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Le bout de la longue route vers l'autonomie ?

A longa strada versu l'autonomia

A longa strada versu l’autonomia


Verra-t-on se dessiner cette année, soit un demi-siècle après A Chjama di u Castellare, le bout de la longue route vers l’autonomie ?


A l’issue de la session extraordinaire de l’Assemblée de Corse du 4 juillet dernier, le camp siméoniste et les élus qui l’auront soutenu présenteront comme une étape majeure du parcours devant permettre d’accéder à l’autonomie, le vote majoritaire d’un texte qui leur servira de support pour poursuivre les négociations avec l’État et dont l’adoption appellera une réponse d’Emmanuel Macron. Il est même probable que cette étape sera qualifiée d’historique par de nombreux élus et observateurs. Une de plus… En effet, depuis l’avènement de la revendication autonomiste, les étapes majeures et dites historiques n’ont pas manqué.


1973 : A Chjama di u Castellare.


La première de ces étapes a probablement été A Chjama di u Castellare. Le 7 janvier 1973, lors d’une réunion à Castellare di Casinca, le Partitu di u Populu Corsu (PPC) a proposé un texte rédigé par un de ses responsables (Charles Santoni, co-auteur de l’essai « Main basse sur une île » qui dénonçait la situation coloniale de la Corse). L’adoption puis la diffusion de ce texte sous forme d’appel adressé au peuple corse ont été fondateurs. Ceux qui l’on fait leur sont passés de la demande d’un pouvoir régional octroyé par l’État à l’exigence d’une autonomie fondée sur l’affirmation des droits historiques et nationaux d’un peuple. En effet, A Chjama a situé l’autonomie en tant que choix devant résulter d’une autodétermination, c’est-à-dire droit du peuple corse à choisir librement son destin : « Nous déclarons que le peuple corse a reçu de la nature et de l’histoire le droit inaliénable d’être maître de son destin et de son sol, l’île de Corse […] Nous engageons aujourd’hui une action légale, conforme aux dispositions de la Constitution française, pour assumer l’autonomie interne. » Dans un premier temps, L’Action Régionaliste Corse (ARC) que dirigeaient Edmond et Max Simeoni, est restée en retrait. Toutefois, sous l’impulsion de la base,elle a fait sienne la revendication autonomiste dès l’été 1973 et publié, en 1974, un ouvrage intitulé « Autonomia, pour que vive le peuple corse » qui a popularisé la revendication autonomiste.


1982 : le statut particulier


Les étapes suivantes n’ont pas forcément été intitulées autonomistes. Elles ont cependant représentée autant d’avancées majeures et dites historiques vers le statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice qui, à ce jour, reste à arracher. La premières d’entre elles a été l’obtention du Statut Particulier. En 1977, après les événements d’Aleria (1975) et l’apparition du FLNC (1976), le Parti Socialiste a déposé une proposition de loi portant Statut particulier pour la Corse. La réaction du texte devait beaucoup à la réflexion, à la force de proposition et aux plumes de Dominique Taddei alors membre de la direction nationale Parti Socialiste et ferme partisan de l’autogestion régionale, et d’un breton, Louis Le Pensec,alors député du Finistère et lui aussi membre de la direction nationale du Parti Socialiste. En 1981, l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République ayant permis d’ouvrir le chantier de la décentralisation, Dominique Taddei qui avait été élu député a été, à l’Assemblée Nationale, le coordinateur et le principal orateur du groupe socialiste lors du débat sur le projet de loi qui a ouvert le voie à l’instauration du Statut particulier aussi appelé Statut Deferre. Instauré par la loi n° 82-214 du 2 mars 1982 qu’a complétée la loi Loi n°82-659 du 30 juillet 1982 fixant les compétences, le Statut particulier a représenté une première (dans l’Hexagone, les régions n’ont été mises en place qu’en 1986) notamment parce qu’a été instauré, en août 1982, un organe politique alors original dans la construction institutionnelle française : une assemblée régionale (Assemblée de Corse), élue au suffrage universel, ayant un pouvoir délibératif.


