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Hôpital de Bastia : L'Etat au pied du mur

A Bastia, il faut un nouvel hôpital....

Hôpital de Bastia : l’État au pied du mur


Médecins et syndicalistes, responsables politiques, représentants des usagers, tous le disent : à Bastia, il faut un nouvel hôpital, il faut résoudre le problème de l’endettement du centre hospitalier, il faut du personnel et des moyens pour l’hôpital existant ! Responsable de l’équité et de la qualité dans l’accès au soins, l’État doit désormais assumer.

A la fin de l’an passé, la crise Covid s’estompant enfin, les problèmes en suspens et les revendications mises entre parenthèses sont revenus sur le tapis. Sont notamment redevenus d’actualité : l’impact de la pandémie sur l’organisation (concentration de ressources humaines et de moyens pour gérer la crise) et sur les personnels (épuisement, démotivation, absentéisme) ; la situation financière dégradée de l’établissement ; la remise à niveau des locaux et des équipements du service des urgences ; la reconstruction d’un hôpital ou la réhabilitation totale des locaux du site principal (Falconaja). Cette année, au mois de mars, la revendication d’une reconstruction a fait son chemin. Pour l’afficher, des militants Femu a Corsica se sont rassemblés sur le site de Falconaja avec à leur tête le maire de Bastia Pierre Savelli et le député de la première circonscription de Haute-Corse Michel Castellani. Pour l’expliquer, Femu a Corsica a tenu une conférence de presse. En avril, des médecins de l’hôpital ont dénoncé la suspension d’activité de deux services faute de médecins (l'unité d'hospitalisation de courte durée destinée aux patients admis aux urgences et ayant besoin d’une surveillance, l'unité de soins continus destinée à recevoir les personnes atteintes ou présentant un risque de défaillances vitales) ; ceci ayant résulté de l’application d’une disposition de la loi Rist censée contribuer à une modernisation du système de santé ainsi qu’à une amélioration du quotidien des soignants et de la prise en charge des patients, qui plafonne la rémunération des médecins intérimaires (1170 € bruts par journée de garde de 24 heures, rémunération nettement plus faible que celle que percevaient auparavant ces praticiens). Au début de ce mois de mai, le STC (Sindicatu di i Travagliadori Corsi) a fait observer un mouvement de grève.
L’organisation syndicale a ainsi exprimé son attente de réponses concernant d’une part, le choix entre la construction d’un nouvel hôpital ou la réhabilitation de l’hôpital existant (le Comité national pour les investissements santé aurait dû faire connaître ses conclusions en novembre dernier et ne cesse de repousser l’échéance) ; d’autre part, le règlement de la dette Fournisseurs de l’établissement hospitalier de Bastia (50 M€ sont dus, dont 11 à des entreprises insulaires). Ces derniers jours, les personnels médicaux des urgences et du SAMU ont tiré la sonnette d’alarme. Se déclarant « épuisés », ils ont dénoncé une situation « critique ». A savoir : un effectif médical insuffisant, trop peu de possibilités remplacements, des plannings aux cases non-remplies, de mauvaises conditions de travail, du personnel surmené, des arrêts de travail de plus en plus nombreux, une prise en charge des patients détériorées.
Aucun des problèmes et revendications évoqués ci-dessus n’ayant fait l’objet de solutions ou de réponses satisfaisantes, la situation du Centre Hospitalier de Bastia interroge, inquiète et irrite. Ces dernières semaines, les représentants des usagers l’ont fait savoir.

Refus d’un « rafistolage coûteux, impossible et dangereux »

