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Propositions anti -mafia, collectifs et associations mettent la pression

Collectifs et associations mettent en garde les élus de la Corse contre une placardisation des propositions anti-mafia.

Propositions anti-mafi
Collectifs et associations mettent la pression




Collectifs et associations mettent en garde les élus de la Corse contre une placardisation des propositions anti-mafia.

Les représentants de six collectifs ou associations (ABCDE / Maffia Nò, a Vita Ié / Cullittivu Anti Mafia Massimu Susini / Le GARDE / Plateforme citoyenne, U Levante) ont récemment tenu ensemble une conférence de presse pour dresser un bilan de la lutte contre les dérives mafieuses. Cette démarche commune mérite d’ailleurs d’être saluée car elle est de nature à renforcer la crédibilité et l’influence des organisations concernées dans leur combat contre la criminalité organisée.


Des inquiétudes

Les intervenant ont fait part de leurs préoccupations concernant certains dysfonctionnement au sein des cinq ateliers thématiques mis en place par l’Assemblée de Corse (Éthique et politiques publiques / Secteurs économiques particulièrement exposés / Drogues, commerces illicites / Dérives mafieuses : instruments d’analyse et de quantification / Procédure, droit et politique pénale / Enjeux éducatifs, culturels et sociétaux) dans le cadre de la lutte contre les dérives mafieuses et au sein desquels des représentants de la Collectivité de Corse, des communes et des intercommunalités ainsi que des acteurs des forces vives de la société corse participent aux travaux. Ils ont en effet mis en exergue : la présence de « trop peu d’élus de l’Assemblée de Corse » conduisant à s’inquiéter d’un « manque d’implication » ; des coordinateurs ayant produit des comptes-rendus n’ayant « pas toujours reflété la richesse des questions qui ont été posées aux responsables politiques et aux intervenants invités » ; le refus de ces coordinateurs d’engager des études thématiques (portant sur les déchets, le PADDUC, les marchés publics…) nécessaires à l’analyse de la réalité mafieuse et de ses mécanismes ; la conviction que la mafia influe dans l’ombre sur le traitement de dossiers qui arrivent à échéance dans l’hémicycle.


De l’optimisme

Les intervenants ont cependant aussi fait part d’évolutions positives. Celle-ci est selon eux notable partout. En Corse : Assemblée de Corse « ayant enfin reconnu officiellement l’existence de dérives mafieuses » ; dans le cadre des cinq ateliers, auditions « d’un intérêt certain » et « propositions courageuses et constructives » pouvant être soumises à l’Assemblée de Corse ; dénonciation de plus en plus claire du péril mafieux par des responsables politiques (y compris à l’Assemblée Nationale par les députés Paul-André Colombani, Jean-Félix Acquaviva et Laurent Marcangeli) ; « parole en partie libérée » dans la sphère publique. Au niveau national : réflexion est engagée pour un renforcement du dispositif d’aide aux repentis (dont le rapporteur est Laurent Marcangeli) ; JIRS de Marseille (Juridiction interrégionale spécialisée) et SIRASCO (Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée) reconnaissant la réalité mafieuse sévissant en Corse et réclamant des moyens adaptés pour y faire face ; Garde des Sceaux ayant, il y a quelques semaines à l’occasion d’un séminaire européen sur le crime organisé, déclaré « faire de la lutte contre la criminalité organisée sa priorité ». Au niveau de l’Union Européenne : discussion portant sur une directive devant permettre la confiscation, sans condamnation, des produits profits du crime.


