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Patricia Gattaceca << Seranu puesiole ? la traversée >>

Patrizia Gattaceca à écouter avec délice, à lire avec plaisir. L’auteure-compositrice-actrice- poète-chanteuse a eu l’heureuse initiative de faire publier les textes de ses cinq derniers albums. Un bonheur de lecture.

Patricia Gattaceca : « Seranu puesiole ? La traversée »


Patrizia Gattaceca à écouter avec délice, à lire avec plaisir. L’auteure-compositrice-actrice- poète-chanteuse a eu l’heureuse initiative de faire publier les textes de ses cinq derniers albums. Un bonheur de lecture.



Quand on demande à Patrizia Gattaceca pourquoi publier ? Pourquoi un livre ? Elle explique simplement qu’à l’origine de ses albums il y a des poèmes. Elle regrette que les CD ne s’accompagnent pas des textes des chansons… impasse malheureuse. Elle souligne que l’écoute d’un chant à la radio ne permet pas toujours de percevoir le sens exact d’un vers, d’un mot, d’où ce recueil de poésie qu’elle offre en cadeau au lecteur, d’où cet écrin qu’est le livre.

L’ouvrage a une belle typographie, un agréable graphisme qui aident beaucoup à la lecture. Les poèmes dégagent des atmosphères contrastées, des ambiances singulières. Si soudain surgit un mot rare, si brusquement jaillit une expression inhabituelle, la traduction en français pallie notre lacune et nous sauve du ridicule qu’on pourrait ressentir face à une inaptitude, même parcellaire de la langue corse. Et puis ce va-et-vient entre corsophonie et francophonie est un exercice bien plaisant qui ouvre l’esprit. Qui dégage les horizons de la pensée. Qui vivifie l’imagination. Alors défile une pluie d’images… et on se fait un film.

Tous les poètes l ’affirment : il est difficile de se traduire soi-même. Comment contourner l’obstacle ? Réponse de Patrizia Gattaceca : prendre de la distance. Retravailler un poème si une première version en français est jugée peu satisfaisante. Remettre l’ouvrage sur le métier afin de peaufiner, de fignoler. Constater que les langues sont porteuses d’imaginaires différents. « En traduisant on découvre qu’on est riche de plusieurs cultures », dit la poétesse qui vient de se régaler en effectuant une traduction de poèmes catalans en corse. Selon elle contrairement à une idée reçue traduire n’est pas trahir, car s’exprimer dans une langue autre c’est évoquer une autre réalité. Le piège : ne pas conserver le rythme du poème initial.

Patrizia Gattaceca se plait encore à attester qu’en Corse le lien entre poésie et chant ne s’est jamais distendu, à preuve i poeti se lançant des défis poétiques dans les chjam’è rispondi et dans tout le répertoire de chants né avec e riacquistu.

Dans le recueil « Seramu puesiole ? La traversée », on retrouve les poèmes des albums, « Passagera », « Terra nostra », « Epupea », « A cerca » ainsi que « Carmini » mise en musique d’extraits de « Charmes » de Paul Valery avec une traduction de Ghjacumu Thiers.

Michèle Acquaviva-Pache



ENTRETIEN AVEC PATRIZIA GATTACECA


Quel est l’axe majeur de « Passagera » et des poèmes sur lesquels vous avez composé des musiques ?
Le passage. Et moi je suis la passagère, la passante, la passeuse ce qui revoie au titre français du livre, « La traversée » et à des notions de parcours, de temps, de rencontres et de tout ce qui nous traverse.



Pourquoi attachez-vous tant d’importance aux pochettes de vos albums ?
J’aime cet objet qu’est l’album et je souhaite donner au public, avec la pochette, une œuvre d’art. La pochette est inséparable du contenu du disque. Elle en apporte le ton. I faut qu’elle parle à celle ou à celui qui la regarde. Il doit y avoir mise en cohérence avec la musique et les poèmes.



