La Corse propose, l' Etat dispose
Gilles Simeoni dispose désormais d'une rampe de lancement juridique.....
La Corse propose, l’État dispose
Gilles Simeoni dispose désormais d’une rampe de lancement juridique pouvant faciliter la mise sur orbite et l’acceptation de la revendication d’une autonomie de plein droit et de plein exercice. Mais cela ne suffit pas. Reste à doter la fusée Autonomie de moteurs puissants notamment parce que le champ de pesanteur jacobin n’a pas disparu et que des acteurs politiques et des citoyens insulaires refusent encore que lui soit dévolue la maîtrise de son destin.
A l’issue du quatrième comité stratégique sur l’avenir de la Corse qui a eu lieu le 7 juin dernier, tout en précisant que rien n’était acquis, Gilles Simeoni a affiché un certain optimisme en évoquant « une perspective sérieuse » L’optimisme du président du Conseil exécutif est motivé par plusieurs éléments nouveaux : il a enfin été fait un point sur le processus politique; Gérald Darmanin a explicitement confirmé qu’il était disposé à discuter toute proposition relevant d’une délibération de l’Assemblée de Corse; il est acté que d’ici le 14 juillet, date à laquelle Emmanuel Macron s’exprimera, un débat et un vote à l’Assemblée de Corse permettront de fixer les propositions de la Corse; Gérald Darmanin a confirmé que la matrice des propositions serait l’Assemblée de Corse et non le produit de discussions parallèles entre certains élus et des éminences grises; il a été décidé qu’avant le 10 juillet, deux rendez-vous auraient respectivement pour ordre du jour la Langue et le package Budget, Fiscalité, Finances; il a été promis de fournir avant le 15 juin à la Collectivité de Corse, les informations attendues depuis longtemps concernant la fiscalité.
Prudences nationalistes et satisfaction à droite
Les leaders de l'opposition nationaliste représentée à l’Assemblée de Corse ont pris acte d’une évolution a priori positive. Cependant la prudence est restée de mise. Paul-Félix Benedetti (Core in Fronte) a reconnu une évolution allant dans le bon sens tout en dénonçant des sous-entendus « sournois » qui pourraient faire croire que les indépendantistes seraient disposés à accepter un consensus minimaliste acceptable par l’État et en rappelant que se résoudre provisoirement à accepter l’autonomie représenterait déjà une concession majeure de leur part. Jean-Christophe Angelini s’est félicité que les propositions sur le foncier de son parti (Partitu di a Nazione Corsa) et du groupe politique qu’il préside à l’Assemblée de Corse (Avanzemu), réalisables à droit constant, aient été abordées et même reprises par le Gouvernement, mais a prévenu qu’il ne renoncerait pas à une révision constitutionnelle et à un véritable statut d’autonomie. Josepha Giacometti-Piredda est restée sceptique. Selon l’unique élue Corsica Libera à l’Assemblée de Corse, la réalité d’un processus historique de solution politique est loin d’être avérée, il est déplorable que l’État continue de susciter de la tension (notamment par des interpellations de nationalistes ayant lieu avant ou durant les réunions du comité stratégique) et il reste douteux que la majorité siméoniste soit capable de porter un projet politique à la hauteur des enjeux.
Si la prudence a dominé du côté de l’opposition nationaliste, la droite a affiché de la satisfaction car Gérald Darmanin est, comme elle, en demande d’un consensus et a bien accueilli ses premières propositions opérationnelles. Laurent Marcangeli est favorable à une entente entre les élus corses autour d’une réforme des institutions qui sera jugée recevable par Emmanuel Macron et permettra à celui-ci d’inscrire la Corse dans la Constitution (à l’occasion de la révision constitutionnelle concernant la Nouvelle-Calédonie).
Le député de la première circonscription de la Corse du Sud souhaite aussi être force de proposition notamment concernant le foncier et le logement. Jean-Martin Mondoloni a dit sa satisfaction que Gérald Darmanin ait favorablement accueilli les trois propositions concernant le foncier du groupe politique qu’il préside (Un Soffiu Novu) et être confiant quant à la volonté de l’État d’aller vers un évolution institutionnelle. Cependant,doutant fortement que la revendication nationaliste d’une autonomie incluant l’obtention d’un pouvoir législatif obtienne une majorité des 3/5ème si le Parlement est appelé à se prononcer, il préconise la recherche d’une solution acceptable par tous les élus corses et les parlementaires ou presque et privilégie la demande de solutions à des problèmes concernant la santé, l’eau, l’action économique, la formation des hommes, le réseau routier...
