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"Déluge d'al-Aqsa" Le Hamas a renversé la table

C’est certain, Israël sortira militairement vainqueur du douloureux et sanglant affrontement avec le Hamas ayant débuté par le « Déluge d’al-Aqsa ».

« Déluge d’al-Aqsa » : le Hamas a renversé la table

C’est certain, Israël sortira militairement vainqueur du douloureux et sanglant affrontement avec le Hamas ayant débuté par le « Déluge d’al-Aqsa ». Mais que de chamboulements aussi bien dans la société israélienne que dans le monde arabe. A chaud, quelques éléments

Une inquiétante et humiliante vulnérabilité d’Israël

En octobre 1973, au début de la guerre du Kippour, l’existence d’Israël avait été menacée. Mais cette situation avait été causée par les offensives-surprise de deux armées bien entraînées et équipées qui avaient eu toute latitude de s’organiser et se déployer sur les territoires de deux États (Égypte, Syrie). Le 7 octobre dernier, Israël a laissé apparaître une vulnérabilité bien plus inquiétante. En effet, face à un groupe sommairement armé et ayant agi depuis un territoire minuscule étant sous surveillance depuis des décennies, les service de renseignement ou le gouvernement n’ont pas su traiter les informations qui auraient pu révéler l’imminence d’une agression massive, et Tsahal a manqué de réactivité durant des heure, ce qui a généré un bilan aussi traumatisant qu’humiliant (villes dévastées, populations terrorisées, plus de 700 morts et 2300 blessés, au moins 130 otages). Charles Enderlin, ancien correspondant de France 2 à Jérusalem, fin connaisseur des problématiques du Moyen-Orient, a souligné : « Cette attaque marque l'effondrement de la conception israélienne de la sécurité et de la défense. Des milliards ont été dépensés pour construire autour de Gaza une barrière soi-disant infranchissable et voilà des centaines de commandos du Hamas qui ont pénétré le territoire israélien.»


La déstabilisation d’une stratégie politique israélienne


L’opération du Hamas déstabilise une stratégie politique mise en œuvre par Israël depuis 2005 à initiative du Premier ministre Ariel Sharon, à savoir : retrait total de la bande de Gaza ; remise de l’administration de ce territoire aux Palestiniens (Autorité Palestinienne de 2005 à 2007, Hamas de 2007 à aujourd’hui ) ; sécurisation des zones frontalières en contrôlant strictement les accès à la bande Gaza et la libre circulation des Gazaouis.


Benyamin Netanyahu fragilisé


Benyamin Netanyahu a promis : « Nous sommes en guerre et nous gagnerons […] Le Hamas paiera un prix sans précédent ». Ces paroles martiales ne suffisent toutefois pas à cacher que le Premier ministre israélien est fragilisé. En effet, après le temps du deuil et la période d’unité nationale qui durera tant que dureront la riposte contre le Hamas et tout ce qui sera fait pour sauver les otages, il pourrait être mis en cause quand seront recherchées les causes de la faillite des services de renseignements ou de la mauvaise exploitation de leurs informations, ainsi que celles de l’absence de fiabilité et de réactivité de l’appareil sécuritaire. Il lui faudra aussi faire face aux exigences d’élus de la coalition gouvernementale droite, extrême-droite et partis religieux, qui, n’ayant que faire des oppositions internes et internationales à ces mesures, poussent à des solutions hyper-sécuritaires (réoccupation de la bande de Gaza, annexion de l‘ensemble de la Judée-Samarie (Cisjordanie), déplacement des palestiniens habitant des territoires annexés vers les pays arables limitrophes, action militaire préventive contre le Hezbollah et l’Iran.



Un coup d’arrêt à la « normalisation » Israël-Arabie Saoudite


Les Accords d’Abraham ont permis une « normalisation » des relations d’Israël avec les Émirats Arabes Unis et le Bahreïn, puis avec le Soudan et le Maroc. Selon le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (interview réalisée en septembre dernier par la chaîne TV Fox News, USA), aboutir une « normalisation » entre Israël et son pays était en bonne voie même si cela nécessitait une prise en compte de la question palestinienne : « Nous espérons qu'elles aboutiront à un résultat qui facilitera la vie des Palestiniens et qui permettra à Israël de jouer un rôle au Moyen-Orient ». De nombreux experts estiment que parvenir à cette « normalisation » relèvera de la longue durée. « On peut s’attendre à ce qu’Israël riposte très fortement et crée un environnement dans lequel le processus de normalisation sera retardé pour une durée indéfinie, voire mort » a même prédit l’un d’eux, Umar Karim, chercheur à l’Université de Birmingham, spécialiste de la politique étrangère saoudienne). Cette propos tenus au Royaume-Uni rejoignent et complètent ceux tenus à Paris par David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès et spécialiste des relations israélo-golfiques : « La multiplication des victimes civiles côté palestinien, pour le Hamas comme pour l’Iran, c’est un avantage stratégique. Ce sont des trophées qui vont être utilisés dans une guerre d’image contre Israël pour ralentir voire stopper les chancelleries arabes dans leurs négociations avec les Israéliens. »


Un révélateur de la fragilité des « normalisations »