Cela s’est s’est fait au travers du Collectif Corse Santé regroupant plusieurs associations (contact : 06 74 96 51 60 / collectifcorsesante@gmail.com) agissant dans le champ de la santé selon un riche panel d’interventions : représenter et défendre les intérêts des usagers ; s’affirmer en tant qu’interlocuteur crédible et performant ; former à un rôle actif les représentants d’usagers qui siègent dans les instances hospitalières ou de santé publique ; veiller au bon fonctionnement et à l'équité du système de santé ; informer les usagers sur leurs droits dans leurs rapports avec les établissements et les professionnels de santé ainsi qu’avec les organismes de protection sociale ; faire part de constats et porter des revendications. Le Collectif Corse Santé a d’abord, il y a quelques semaines, et ce, avec le soutien de plusieurs organisations syndicales, mis en ligne une pétition - https//nouvelhopitalbastia.com - demandant la construction d'un nouvel hôpital à Bastia afin d’influer sur les conclusions du Comité national pour les investissements santé devant trancher entre la réhabilitation de l’hôpital existant ou la réalisation d’une nouvelle structure : « Nous, Représentants des Usagers de l’Hôpital, luttons, depuis des années pour obtenir la création d’un hôpital neuf pour Bastia et nous nous réjouissons d’être rejoints dans ce combat par la CGT, le STC et FO, à la veille de la réponse de l’État […] Aujourd’hui, et c’est heureux, la création d’un nouvel Hôpital semble faire l’unanimité ! […] Nous vous demandons de vous opposer « au rafistolage » coûteux, impossible et dangereux de notre Hôpital ; de soutenir la création d’un hôpital neuf (réalisable en 5 ans, des exemples existent : Melun, Orléans, Guyane…) »
Le Collectif a avancé plusieurs arguments : l’hôpital de Bastia couvre 60% de la population de la Corse ; la géographie de la Corse, son réseau routier et l’absence d’alternatives risquant d’entraîner pour la population une rupture de l’égalité des soins et donc des chances ; Bastia comme Aiacciu doit bénéficier d’infrastructures garantissant la qualité des soins ; l’état « abandonnique » dans lequel a été laissé l’Hôpital de Bastia hypothèque sa capacité à soigner dans les meilleures conditions ; appauvri, mis à mal, vidé de ses missions premières, l’hôpital de Bastia est devenu dangereux. Dans cette pétition, évoquant « un déficit abyssal qui passe de 7 millions en 2014, à 71 millions en 2019 et arriverait en 2022 à atteindre 100 millions d’euros», le Collectif a par ailleurs demandé un moratoire, et ce, au nom de l’équité et de l’intérêt des patients : « Injustice d’État ou simple incapacité à gérer ? C’est clair le Centre Hospitalier d’Ajaccio est financé à 100% par l’État, le Centre Hospitalier de Bastia doit compléter par l’emprunt, depuis des années, le financement indispensable à la vie de l’Hôpital et ce déficit cumulé empêche Bastia d’investir et en travaux et en achats, avec des conséquences sur la qualité des soins ».
A ce jour, relayée sur les réseaux sociaux et par les médias, la pétition a obtenu plus de 12 000 signatures. Ceci a révélé que, même si cela n’est pas exprimé habituellement ou avec virulence, il existe au sein des populations concernées, la conscience d’un véritable problème Hôpital de Bastia et qu’elles ne sauraient se satisfaire, pour reprendre les mots du Collectif, d’un « rafistolage coûteux, impossible et dangereux ».

Appel à la mobilisation générale

Il y a quelques jours, le Collectif Corse Santé est remonté au créneau en tenant une conférence de presse mettant en exergue la situation désastreuse du centre hospitalier et réitérant sa demande de construction d’un nouvel hôpital. En premier lieu, le Collectif a expliqué ce qui motivait son intervention. Le sentiment d’être allé jusqu’au bout du dialogue sans obtenir de résultats concrets : « Nous dialoguons lors de réunions mensuelles avec l’Administration et les soignants de l’Hôpital. Dialogues courtois et bienveillants où nous évoquons et faisons remonter les problèmes des usagers. Malheureusement, à ce jour, et malgré la bonne volonté de tous, les problèmes demeurent, récurrents, identiques mais presque toujours irrésolus ! » La gravité de la situation :
« Les problèmes d’argent, une désorganisation certaine et les petites luttes internes empêchent toute avancée, entraînant le départ de nombre de médecins. Mais comment pourrait-il en être autrement dans cet hôpital obsolète et surendetté ? »
Faire entendre les usagers : « Nous allons juste constater et faire connaître la parole des usagers, rapporter leurs expériences, faire entendre leur voix. Non, nous ne craignons pas la réaction des usagers en disant ce que nous savons, non nous ne craignons pas de leur faire peur, les usagers ont déjà peur de l’hôpital. » Rendre hommage aux personnels : « Des gens sont biens soignés, des gens guérissent à l’Hôpital de Bastia, […] Travailler dans des conditions dégradées, à l’intérieur de locaux rafistolés et obsolètes, dans un univers dépassé et non attractif, dans une ambiance tendue et souvent en sous-effectif relève de la foi ! » Le refus du « manque de moyens de l’hôpital public » et de « la logique de rentabilité »
qui entraînent « la désorganisation et la démotivation des équipes médicales et soignantes ». En deuxième lieu, le Collectif Corse Santé a listé les problèmes qui affectent d’une part l’ensemble de l’hôpital, d’autre, part, nombre de se services (voir l’encart « Qu’est-ce qui ne va pas ? ») Pour quelle finalité tout cela ? Rappeler ses responsabilités à l’État : « Tout cela a une solution [..] Ceux qui sont en capacité de répondre à un besoin plus qu’urgent sont le ministère de la Santé et le ministère de l'Économie et des Finances ». Appeler à la mobilisation générale : « La société civile, les politiques de tous horizons, les élus, les syndicats, les médecins, les personnels soignants et les administratifs de l’Hôpital, la Commission médicale d’établissement, en fait tous les usagers de la santé doivent réclamer : la construction d’un nouvel hôpital, le moratoire du déficit cumulé de 120 millions d’euros. » Des syndiqués, des médecins, des acteurs politiques et le Collectif Corse Santé ont mis l’État au pied du mur, usagers et futurs usagers de l’hôpital doivent désormais le pousser à le franchir, au besoin en lui bottant le train.