De la vigilance et de la pression

Les intervenants ont indiqué qu’ils resteraient vigilants car rien n’est gagné. Ils ont d’ailleurs souligné qu’il était urgent de donner une suite concrète aux propositions faites dernièrement à l’Assemblée Nationale, par Paul-André Colombani et Laurent Marcangeli (évolution du statut de repenti ; confiscation systématique des avoirs criminels ; évolution législative inspirée des normes ayant déjà fait leurs preuves en Italie) qui ont ainsi relayé la parole de Maffia Nò, a Vita Ié et du Cullittivu Anti Mafia Massimu Susini. Ils ont aussi « mis la pression » sur le Conseil exécutif et l’Assemblée de Corse. D’une part, ils ont affirmé que les élus de la Corse avaient d’ores et déjà des possibilités d’agir : ester en justice contre les documents d’urbanisme qui contreviendraient aux dispositions du Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse ; conservation des Espaces Stratégiques Agricoles ; gestion publique et non publique-privée des déchets ; création d’un comité de suivi de la consommation des Espaces Stratégiques Agricoles ; contrôle à priori de la structure et des actionnaires des sociétés soumissionnant dans les marchés publics et à posteriori de celles remportant ces mêmes marchés, ainsi que déclaration des liens d’intérêts pouvant exister entre les élus et ces sociétés ; déclaration de patrimoine de l’élu au début et à la fin du mandat… Nous veillerons à ce qu’elles soient assorties des moyens sans lesquels elles demeureraient lettre morte […] Nous n’accepterons pas qu’elles reçoivent le sort qui a été réservé naguère à la commission Bucchini […] Nous tiendrons scrupuleusement l’opinion au courant des observations que nous serons amenés à faire ».


Vincent Carlotti : « il faudrait que tout le monde mouille sa chemise »


Ancien vice-président de l’Assemblée de Corse, ancien maire d’Aleria, longtemps secrétaire fédéral du Parti Socialiste de la Haute Corse, fondateur et animateur du club politique La gauche autonomiste, Vincent Carlotti est engagé depuis des années dans un combat contre les « dérives mafieuses » (hier en tant que responsable de la section Corse d'ANTICOR, aujourd’hui au sein du collectif Maffia Nò, a Vita Ié et dans son blog Ma part de vérité (http://vincent.carlotti.org). Il nous a livré son analyse.


L’Assemblée de Corse a reconnu l’existence de « dérives mafieuses » et du danger qu’elles représentent. Elle a aussi décidé, pour être en mesure de proposer des solutions, la mise en place d’ateliers de travail. Comment expliquez-vous que trop peu d’élus participent à ces ateliers ?

C’est choquant et prouve qu’au-delà des discours tenus dans le cénacle de l’Assemblée de Corse, trop d’élus n’ont pas encore pris conscience de ce que signifie pour l’avenir d’accepter l’emprise d’une mafia sur la société. Ils devraient pourtant être attentifs, puisqu’ils réclament un statut d’autonomie, au fait que cela ne servirait pas à grand-chose s’ils acceptent que ce soit la mafia qui fasse la loi ! Et puis, il est vrai que les séances des ateliers se tiennent à huis clos et donc sans Via Stella …


Vous êtes de ceux qui déplorent qu’à l’issue des réunions de ces ateliers, certains comptes-rendus, chapeautés par les coordinateurs, ne reflètent pas toujours la richesse des questions qui ont été posées aux responsables politiques et aux intervenants invités. Les coordinateurs sont-ils sous influence ? De la majorité qui patine dans la gestion de ces dossiers ? Des bandes mafieuses ? Des deux ?

Les élus chargés de coordonner ou plutôt d’animer et encadrer les débats ont été désignés par la majorité territoriale et ont forcément reçu des consignes. Disons qu’ils ont reçu des consignes de prudence pour faire simple. Et pourquoi voulez vous que, si la société corse est sous emprise mafieuse comme l’affirment les collectifs, l’Assemblée de Corse qui est son émanation y échappe ?


Selon le SIRASCO (Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée), 25 bandes criminelles sévissent chez nous. Soit 1 bande pour 13 600 habitants. C’est beaucoup. N’est-il pas fait un amalgame entre bandes relevant du crime organisé et petits équipes de voyous ?

Si vous lisez attentivement la note du SIRASCO, vous constaterez qu’outre lister les bandes de malfrats qui opèrent aujourd’hui partout dans notre Île, elle mentionne aussi un début de coopération entre ces bandes, c’est-à-dire une forme embryonnaire d’organisation. Ceci ne peut que s’accentuer si on ne met pas un coup d’arrêt.


Le SIRASCO signale que le marché des déchets est « infiltré par la criminalité organisée ». Mais, au niveau judiciaire, c’est le calme plat ou presque. Le SIRASCO n’exagère-t-il pas ?