1991 : le statut Joxe


A la fin des années 1980, les insuffisantes marges de manœuvre offertes par le Statut particulier ainsi que la montée en puissance de la lutte de libération nationale impulsée par le FLNC ont conduit à une nouvelle étape majeure. En 1988, après la réélection de François Mitterrand à la présidence de la République, des discussions ont été ouvertes entre les forces politique corses (y compris les clandestins) et le ministre de l’Intérieur Pierre Joxe. Ce dialogue a eu pour aboutissement l’adoption d’un texte législatif qui a donné naissance à l’évolution institutionnelle communément appelée Statut Joxe (loi n° 91-428 du 13 mai 1991. Ce texte a fait de la Région Corse une collectivité territoriale « sui generis ». La dénomination « Collectivité Territoriale de Corse » a remplacé « Région Corse ». Un Conseil exécutif a été instauré. L’État a dévolu d’importantes compétences dans de nombreux domaines : transports (services publics aérien, maritime et ferroviaire, routes nationales, haut débit), aides à l’économie (agriculture, tourisme, pêche…), formation des hommes (formation professionnelle, cartes et équipements scolaires et universitaires ; valorisation de la langue et de la culture corses, protection du patrimoine, préservation de l’environnement naturel.


1999-2002 : le processus Matignon


A la fin des années 1990, durant la période dite de « retour à l’état de droit » ayant suivi l’assassinat du préfet Claude Erignac et au nom du préalable « arrêt de la violence », aucune discussion officielle portant sur des évolutions institutionnelles n’a eu lieu. Après deux attentats spectaculaires ayant eu lieu en plein jour à Aiacciu le 25 novembre 1999 qui ont fait craindre une escalade « à la libanaise » de l’action clandestine, le Premier ministre Lionel Jospin a invité tous les élus de la Corse au dialogue et a ainsi initié ce qui a été appelé le processus Matignon. Celui-ci a été marqué par l’adoption par l’Assemblée de Corse, les 9 et le 10 mars 2000, de deux motions. L’une ayant recueilli 26 votes était favorable à une extension de la décentralisatrice (reconnaissance de l’existence d’une communauté culturelle spécifique mais non du peuple corse, pouvoir réglementaire). L’autre ayant recueilli 22 vote ouvrait vers un statut d’autonomie (reconnaissance juridique du peuple corse, pouvoir législatif). Les deux textes ont été transmis au Premier ministre. Lionel Jospin a demandé au gouvernement d’aboutir à un texte consensuel en concertation avec tous les élus de l’Assemblée de Corse. Au début de l’année 2001, un projet de loi a été adopté par le Parlement. Le Conseil constitutionnel ayant censuré certaines dispositions (notamment la dévolution d’un pouvoir législatif encadré), la loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse n’a pas répondu aux attentes de la plupart des élus de l’Assemblée de Corse qui espéraient un pas décisif vers une véritable autonomie. Elle a cependant représenté une nouvelle étape significative car la Collectivité Territoriale de Corse a pu engranger de nouvelles compétences (propriété et gestion des forêts domaniales, des ports et aéroports principaux, du chemin de fer, des ouvrages hydrauliques, de biens culturels et universitaires ; élaboration et adoption du PADDUC). Par ailleurs, il est ressorti du processus Matignon qu’au sein de la classe politique corse, l’idée autonomiste avait progressé au-delà du camp nationaliste.


2023 : processus Beauvau


Depuis le 1er janvier 2018, la Collectivité de Corse est devenue une collectivité à statut particulier en lieu et place de la Collectivité Territoriale de Corse et des départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse. Cette évolution qui n’a guère augmenté le « pouvoir corse », a cependant instauré un cadre institutionnel et une représentation démocratique propices à l’instauration d’un statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice. Petite étape, néanmoins progrès. Depuis, le processus Beauvau a débuté à la suite des mobilisations ayant suivi l’assassinat d’Ivan Colonna en mars 2022. Verra-t-on se dessiner cette année, soit un demi-siècle après A Chjama di u Castellare, le bout de le bout longue route vers l’autonomie ?


Pierre Corsi
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