Vous avez sollicité Dominique Degli Esposti et Armand Luciani, deux plasticiens, pour les pochettes de vos cinq derniers albums. Pourquoi ?
J’ai la chance d’avoir pour ami, Dominique Degli Esposti, dont j’aime beaucoup la peinture. Pour « Passagera » il m’a offert une photo avec un enfant à l’horizon évoluant dans des bleus qui le caractérisent. L’ensemble est un hommage à la Méditerranée et aux gens qui vivent autour. Pour « Terra nostra » je lui ai fait écouter mon projet. Il a pris pinceaux, papier, couleurs, au final c’est devenu la silhouette d’une Vénus gravettienne - statuette datant du paléolithique – qui symbolise l’origine de la vie. Avec Armand Luciani je lui ai parlé de Valéry et pour « Carmini » il ma donné une photo très épurée. Pour la pochette d’« Epupea – Digenis Akritas » dont l’histoire se situe à la limite entre Occident et Orient il a composé une image comportant un clocher d’église et un palmier, deux références au contexte géo-historique de l’épopée. Pour « A cerca », qui reprend l’histoire de Noé, il a conçu le graphisme de l’œil du cyclone qui rappelle l’œil du divin et la granitula.



« Terra nostra », cet album est-il un acte de foi envers la terre-mère ?
« Terra nostra » vogue de villes emblématiques en lieux où l’on se perd et où l’on se retrouve, où je capte la poésie qui se cache dans un regard, dans une rue. Alors j’écris mon ressenti ou l’enregistre sur mon téléphone. « Terra nostra » c’est un voyage où l’on se sent citoyen de monde car il nous renvoie à notre humanité.



Grâce à l’album, « EpupeaDigenis Akritas » vous nous avez fait découvrir un poème épique byzantin datant du XII è siècle. Comment avez-vous eu cette idée ?
Lors d’un colloque j’ai rencontré Paolo Odorico qui m’a révélé les exploits et les prouesses du héros byzantin. J’ai été séduite par le merveilleux du récit et par sa portée qui ne se réduit pas à ses aspects guerriers. Au contraire j’en ai fait un symbole de paix, de concorde incarnée par le personnage devenu le gardien des frontières. J’ai aussi mis l’accent sur son histoire d’amour. Cette épopée c’est toute la Méditerranée en sa complexité dans ses rapports entre chrétienté et islam.



Noé et le déluge pour quelles raisons cela vous a-t-il inspiré l’album, « A cerca » ?
Pendant le premier confinement j’ai relu beaucoup de choses et j’ai pensé à Noé car il m’a posé la question : comment fait-on après ? Comment reconstruit-on le monde après une catastrophe ? Comme peut-on être résilient ? Puis en relisant le récit biblique je me suis aperçu que sa femme de Noé n’avait pas de nom. Ça m’a énormément énervée, donc j’ai voulu l’évoquer parce que le nouveau monde se fait à deux et que la femme a autant sa part que l’homme.



Vous avez mis en musique des poèmes de Valéry extraits de son recueil, « Charmes », traduits par Ghjacumu Thiers. De quelle manière a germé ce projet ?
Le projet, « Carmini », est né lors d’un colloque organisé par la chaire, « Esprit méditerranéen » de l’université de Corse en 2018. L’album est sorti en 2019. Avec Jean Bernard Rongiconi du studio « L’Angelina » on est sorti des codes de la chanson. En suivant nos ressentis, nos fulgurances on a opté pour une peinture musicale. On a abordé les poèmes de Valéry en utilisant des couleurs sonores un peu à la façon dont procède sur sa toile un peintre abstrait. L ’album a eu le prix Charles Cros.



De la musicienne que vous êtes on dit qu’elle est en transit. Qu’est-ce que cela peut signifier ?
C’est une référence à « Passagera » parce que tous on est en transit entre un endroit et un autre. Cela renvoie également à « A cerca », car on se cherche toute notre vie en voulant mieux se connaître et apprendre à aimer le monde.

Propos recueillis par M.A-P





























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