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Répression : un processus sans fin

La répression du nationalisme corse n'est ni une nouveauté, ni un retour au passé.

Répression : un processus sans fin


La répression du nationalisme corse n’est ni une nouveauté, ni un retour au passé. Depuis les années 1970, elle n’a jamais cessé. Aujourd’hui, cela continue. Les faits ne manquent pas pour le rappeler.


Ni les trêves observées par les organisations clandestines, ni la longue suspension de leurs actions annoncée et respectée par ces organisations depuis 2014, ni les succès électoraux majeurs, ces dernières années, des listes et candidats revendiquant une appartenance au courant nationaliste, n’ont fait changer les choses. La répression représente un processus sans fin. Les faits ne manquent pas pour le rappeler. Des prélèvements ADN sont imposés aux personnes interpellées lors de manifestations ou autres actions de terrain nationalistes.
En décembre de l’an passé, à Aiacciu puis à Bastia et alentours, les policiers de la Sdat (Sous-Direction Antiterroriste) ont interpellé une dizaine de personnes dont notamment des responsables et des figures connues de Corsica Libera (Pierre Paoli, Charles Pieri) et un local bastiais du parti a été perquisitionné. Les informations judiciaires à l’origine des deux rafles portaient sur des soupçons d'association de malfaiteurs terroristes, de destruction ou tentatives aggravées en relation avec une entreprise terroriste, d’infraction à la législation sur les armes et les explosifs. Les personnes interpellés en Haute-Corse ont été transférées à Paris pour y être entendues. A l’issue de ces opérations, sept personnes ont été remises en liberté sous contrôle judiciaire et deux d’entre elles, dont Charles Pieri, ont été incarcérées. Pierre Paoli a lui été purement et simplement libéré. En février dernier, dans le cadre d’une information judiciaire portant sur des violences ayant eu lieu lors de manifestations ayant suivi l’assassinat d’Yvan Colonna, sept jeunes militants nationalistes, la plupart résidant en Balagne, ont été interpellés, placés en garde-à-vue puis remis en liberté. ll y a quelques semaines, à Bastia et alentours, six militants de Corsica Libera, ont été entendus puis remis en liberté. Le Parquet a fait savoir que l’enquête portait sur des « dégradations par inscriptions de signes et dessins » sur des bâtiments publics, des « menaces de mort sur des personnes dépositaires de l'autorité publique » et des « outrages divers » et que le dossier ferait l’objet d'une appréciation « des suites à donner ».
Il y a quelques jours, à Bastia, deux militants Ghjuventù Libera ont été appréhendés par la Sdat, entendus puis remis en liberté. Le 30 mai dernier, à l’occasion d’une conférence de presse, deux organisations de défense des prisonniers et anciens prisonniers politiques (Culletivu Patriotti, Associu Sulidarità) ont révélé que des balises de localisation avaient été découvertes sous les véhicules de plusieurs de leurs responsables. Donc les enquêtes continuent. Donc des militants ou sympathisants nationalistes font l’objet de poursuites. A l’heure où sont écrites ces lignes, l’Associu Aiutu Paisanu signale que deux jeunes militants sont en garde à vue au commissariat de Bastia dans le cadre d’une procédure relative aux manifestations de mars 2022 ayant suivi l’assassinat d’Yvan Colonna.


Acharnement et esprit de vengeance


La répression est sans fin. L’acharnement l’est aussi. Certes, Pierre Alessandri et Alain Ferrandi franchissent enfin la porte de la prison dans le bon sens. Cependant, malgré qu’ils aient passé près d’un quart de siècles derrière les barreaux et soient âgés de plus de soixante ans, les deux hommes risquent de rester privés d’une vie normale durant encore de nombreuses années. En effet, s’ils peuvent quitter le centre de détention de Borgo pour exercer un emploi, ils doivent passer la nuit en cellule, n’ont droit qu’à un week-end de liberté par mois, sont interdits d’activité politique et d’expression dans les médias. Et, quand ils obtiendront une liberté conditionnelle, celle-ci pourra durer jusqu’à dix ans ! Des anciens prisonniers politiques sont soumis à des tracasseries administratives et / ou financières.
L’inscription au Fijait (Fichier des auteurs d'infractions terroristes) leur ait imposé. Ce qui est à la fois humiliant et contraignant car, outre implicitement assimiler le nationalisme corse au djihadisme (le Fijait a été créé après les attentats sanglants perpétrés en France par Daesh en 2015), l’inscription au Fijait oblige notamment à pointer au commissariat ou à la gendarmerie au moins une fois par trimestre, à signaler tout déplacement en dehors du territoire français, à rendre les armes de chasse légalement possédées. Des anciens prisonniers politiques sont condamnés à payer individuellement d’importantes amendes (certaines atteignant de 700 à 800 000 €). Ce qui les contraint, pour se prémunir d’une saisie, à verser mensuellement et à vie jusqu’à 200 € à l’État. Il existe un risque d’actions de recouvrement contre d’anciens prisonniers ayant été condamnés à verser des dommages et intérêts.
L’acharnement a encore été de mise ces derniers jours. Le juge des libertés et de la détention ayant rejeté le prolongement du mandat de dépôt de Charles Pieri (détenu depuis le 9 décembre dernier), ce dernier pouvait escompter être libéré rapidement (le 8 juin, date d’expiration du mandat de dépôt), en étant cependant soumis à contrôle judiciaire et assignation à résidence quelque part dans l’Hexagone. Le Parquet National Antiterroriste (Pnat) ayant fait appel, il appartient désormais à la chambre de l'instruction d’infirmer ou confirmer la décision du juge des libertés et de la détention. Charles Pieri est donc sous la menace d’un maintien ou d’un retour en détention malgré son âge (72 ans) et son mauvais état de santé.
Enfin - comme l’a révélé (ou confirmé diront certains), le rapport de la Commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit à l’assassinat d’Yvan Colonna - il apparaît que l’acharnement est imprégné d’un esprit de vengeance. En effet, la retranscription d’échanges Whatsapp entre deux préfets est particulièrement éclairante. L’un loue l’action homicide du détenu islamiste en écrivant que ce dernier « n’a fait que ce que l’État aurait du faire ». L’autre assigne au nationalisme corse un banc d’infamie identique à celui occupé par le nazisme : « Dans un souci méticuleux de lâcheté réconciliatrice, on va sans doute transférer les cendres de Klaus Barbie au Panthéon à côté de celles de Jean Moulin ».


