjà fait un film sur ce sujet… Aux débuts de mon projet je n’ai pu m’appuyer que sur la chaîne, France O ! Par facilité intellectuelle on ne veut pas croire que les grands hommes ne sont pas complètement positifs.
La trajectoire de Bonaparte montre que, chez lui, il n’y a pas véritablement d’idéologie mais surtout de l’arrivisme…
Propos recueillis par M.A-P