Une rampe de lancement juridique
Autre motif d’optimisme pour Gilles Simeoni :le Président du Conseil exécutif dispose désormais d’une rampe de lancement juridique pouvant faciliter la mise sur orbite et l’acceptation de la revendication d’une autonomie de plein droit et de plein exercice. En effet, la Commission des Compétences Législatives et Réglementaires de l’Assemblée de Corse a, le 31 mai dernier, adopté le rapport « Vers un statut d’autonomie pour la Corse » et, le 6 juin dernier à Bastia, Romain Colonna qui préside la Commission, a officiellement présenté et remis le document au Président du Conseil exécutif, à la Présidente de l’Assemblée de Corse et aux groupes politiques de l’Assemblée de Corse.
Pour rappel, la Commission des Compétences Législatives et Réglementaires est une instance de l’Assemblée de Corse où sont représentés tous les groupes politiques et qui a deux missions : émettre des avis officiels sur les rapports présentés par le Conseil exécutif chaque fois que la problématique abordée la concerne directement; alimenter une réflexion sur les évolutions législatives et statutaires concernant la Corse. C’est dans le cadre de la mission citée en second, et ce, à la demande du Président du Conseil exécutif et de la Présidente de l’Assemblée de Corse, que la Commission a travaillé à clarifier la notion d’autonomie et à vérifier la compatibilité de ce cadre institutionnel avec les contextes français et corse.
Le rapport de la Commission a été nourri par le « Rapport sur l’évolution institutionnelle de la Corse » (remis en octobre 2021 par le professeur Wanda Mastor), la « Contribution au débat sur l’autonomie : bien-être économique et social » (présentée en juillet 2022 à l’Assemblée de Corse par sa présidente Marie-Antoinette Maupertuis), l’expertise d’intervenants extérieurs (universitaires, hauts fonctionnaires de différentes collectivités, acteurs politiques en prise directe avec la décision politique dans un cadre de large autonomie de leurs collectivités, et la participation des membres de l’Assemblée de Corse et du Conseil exécutif.
Une réponse politique, à la fois pertinente et globale, à la question Corse
Le rapport de la Commission des Compétences Législatives et Réglementaires présente l’autonomie comme une réponse politique, à la fois pertinente et globale, à la question Corse. Il apporte d’ailleurs un argumentaire à la fois complet et difficilement contestable (voir ci-contre) Il invite aussi à se méfier de nombreux pièges. Il est révélé qu’user du mot « autonomie » peut n’avoir pour objet que de satisfaire les élus et que la République applique alors uniquement la libre administration des collectivités territoriales (garantie d’un espace de liberté gestionnaire dans lequel une collectivité territoriale peut agir sans subir de contraintes excessives, notamment de la part de L’État).
Ainsi il est énoncé que « La République garantit l’autonomie de Saint-Barthélemy (île française des petites Antilles, collectivité d’outre-mer », sans qu’existe un statut d’autonomie ! Il est indiqué que les documents de cadrage fournis par le ministère de l’Intérieur lors des réunions avec les élus corses minimisent ce qui pourrait inciter à considérer l’autonomie comme relevant de la normalité et inciter à la revendiquer. Plusieurs droits préférentiels, notamment en matière d’accès à l’emploi, de propriété, de protection du patrimoine foncier, bien qu’ils soient mis en œuvre dans plusieurs collectivités, ne sont pas mentionnés ! Il apparaît que l’autonomie ne sera que de façade si les compétences ne sont que trop partiellement transférées, si leur exercice est trop largement partagé entre l’État et la Collectivité ou concurrencé par des compétences exclusives de l’État, si des moyens financiers et/ou humains n’accompagnent pas le transfert des compétences et conduisent à l’impossibilité de les exercer.
