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Collège Simon Vinciguerra à la rencontre de Francesco Ottaviano Renucci

Belle idée cette rencontre autour d’un personnage marquant vivant à la charnière des XVIII è et XIX è siècles. Marquant pour Bastia. Marquant pour la Corse.

Collège Simon Vinciguerra
A la rencontre de Francesco Ottaviano Renucci



Belle idée cette rencontre autour d’un personnage marquant vivant à la charnière des XVIII è et XIX è siècles. Marquant pour Bastia. Marquant pour la Corse. Une initiative de Linda Piazza, responsable de la bibliothèque patrimoniale bastiaise. Cinq conférenciers et l’implication de jeunes élèves lisant des textes illustrant la personnalité de Francesco Ottaviano Renucci.



Sous le premier empire le Collège Simon Vinciguerra, baptisé auparavant Vieux Lycée, a failli disparaître. Son sauveur ? Francesco Ottaviano Renucci. Enseignant. Pédagogue. Historien. Mémoraliste. Prêtre. L’homme a servi sous cinq régimes différents et a été un témoin de l’introduction du français sur l’île. Il a également fondé la première bibliothèque publique de Bastia. Tenace, il lui a fallu plus de vingt pour passer d’une bibliothèque scolaire – celle de son collège – à une bibliothèque municipale. Le virus des livres il l’a attrapé à Milan, Gênes, Pavie quand il était étudiant auprès de son oncle curé. Longtemps incertain le statut de la bibliothèque au point qu’il a dû l’héberger un temps chez lui ! Enfin, ainsi que l’a rappelé Antoine Marchini, injonction a été faite par les autorités de la Restauration à la municipalité de la prendre en charge, en 1825.

Très réputé pour ses cours d’éloquence Francesco Ottaviano Renucci. Il les assurait trois heures et demie par jour. La discipline était axée sur les humanités, a évoqué Francis Beretti. La mairie de Bastia vient d’ailleurs d’acquérir un manuscrit où l’enseignant explique sa démarche, ses objectifs et fait part des appréciations qu’il porte sur ses élèves. Renucci équilibrait le français appelé langue nationale et l’italien, qualifié de langue maternelle. Les cours d’éloquence englobaient les auteurs célèbres, latins, français, grecs, italiens, de Bossuet à Virgile, de Cicéron à Boileau en passant par Pindare.

Dans son intervention, Marie Pierre Marchini a souligné combien FO Renucci était précurseur dans son approche des monuments. Avant Mérimée il s’est lancé dans un véritable inventaire des couvents et des églises en ruine ou en état de conservation révélant de cette manière une conscience historique et une sensibilité nouvelle au patrimoine de ce qui était le Département du Golo. Des couvents de Biguglia à ceux de Casabianca et de Tavagna, des églises de Santa Cristina avec ses remarquables fresques à la cathédrale de Saint Florent, MP Marchini nous a offert une subtile exploration du passé pour mieux comprendre le présent.

Philippe Peretti, maire adjoint au patrimoine, a, lu,i levé un voile sur la personnalité si déterminante et complexe de Francesco Ottaviano Renucci qui a su s’adapter au Directoire, au Consulat, à l’Empire, à la Restauration et à la Monarchie de Juillet tout en ruant à l’occasion dans les brancards et tout en fréquentant avec assiduité les salons bastiais

La conférence de Ghjacumu Thiers a, elle, traité de l’enseignement au XIX è siècle et sur l’activité de FO Renucci insistant sur un souci de son italianité et de sa francité. Il est le traducteur des mémoires de Renucci, parues sous le titre, « Memorie, 1767 – 1842 » aux éditions Piazzola.

Les textes, qui s’intercalaient entre les interventions des experts, étaient lus par des élèves : Lisa-Maria, Leia, Emeraude, Alicia, Alexandre. Quant à David il a imaginé l’affiche du colloque. Ces jeunes ont été un vrai bonheur. Ils ont en outre fait visiter au public « cabinet de curiosité », et club patrimoine, eux qui ont soigné, sauvegardé des ouvrages anciens.

Michèle Acquaviva-Pache


• Première pierre du collège posée en 1612. Enseignement et direction revenaient aux Jésuites.


                  ENTRETIEN AVEC GHJACUMU THIERS



Comment avez-vous découvert les mémoires de Francesco Ottaviano Renucci ?

D’une manière fortuite, par un heureux hasard. J’animais une rubrique en corse sur Kyrn(mensuel) quand j’ai trouvé une allusion disant que FO Renucci, professeur au Collège Royal de Bastia avait subi une réprimande du commissaire de police du département lui reprochant l’étude de textes français interdits par la Restauration. Renucci avait répliqué fermement. J’ai voulu en savoir plus et me suis adressé à un de ses descendants, Maître Paul Renucci, qui m’a confié les mémoires de son aïeul. J’en ai parlé à mon maître de recherches à l’université d’Aix, Fernand Ettori et cela a débouché sur mon mémoire de 3 è cycle.