Les réactions après le « Déluge d’al-Aqsa » révèlent la fragilité des « normalisations ». Dans les rues des capitales arabes, nombreux ont été ceux qui ont exprimé leur soutien au Hamas. La plupart des médias des pays arabes, s’ils n’ont pas approuvé le « Déluge d’al-Aqsa » comme l’ont fait leurs homologues syriens ou les médias iraniens, ont toutefois laissé filtrer de la complaisance envers l’opération conduite par le Hamas. Exemples : le principal quotidien des Émirats arabes unis, Al-Emarat Al-Youm, n’a pas mentionné l’événement en Une et, en pages intérieures, a insisté sur l’appel des Émirats à la désescalade ; la chaîne qatarie al-Jazeera a titré « Le Déluge d’al-Aqsa : des scènes que n’oublieront pas les Israéliens » et publié des photos valorisant les combattants du Hamas. Les états arabes n’ont pas condamné le « Le Déluge d’al-Aqsa » et ont opté pour un appel à l’apaisement qui, s’il est entendu, préservera le Hamas. Ainsi l'Arabie Saoudite a demandé « l'arrêt immédiat de l'escalade » ; les Émirats Arabes Unis, en leur qualité de membre non-permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, ont exhorté la communauté internationale à « faire pression en vue d’une paix juste et globale » ; le président égyptien a mis en garde contre « les graves conséquences d’une escalade de la violence entre Israël et Gaza » ; la Jordanie a « appelé au calme à Gaza » ; Le Maroc a demandé au Conseil de la Ligue Arabe de « tenir une réunion d’urgence pour discuter de la détérioration de la situation dans la bande de Gaza ainsi que des moyens de mettre fin à la dangereuse escalade ».


Un renforcement de la légitimité et de l’influence du Hamas


Le Hamas pourrait, en invoquant sa « victoire » et ses « martyrs », gagner en légitimité et en influence. Le politologue algérien Hasni Abidi qui dirige le CERMAM (Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, Université de Genève), souligne en évoquant le « Déluge d’al-Aqsa »: « C’est un tournant, dans la mesure où le Hamas, aujourd’hui, se positionne comme unique interlocuteur, évidemment, voulant une certaine légitimité populaire palestinienne. Et même dans l’espace arabo-musulman, c’est un tournant, parce que c’est la première fois que nous assistons à un mouvement palestinien qui occupe des terres dans le sud d’Israël, ce que même des états arabes n’ont pas réussi à faire. Et le troisième élément, c’est que cette attaque massive et surprise montre finalement la fragilité et la vulnérabilité du système de sécurité israélien. » Il convient de retenir aussi qu’en ayant réussi à mettre en difficulté l’appareil militaire et sécuritaire israélien , le Hamas a désormais toute sa place au sein de « l’Axe de la résistance » (Hamas-Hezbollah-Syrie-Iran) dont, jusqu’au 7 octobre dernier, il n’était qu’un acteur secondaire. Enfin, le journaliste Anthony Samrani, dans le quotidien libanais l’Orient-Le Jour, a souligné que « la défaillance israélienne » en donnant au Hamas l’occasion de revendiquer sa victoire », permettra très probablement à ce dernier de « se présenter comme le seul susceptible d’occuper l’espace local de la représentation palestinienne face à un Fateh en fin de vie.



Gaza : un enfer devenu l’Enfer


Gaza est une cage. Sur une bande de terre entre mer et désert d’environ 40 km de long et 6 à 12 km de large, sont entassés deux millions d'habitants. Gaza est No Future. La vie quotidienne s’y déroule sur fond de chômage, de misère et d’aide alimentaire et sanitaire internationale indispensable à la survie de la majeure partie de la population, et aussi de bon vouloir de deux États (Israël, Égypte) qui régissent la possibilité de disposer d’eau potable, de carburant et d’électricité, de travailler, de rencontrer, de commercer, de circuler, de voyager. Gaza est une prison. Des soldats et des policiers l’enserrent dans des systèmes de techno et de cyber surveillance, des checkpoints, des barrières électrifiées et des plots de béton. Des groupes islamistes armés et principalement, depuis 2007, le Hamas, y exercent leur emprise en imposant l’observance d’un islam intégriste et en se rendant coupables d’innombrables violations des droits de l'Homme. Il convient de retenir que le Hamas est une pieuvre nationalo-théocratique qui encadre et dirige la vie des gazaouis à partir de structures politiques, cultuelles, militaires, économiques, sociales, éducatives et culturelles ; qui, excroissance des Frères Musulmans, professe la destruction de l’État d’Israël par le fer et le feu et son remplacement par la création d’un État palestinien islamique, en effet sa Charte énonce : « Renoncer à quelque partie de la Palestine que ce soit, c'est renoncer à une partie de la religion […] Il n'y aura de solution à la cause palestinienne que par le djihad. » Gaza était un enfer. En lançant régulièrement des salves de quettes sur les villes israéliennes, le Hamas provoquait des ripostes de l’armée israélienne, d’autant plus meurtrières et destructrices qu’elles devaient frapper des installations militaires, des armements et des combattants dont les bouclier et le camouflage n’étaient autres que la population et les zones habitées.
A l’heure où j’écris ces lignes, Gaza est devenue l’Enfer dont sont sortis des démons qui ont semés la mort avant de la trouver, où sont dissimulés des combattants et des geôliers dont on peut craindre qu’ils deviennent des assassins d’otages avant de se conduire en martyrs, où sont condamnés à rester des otages et deux millions d’êtres qui n’auront eu dans leur existence que le choix entre la misère et la misère, le fanatisme et le fanatisme, la guerre et la guerre, la souffrance et la souffrance, la peur de vivre et la peur de mourir. La guerre totale s’abat sur eux et s’y ajoute un implacable blocus qui bientôt les privera de tout. Gaza sera in fine un cimetière où auront péri trop d’innocents étant nés au mauvais endroit. Cependant cela permettra peut-être d’éliminer le Hamas. J’écris « peut-être » car ce n’est pas acquis. En effet, comme celles de l’Hydre de Lerne, ses têtes repousseront plus nombreuses si elles ne sont pas coupées en une fois et il est possible que pour épargner des vies innocentes, l’Iron sword israélienne laisse des monstres sauver leur tête.


Alexandra Sereni
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