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Italie : Silvio Berlusconi avait tout compris

Le plus grand atout de Silvio Berlusconi est d’avoir toujours compris l’âme profonde d’une grande partie du peuple italien et su en jouer au profit de son action politique.

Italie : Silvio Berlusconi avait tout compris



Le plus grand atout de Silvio Berlusconi est d’avoir toujours compris l’âme profonde d’une grande partie du peuple italien et su en jouer au profit de son action politique.


Grande fortune, magnat du BTP et des médias, propriétaire du Milan AC, trois fois président du Conseil durant une période allant de 1994 à 2011, parlementaire de 1994 à 2013 et depuis octobre 2022 jusqu’à son dernier souffle, leader durant deux décennies de la droite italienne, hédoniste clinquant et pouvant être sulfureux : c’est le palmarès de Silvio Berlusconi, décédé le 12 juin dernier à l’âge de 86 ans. Celui qui était communément appelé « Il Cavaliere » depuis qu’il avait été fait Chevalier de l'Ordre du mérite et du travail, a été une personnalité majeure et marquante de l’Italie durant plus de quarante ans.
Au début des années 1990, jouissant d’une forte notoriété et de l’image de la réussite dans les domaines économique, médiatique et sportif, il a investi le terrain politique. Pour un nouvel entrant, le contexte était alors favorable car l’Italie vivait une aspiration au changement et une crise du système politique. Estimant être étouffée et spoliée par un État bureaucratique et dépensier, une partie de la société italienne était séduite par la vague libérale qui, depuis le début des années 1980, déferlait à l’échelle mondiale sous l’impulsion de Ronald Reagan et Margaret Thatcher.
Les deux familles politiques italiennes qui faisaient la pluie et le beau temps depuis la chute du fascisme, étaient sur le déclin: la démocratie chrétienne était minée par les enquêtes judiciaires ayant mis à jour la corruption d’un grand nombre de ses élus et de ses dirigeants, ainsi que par son incapacité à produire des idées nouvelles ; le communisme, qui avait été la principale force d’opposition à la démocratie chrétienne, était affecté par l’éclatement du Parti Communiste Italien et les remises en question idéologiques et politiques qui étaient intervenues après la chute du mur de Berlin et l’effondrement des régimes se réclamant du communisme.


Une démarche qui existe et impacte encore


Ayant tout compris, Silvio Berlusconi a mis sur la table une nouvelle offre politique. En 1993, il a créé de toutes pièces un parti politique, Forza Italia, qu’il a conçu comme devant être une machine électorale et marketing construite autour d’une référence à sa personne et délivrant un message libéral et d’alternative (liberté d’entreprendre, allègement de la charge fiscale, réussite individuelle, sécurité, encadrement du pouvoir des juges, modernisation de la gouvernance). Trente ans plus tard, autrement dit aujourd’hui, cette démarche existe et impacte encore. Une récente contribution du chercheur en histoire des institutions politiques Lorenzo Castellani publiée dans la revue Le Grand Continent, montre combien cette démarche continue d’influer sur la vie politique. Lorenzo Castellani souligne que le parti Forza Italia a très probablement été le modèle des partis de droite Fratelli d’Italia et Lega per Salvini car, étant respectivement au service de Giorgia Meloni et Matteo Salvini, ces partis sont essentiellement des comités électoraux construits autour d’une personne et usant de méthodes marketing. Lorenzo Castellani ajoute que Fratelli d’Italia, Lega per Salvini et bien sûr Forza Italia qui sont au pouvoir depuis octobre 2022, s’inspirent au niveau économique et social des idées berlusconistes du début des années 1990. En effet, le gouvernement Georgia Meloni s’emploie à mettre en œuvre une baisse des impôts, une défense de l’immobilier, une extension de la « flat tax », un renforcement de la sécurité, une réforme de la justice limitant le pouvoir des juges...


Un contrôle de la culture populaire


En outre, Lorenzo Castellani considère que ce qui a été le plus grand atout de Silvio Berlusconi et lui a permis de rester populaire, est d’avoir toujours compris l’âme profonde d’une grande partie du peuple italien et d’avoir su en jouer au profit de son action politique. Selon lui, Il Cavaliere avait « un contrôle de la culture populaire » et disposait d’une « extraordinaire richesse d’informations et de connaissances sur la mentalité et les préférences des Italiens » grâce aux « programmes hédonistes, vains et consuméristes de sa télévision commerciale ». Lorenzo Castellani donne aussi à voir que le libéralisme et l’hédonisme clinquant de Silvio Berlusconi était en adéquation avec plusieurs traits de la culture populaire : « Les Italiens sont un peuple libéral qui souffre de l’endoctrinement théorique, léger et désireux de s’amuser, concentré sur le travail, la maison et la famille, attentif au concret et au quotidien, soucieux de ses propres particularités bien plus que des grands idéaux ou de l’élaboration d’une moralité publique. Un peuple, en somme, qui n’a pas besoin d’être corrigé ou rééduqué, comme le demandent les intellectuels et les politiciens de gauche, mais qui est bien comme il est. Berlusconi a compris cette partie de l’Italie.»


Alexandra Sereni



Lorenzo Castellani et Le Grand Continent
Lorenzo Castellani est chercheur en histoire des institutions politiques au sein de la Luiss (Libera Università degli Studi Sociali Guido Carli), prestigieuse université ayant été fondée à Rome en 1974. Liée à Confindustria, le syndicat du patronat italien, la Luiss forme des cadres dirigeants pour les entreprises italiennes. Lorenzo Castellani contribue à la revue Le Grand Continent- https://legrandcontinent.eu/fr - publiée par un think tank Groupe d'études géopolitiques fondé en 2017 par de jeunes chercheurs de l’École normale supérieure de Paris
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