La résistance dans le collimateur


La répression est loin d’être aveugle. Elle a ses cibles. Identifier et confondre les clandestins est certes jugé prioritaire par la police, la gendarmerie et les juges. Toutefois, ils ne s’en tiennent pas là. La répression vise aussi les organisations politiques et les personnes manifestant un esprit de résistance sur le terrain ou dans les idées, et ayant notamment fait savoir que, dans le cadre du processus Darmanin / Simeoni, elles rejetteraient toute issue ne prenant pas en compte les revendications fondamentales d’un demi-siècle de luttes nationalistes. C’est ce qui vaut à Corsica Libera et aux jeunes nationaliste d’être particulièrement visés depuis plusieurs mois.
Les militants et responsables du parti indépendantiste sont particulièrement dans le collimateur de la répression depuis que, lors de son Cungressu naziunale (20 novembre 2022), il a adopté une motion d’orientation générale préconisant une stratégie de résistance ainsi déclinée : solidarité politique avec le FLNC ; mobilisation du mouvement national sur tous les terrains de lutte ; feuille de route en dix points (libération des prisonniers politiques et arrêt des poursuites, reconnaissance des droits du peuple corse, pouvoir de légiférer, coofficialité de la langue corse, citoyenneté corse, statut fiscal et social, justice sociale, urgence écologique, droit à la santé, abolition des « lignes rouges » fixées par Emmanuel Macron) ; objectif de pleine souveraineté.
La jeunesse nationaliste est particulièrement dans le collimateur depuis que quatre organisations de jeunesse (Cunsulta di a ghjuventù corsa, Ghjuventù independentista, Ghjuventù paolina, Ghjuventù libera) ont, en octobre dernier, dénoncé la « soumission » de la majorité siméoniste à l’Assemblée de Corse, et lui ont signifié : « Nous avons permis ce processus institutionnel. Nous n'accepterons pas qu'il se poursuive en l'état et nous saurons nous mobiliser […] Une seule voie est possible, celle du rapport de force ».


Conscience de la situation


Corsica Libera considère que toutes les formes de résistance représentent des cibles potentielles de la répression. Le parti indépendantiste l’a d’ailleurs lisiblement exprimé en pointant du doigt une volonté politique de briser ou soumettre : « L’appareil d’État passe à l’offensive et révèle clairement ses intentions quant au traitement de la question nationale corse en réactivant une logique de conflit et de répression politique », en dénonçant « les manœuvres de l’État français visant à criminaliser une lutte politique légitime, celle du droit du peuple corse à la souveraineté », en mettant en garde contre des tentatives de « manipulation », de « déstabilisation de la société corse » et de recours à des « coups tordus », en rejetant l’analyse de la majorité siméonistes suggérant que les interpellations de ces derniers mois seraient commandées par des « faucons » de l’appareil d’État (police, gendarmerie, magistrature, préfectorale...) opposés au dialogue initié par Gérald Darmanin Darmanin et Gilles Simeoni et prêts à tout pour contribuer à le faire capoter.
Le Culletivu Patriotti et l’Associu Sulidarità sont d’évidence sur la même longueur d’onde.
A l’occasion de la conférence de presse précédemment mentionnée, les deux associations ont souligné que les arrestations et les gardes à vue « se voulaient spectaculaires et dures pour marquer les esprits », que les interrogatoires « étaient axés uniquement sur le fonctionnement du mouvement politique public », que les militants interpellés depuis le mois de décembre dernier « ont été visés, non pas pour ce qu’ils auraient éventuellement pu faire, mais uniquement pour ce qu’ils représentent » et que la lecture des procès-verbaux permet de constater que les questions qui ont été posées à ces militants « tournent en majorité autour de leur engagement politique et du fonctionnement du mouvement politique auquel ils participent ».


Pierre Corsi
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