Pour aborder et traduire FO Renucci vous vous êtes mis à l’italien. Pourquoi ne pas l’avoir fait plutôt ?

Gamin on m’enjoignait de détourner mon regard des trois îles qui font face à Bastia parce qu’italiennes et donc fascistes ! C’était stupide mais c’est la raison de mon apprentissage tardif de cette langue. A cette occasion j’ai eu contact avec Marco Cini, un universitaire de la péninsule qui m’a beaucoup apporté sur les Corses faisant des études à Pise au XIX è siècle. Il a par ailleurs été partie prenante de l’Association Salvatore Viale. Je regrette que l’université de Corse ne l’ait pas recruté.


Dans votre intervention au colloque vous avez insisté sur l’italianité de Renucci et sur sa francité. Les intellectuels de l’époque étaient-ils à l’aise ou écartelés entre les deux cultures ?

Écartelés, je ne crois pas. Renucci et Viale passent d’une langue à l’autre. Le français et l’italien sont alors des langues mondiales. Elles sont expression d’universalité. Certes sous la Restauration il y a imposition de la francisation, mais Renucci, très proche de l’Italie, au plan politique, est aussi francophile.


Par ses activités très diverses, Francesco Ottaviano Renucci était un véritable polyvalent. Quel est son apport le plus conséquent ?

Sur le développement de la culture en Corse il a eu un rôle important. Très jeune il a œuvré en ce sens puisqu’il a dû remplacer comme instituteur en Tavagna son oncle malade. Puis il a aidé à la diffusion du français sans oublier l’italien. Il est émouvant de constater qu’il a corrigé la datation de ses mémoires lorsqu’il a eu connaissance du recueil de chants populaires corses, toscans, illyriens de Tommaseo.


Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à l’enseignement en Corse au XIX è siècle ?

C’est la découverte du travail de l’inspecteur Mourre, en 1977. Celui-ci a formalisé un apprentissage du français à partir du code pénal ce qui relevait d’un… terrorisme intellectuel ! Renucci ne pouvait que saluer sa démarche étant donné son poste de principal du Collège Royal, mais il critiqué avec force l’adjoint de l’inspecteur qui était sur la même ligne que celui-ci. Ces documents de Mourre sont à la base de mon travail de thèse de doctorat passé à Rouen sous la direction du professeur Marcellesi.


Dans votre activité intellectuelle que mettez-vous au premier plan ?

L’écriture. La création culturelle sous tous ses aspects. Je suis venu assez tard à la littérature puisque j’ai publié mon premier roman en 1996. Je me suis d’abord rodé à Kyrn où je tenais une rubrique en langue corse du nord tandis que Rinatu Coti officiait en corse du sud. En 1971, l’inspecteur de l’Education nationale, Santoni de Ghisoni, m’a demandé de participer à une commission de préparation de l’enseignement du corse et de donner des cours de latin aux professeurs de CEG. Lors de l’une de mes interventions un enseignant s’est exclamé : « Le corse et le latin, c’est pareil » ! Cette réflexion a débloqué mon écriture en corse…

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Sur un roman qui va bientôt paraître. Le sujet : une histoire de confusion de mots entre le français et le corse. Titre prévu : « I cannuchjali ».

A l’université qu’est-ce qui a été le plus gratifiant pour vous ?

A l’université j’ai rencontré beaucoup d’enseignants étriqués. Quand j’ai été mis en minorité dans une commission sur l’étude de la langue corse alors que les participants m’avaient auparavant accordé leur assentiment, j’ai démissionné. A l’époque était venu des ministères de la culture et de l’éducation l’aval pour la création d’un centre culturel sur le campus de Corte. J’ai candidaté et j’ai été retenu. Cela a été une très belle expérience, au plan de la liberté et de la création. J’ai également noué des contacts dans toute la Méditerranée et en Europe.

Peut-on dire que la langue corse est sauvée ?

Sauvée ? Qu’est-ce que cela peut signifier tant qu’on ne pratique pas cette langue au quotidien ! Mais je suis heureux que sur le site « interromania.com » on ait 3360 inscrits du monde entier désirant suivre nos cours de corse qui vont de débutants à confirmés Ce site est mis à jour toutes les quinzaines. Il comporte des documents d’archives et des textes qui portent sur l’île.

Propos recueillis par M.A.P




Ouvrages de FO Renucci : Quattro storiche novelle ; Storia di Corsica (2 tomes) ; Tre novelle storiche ; Memorie.


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