Lorsque l’on observe le nombre conséquent d’engins de travaux publics, de camions et de hangars incendiés ou détruits par un attentat à l’explosif, on peut comprendre que la plupart des entreprises qui envisagent ne fut-ce que candidater au traitement ou au transport des déchets, baissent pratiquement pavillon et laissent une poignée d’opérateurs régner sur le secteur et continuer leur business. Dès lors, attaquer les marchés en question, comme on dit chez nous « Mancu in burle »!


Le Garde des Sceaux a récemment déclaré vouloir « faire de la lutte contre la criminalité organisée sa priorité ». Poudre aux yeux ou véritable volonté politique ?

J’observe d’abord que la volonté exprimée par le Garde des Sceaux a été exprimée à l’occasion d’un colloque européen et ne concerne pas explicitement la Corse. Et comment ne pas remarquer que son collègue de l’Intérieur s’obstine à nourrir le projet de démanteler la police judiciaire pour la mettre sous la tutelle préfectorale, ce qui reviendrait selon moi, excusez-moi pour l’expression triviale, à l’émasculer.


Plusieurs collectifs et associations ont récemment appelés les élus à s’engager résolument dans la lutte contre « les dérives mafieuses » et à employer tous les moyens que leur donnent leurs prérogatives en matière de marchés publics, urbanisme, foncier, traitement des déchets, PADDUC… Selon vous, que ne font-ils pas, que doivent-ils faire ?

Je me trompe peut-être mais, pour moi, le rôle des leaders d’opinion que sont les élus du suffrage universel ne doit pas se limiter, dans un domaine aussi important que la lutte contre la mafia, à veiller à une bonne administration des dossiers que vous mentionnez dans votre question, même si c’est indispensable. J’ai été choqué que pendant les campagnes électorales des élections territoriales et plus récemment des élections législatives, aucun candidat n’ait évoqué, publiquement, l’emprise mafieuse ou comme beaucoup la qualifient eux-mêmes « la dérive mafieuse ». Pour moi, il est certes évident que pour arriver à freiner, contrôler et stopper cette évolution dangereuse, il faut que la population se mobilise massivement et manifeste clairement son intention d’en finir. Mais pour en arriver là, ni l’action des collectifs et des associations, ni sans doute l’évolution « à l’italienne » du Code pénal qui est d’ailleurs loin d’être acquise, ne suffiront. Il faudra que nos élus s’arrachent des fauteuils de l’Assemblée de Corse pour aller dans la rue débattre avec les électrices et les électeurs sans attendre les prochaines élections territoriales. En Sicile il a fallu l’assassinat des juges Falcone et Borsolino pour que l’édifice mafieux séculaire soit ébranlé, mais cela n’aurait pas suffi si la population de Palerme n’avait pas manifesté, massivement, dans la rue, sa volonté d’en finir. Nous en sommes encore très loin chez nous. Il faudrait, pour en arriver là, que tout le monde mouille sa chemise à commencer par celles et ceux auxquels les électeurs ont confié un mandat.


Concernant les marchés publics, vous proposez un contrôle à priori de la structure et des actionnaires des sociétés soumissionnant dans les marchés publics. On comprend très bien l’intention d’éviter le jeu de liens d’intérêts entre des élus et ces sociétés. Mais n’est ce-pas courir le risque d’alimenter des rumeurs ?

Il ne faut pas se bercer d’illusions. Pour les marchés les plus importants, les choses les plus importantes ne se passent pas quand la commission se réunit pour examiner les offres. C’est bien en amont que les choses ont été préparées pour que la décision définitive soit conforme à ce que certains souhaitent. Vous n’imaginez pas le nombre de possibilités qui s’offrent à ceux qui convoitent des marchés pour en contrôler « en toute légalité » l’attribution. Au cours des années durant lesquelles j’ai eu la responsabilité de représenter l’association anti-corruption ANTI COR, j’ai pu en prendre la mesure.


Vous souhaitez que les élus déclarent leur patrimoine au début et à la fin de leur mandat. N’est-ce pas déjà obligatoire ? N’est-ce pas quasiment inutile si l’on considère que des élus véreux ont plusieurs possibilités de dissimuler leur enrichissement ?