Pierre Corsi


Qu’est-ce qui ne va pas ?



Problèmes structurels. Inadaptation des locaux (hôpital de type Duquesne déjà inadapté lors de sa construction en 1977, augmentation d’environ 30% de la population sans réelle augmentation des surfaces, mauvaises conditions d’accueil, d’hygiène et de sécurité) / Insuffisance de moyens / Manque récurrent de médecins (spécialistes urgentistes, médecins-rééducateurs, anesthésistes-réanimateur,…) / Recours coûteux à des soignants intérimaires ne connaissant pas les services et souvent peu concernés par les problématiques de l’établissement /

Management rendu erratique. Turn-over depuis dix ans de directeurs généraux et de directeurs des soins impactant négativement la recherche de solutions pérennes aux problèmes, la finalisation des projets et la qualité des soins.


Déficit abyssal et paralysant. 7 M€ en 2014, 71 M€ en 2019, plus de 100 M€ en 2022, probablement près 140 M€ en 2023 (les 60 M€ sur dix ans attribués en 2022 dans le cadre du Ségur de la Santé étant fléchés en investissement ne peuvent servir à combler).

Service Urgences pathétique. Manque d’espace pour accueillir les patients dans des conditions décentes d’hygiène et d’intimité / Personnel insuffisant et en surcharge de taches / Promiscuité (même en période d’épidémie) / Attentes interminables.

Blocs opératoires non ou sous utilisés. Activité générale de chirurgie réduite de 50% / 5 blocs sur 7 opérationnels faute de personnel (chirurgiens, anesthésistes-réanimateurs, infirmiers de bloc…)

Service Soins et Rééducation en panne ou presque. Depuis sa semi-ouverture (1/2 service) en 1995, aucun investissement notable / Pas de médecin -rééducateur permanent (récemment, 2 médecins rééducateurs venus d’Aiacciu ont accepté provisoirement et alternativement de prendre en charge les patients du service. Ce mois de mai, un médecin rééducateur est affect » et disponible. Qu’en sera-t-l en juin ? / Situation d’autant plus préoccupante que les Service Soins et Rééducation de Corse-du-Sud (Finusellu, I Molini) sont saturées / Perspective de création, il sera opérationnel dans deux ans, d’un Service Soins et Rééducation avec hébergement par un opérateur privé !

Service Pédiatrie hors-sol. Service hier parfaitement implanté au 1er étage (à proximité des salles d’accouchement et face à la néonatologie) transféré durant la crise Covid au 4ème étage dans des locaux inadaptés / Depuis 2015, absence de recrutement de médecins dédiés à la pédiatrie (recours à l’intérim).

Services Gynécologie et Obstétrique, Institut du sein démunis. Déficitaires en médecins spécialistes / En attente d’un chirurgien (arrivée annoncée en juin) qui arriverait en juin / Succession de démissions de médecins titulaires .

Maternité en risque de surchauffe. Du fait du retrait de la Clinique Maymard, accueil de 40 accouchements supplémentaires par mois dès juin 2023 / Aucun agrandissement et réaménagement des locaux / Attente d’un gynécologue et d’un médecin-réanimateur.

Service Cancérologie inadapté et submergé. Renouvellement de l’autorisation de soin en cancérologie en 2024 risquant d’être problématique / Service débordé car l’hématologie et le suivi des soins qui devaient dépendre de la Médecine Générale sont réalisés en Cancérologie / Chimiothérapies administrées dans les couloirs ou les bureaux.

Service Neurologie peu opérationnel. Absence de présence à temps-plein de spécialistes (neurologue et radiologue) / Nombreuses évacuations vers d’autres hôpitaux / Réduction des chances de survie ou de rétablissement.

Service Psychiatrie à la dérive. Délaissé depuis des années / Plombé par un manque d’intérêt et de moyens.


QUID DU CHU ?


Le Collectif Corse Santé défend la position suivante : « La création d’un CHU (Centre Hospitalier Universitaire) est pour certains l’unique priorité et la seule solution. Nous, représentants des usagers, sommes d’accord, à moyen terme pour un CHU si tant est que ce CHU soit sur deux pôles, incluant les 2 hôpitaux publics Ajaccio et Bastia et l’Université. En fait la condition sine qua non de la création d’un CHU est liée à la création d’un nouvel Hôpital à Bastia ». Le docteur et ancien conseiller de Corse François Benedetti qui anime U Cullettivu per a creazione di un CHU in Corsica (initiateur de la revendication d’un CHU) partage cet ordre de priorité : « Le nouvel hôpital de Bastia est évidemment une priorité. Scandaleux d’avoir encore cette structure en 2023 alors qu’elle était obsolète dès sa création. Mais il ne faut pas opposer cette revendication à la création du CHU de Corse. »

La municipalité assure avoir constitué une réserve foncière et tenir à disposition deux terrains susceptibles d'accueillir le nouvel établissement.
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