Le rapport révèle aussi que la mise en œuvre de l’autonomie relève d’un processus long qui demande la mobilisation d’outils juridiques, de moyens budgétaires (point d’autonomie sans autonomie financière, il faudra donc préciser les transferts financiers, les moyens de financement et définir l’autonomie fiscale), d’une organisation et de ressources humaines dont la Collectivité de Corse dispose déjà ou est en mesure de se doter pour peu que l’État lui accorde la latitude d’agir en ce sens.
Il est enfin montré, et c’est particulièrement important, que constitutionnaliser l’autonomie n’est pas suffisant car si le statut de résident, la co-officialité de la langue corse ou la corsisation des emplois ne sont pas eux aussi prévus constitutionnellement, toute loi prévoyant leur instauration risque d’être censurée par le Conseil constitutionnel.
Il ressort donc que la mise en place d’un statut d’autonomie nécessite une double opération juridique En premier lieu, l’inscription de la Corse dans la Constitution à travers un Titre spécifique venant consacrer l’autonomie de la Collectivité de Corse et la dévolution d’un pouvoir législatif.
En second lieu, l’élaboration d’une loi organique prolongeant le texte constitutionnel qui précisera le contenu du statut d’autonomie en prévoyant notamment : l’organisation et le fonctionnement des institutions de la Corse autonome; la répartition des compétences normatives entre la Collectivité de Corse et l’État ainsi que les modalités de leur exercice et du contrôle juridictionnel; les rapports entre la Collectivité de Corse et l’État d’une part, et les relations de la Collectivité de Corse avec le bloc communal et intercommunal.
La rampe de lancement juridique est en place. Reste à doter la fusée Autonomie de moteurs puissants (implication et mobilisation des forces nationalistes et plus globalement d’une majorité de Corses) car le champ de pesanteur jacobin n’a pas disparu ; car par conservatisme ou conviction que la Corse ne peut faire et décider elle-même, des acteurs politiques et des citoyens insulaires refusent encore que lui soit dévolue la maîtrise de son destin; car, il ne faut jamais l’oublier : la Corse propose, l’État dispose.
Pierre Corsi
Un argumentaire complet et difficilement contestable
• La dévolution du pouvoir législatif n’a rien d’une exception. La compétence législative exclusive est reconnue par des États européens à plusieurs territoires insulaires ou continentaux, y compris par la France (Nouvelle-Calédonie).
• Le fait insulaire est propice à la revendication de la différenciation et de l’autonomie. Il est souvent invoqué le caractère insulaire d’un territoire pour justifier l’attribution par l’Union Européenne de mesures spécifiques au titre des politiques de cohérence. De nombreuses îles, au sein de l’Union Européenne, jouissent d’un statut d’autonomie. L’insularité est donc un terrain propice à la revendication d’une différenciation et d’une large autonomie.
• L’autonomie des régions n’est pas incompatible avec le caractère unitaire et indivisible de la République. En Espagne, la Constitution fondée sur l'unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols, reconnaît et garantit le droit à l'autonomie des des régions. La Constitution du Portugal affirme l’unité et l’indivisibilité de la souveraineté tout en reconnaissant l’autonomie de deux territoires insulaires (Açores, Madère). La Sardaigne jouit d’une personnalité juridique autonome, tout en étant intégrée à la République italienne dont la Constitution affirme le principe d'unicité et d'indivisibilité de l’État,
• « Lignes rouges », l’une sans objet, l’autre archaïque. Emmanuel Macron a posé deux « lignes rouges » : le maintien de la Corse dans la République; le refus de deux catégories de citoyens. La première est sans objet car l’autonomie n’est pas l’indépendance. La deuxième serait, selon le Président de la République, justifiée car le statut de résident créerait une catégorie de citoyens qui ne pourraient accéder à la propriété en Corse, car affecter la ressource fiscale à la Corse contreviendrait aux principes d’égalité entre les régions et de solidarité nationale, car instaurer la co-officialité de la langue corse exclurait et discriminerait. En réalité, tout ceci relève d’une vision archaïque car cela ne tient pas compte de certaines évolutions. En effet, il existe aujourd’hui en France trois citoyennetés : nationale, européenne, locale (en Nouvelle-Calédonie, la citoyenneté calédonienne qui repose sur le critère de la résidence a servi pour définir un corps électoral restreint pour les référendums d'autodétermination). En Polynésie française, la création d'une citoyenneté polynésienne n’a jamais été entérinée mais le statut de résident permet à la collectivité de prendre des mesures en faveur de la population locale en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle, de protection du patrimoine foncier. Une autonomie fiscale a été reconnue aux collectivités territoriales de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Seule la co-officialité d’une langue régionale n’est pas reconnue.