Quelles que soient les dispositions, on n’empêchera jamais la fraude, la corruption, la prise illégale d’intérêt ou la concussion. D’autant que la suppression de l’habilitation de l’association ANTICOR à se pourvoir en justice, que j’apprends aujourd’hui, est une bénédiction pour les fraudeurs et interrompt les actions judiciaires en cours dans des affaires très importantes. Mais ce n‘est pas une raison pour ne rien faire. Il faudrait d’ailleurs étendre l’obligation de déclarer, à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, le patrimoine de l’élu au début et à la fin de leur mandat. Ainsi, à la Collectivité de Corse, outre le président du Conseil exécutif et le président de l’Assemblée de Corse, il serait souhaitable que cette obligation concerne les membres de la commission d’appel d’offre et, de manière générale, les ordonnateurs les plus importants.


Les rapporteurs des commissions mises en place par l’Assemblée de Corse vont bientôt rendre un rapport de synthèse. Etes-vous optimiste ? Il y a-t-il une ou plusieurs propositions qui vous paraissent représenter un minima susceptible de vous faire dire que les élus ont décidé d’aller dans le bon sens et le concret ?

Avec un certain nombre de mes amis du club politique La Gauche Autonomiste, j’avais adressé un courrier public à Dominique Bucchini, alors président de l’Assemblée de Corse pour lui demander de convoquer l’assemblée en session extraordinaire pour débattre du développement du grand banditisme. Ce qu’il a fait après que je m’en sois longuement entretenu avec lui. Vous savez très bien ce qu’il en est advenu. Vous comprendrez alors que, pour ma part, j'attends de voir pour me prononcer. Les promesses, disait Charles Pasqua, n’engagent que ceux qui les reçoivent. Je serai particulièrement attentif à la position qu’arrêteront nos élus concernant deux mesures très importantes. La première : l’inscription dans le Code pénal d’un délit d’association mafieuse devant permettre de poursuivre les individus qui, sans avoir eux-mêmes initié ou conduit une action criminelle, ont pu en faciliter d’une façon ou d’une autre la réalisation. La deuxième : la confiscation par la justice des biens d’un individu soupçonné de lien avec une opération mafieuse s’il se révèle qu’il est incapable de justifier l’acquisition légale de ces biens, et cela avant même qu’intervienne une condamnation. Exemple, comme on l’a vu chez nous, un individu qui roule en Porsche Cayenne et déclare comme seuls revenus ceux qu’il tire d’un troupeau de quelques vaches, et est incapable de justifier l’existence d’autres revenus ou d’expliquer leur provenance. On objectera, bien entendu, que la présomption d’innocence serait mise à mal. Je fais confiance au juge que l’avocat de la personne mise en cause ne manquera pas de saisir, pour trancher en fonction de l’appréciation qu’il portera sur l’affaire.


Difficile avant de conclure de ne pas évoquer le processus Beauvau. Ne craignez-vous pas qu’une autonomie de plein droit et de plein exercice ou des compétences plus étendues accordées aux élus, rendent ceux-ci plus vulnérables aux influences ou menaces de la dérive mafieuse ?

Plus généralement, selon moi, il ne peut y avoir de dévolution de pouvoirs importants à des élus que si l’on se soucie, en même temps, de mettre en place des dispositions et des contre-pouvoirs qui permettent au peuple de contrôler d’éventuels abus ou dysfonctionnements. A ce jour, je n’ai rien vu de tel ni dans les propositions des élus corses, ni dans celle du gouvernement. Cependant, je suis profondément convaincu, et ce, depuis longtemps, qu’il est temps que la République accorde aux élus de la Corse le droit d’élaborer, dans un certain nombre de domaines, des délibérations qui auront force de Loi sur le territoire insulaire. Mais, je tiens à le dire, si le processus en cours aboutit, et j’ai quelques doutes concernant cela, et si dans le texte qui en sortira ne figurent pas les mesures fortes réclamées par les citoyens représentés par les collectifs anti mafia et d’autres acteurs, je ne suis pas sûr de voter oui si, comme je le souhaite, le peuple corse est consulté.



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