• Les compétences propres ne sont pas absolues. Elles doivent respecter la Constitution et les engagements internationaux. L’État peut restreindre le champ d’application d'une compétence locale en incluant des conditions (Saint-Barthélemy et Saint-Martin disposent de la compétence fiscale mais l’État a prévu qu’une personne physique ne peut être reconnue comme fiscalement domiciliée sur ces territoires qu’après cinq ans de résidence effective). D’une compétence propre, il peut découler une compétences partagée (l’État use de sa compétence pénale pour réprimer les infractions que la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Barthélemy ou Saint-Martin ont défini dans le cadre de l’exercice de leur compétence fiscale).
• Des compétences sont « intransférables. Il s’agit de celles relevant du « noyau dur » régalien. Elles concernent la nationalité, les droits civiques, les libertés publiques, l'état et la capacité des personnes,, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère la défense, la sécurité et l'ordre public, la monnaie, le crédit et les changes, le droit électoral.
• Les élus de la Corse ne sont pas moins légitimes que ceux de l’Hexagone. Leur légitimité est donc opposable concernant la revendication d’un statut d’autonomie. Depuis 2015, selon des configurations politiques différentes et avec des majorités toujours croissantes, la question de l’autonomie a d’ailleurs largement été validée par les urnes.
• La révision constitutionnelle est possible. Les partis de la majorité présidentielle ne disposent certes pas des 3/5èmes des membres Congrès (réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat) mais d’autres groupes ou élus isolés sont susceptibles de se prononcer favorablement. Par ailleurs, si le projet ou la proposition de révision constitutionnelle est votée par l’Assemblée Nationale et le Sénat selon des termes identiques mais ne peut obtenir la majorité des 3/5èmes, il est possible de recourir au referendum.
• L’autonomie peut être construite progressivement. Il est possible de prévoir un échéancier. À court terme: inscrire l’autonomie de la Corse dans un Titre de la Constitution. À moyen terme: identifier les compétences à transférer et les inscrire dans la loi organique. Parallèlement : mettre en place le transfert de moyens et/ou de personnels.
• L’autonomie, un cadre pour répondre aux défis de la Corse et améliorer la vie quotidienne du peuple corse. L’autonomie doterait la Corse d’outils normatifs et fiscaux nécessaires à son progrès économique, social, environnemental, culturel et linguistique, dont elle ne dispose pas. En effet, la Collectivité de Corse ne bénéficie aujourd’hui d’aucun pouvoir normatif substantiel. Autrement dit, ses décisions, ses moyens financiers et budgétaires ainsi que ses capacités d’action sont contraints par le droit actuel. Ils doivent se conformer aux lois françaises qui s’appliquent uniformément de Dunkerque à Bunifaziu, en dépit des spécificités des territoires de l’île et des besoins du peuple corse.
• Une nouvelle relation avec l’État.L’autonomie impliquera une redéfinition de la relation entre l’État et la Collectivité de Corse selon des rapports de parité, d’égalité, de coordination et de coopération. L’autonomie fiscale permettra d'abandonner la logique de la finance dérivée qui implique une subalternité par rapport à l'État.
• L’autonomie ne signifie pas un État absent et le pouvoir d’agir à sa guise. Un représentant de l’État reste présent sur le territoire de la Collectivité, a minima pour relayer l’exercice des compétences régaliennes. Toute autonomie prévoit une répartition précise des compétences entre l’État et la Collectivité. Un bloc de compétences ou une compétence sont rarement transmis dans leur intégralité. U, contrôle juridictionnel administratif ou constitutionnel des actes pris par la Collectivité reste assuré au niveau national. Le législateur d’une Corse autonome devra se conformer à un certain nombre de principes et de règles contenus dans les normes supérieures, et donc se plier aux règles du juge constitutionnel, du droit international, du droit communautaire européen.