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La Squadra corsa veut sa reconnaissance

Une demande de reconnaissance de la part des instances internationales du football

La squadra corsa veut sa reconnaissance


Les responsables de la squadra corsa tiendront leur Assemblée Générale annuelle le 28 octobre prochain. Au coeur d’un ordre du jour particulièrement chargé, la sempiternelle demande de reconnaissance de la part des instances internationales du football. Une demande qui dépasse largement le seul domaine sportif et relève inéluctablement de la sphère politique. La squadra veut également mutualiser les jeunes « nationaux » au sein d’une seule catégorie intégrant les joueurs corses…



Portée par le fabuleux exploit de la sélection, qui en février 1967, battit l’équipe de France de Just Fontaine à Marseille (2-0), la squadra corsa n’a eu de cesse, depuis des années, d’être sur le devant de la scène. De fait, le sélectionneur des Bleus de l’époque, meilleur buteur de l’histoire de la coupe du monde aurait même dit au terme de cette rencontre épique « Ils en ont dans le ventre, les Corses. Si un jour, on leur file l’indépendance, ils pourront espérer jouer un rôle au niveau international. »

Depuis 1967, de l’eau a coulé sous les ponts. Après d’autres rencontres amicales éparpillées ça et là, la squadra corsa a pu renaître de ses cendres dans les années quatre-vingt et surtout deux mille mais étroitement liée à la sphère politique et plus particulièrement aux revendications nationalistes, lesquelles s’étant efforcées de récupérer le football. Ainsi, c’est après une longue période de mise en sommeil, que le regretté Lucien Felli et Dédé di Scala ont relancé l’idée d’une squadra corsa avec, depuis 2009 des matchs de prestige face à des sélections telles que le Gabon, la Bulgarie, le Burkina Faso, le Pays Basque ou encore le Nigéria.

Mais voilà que depuis quelques années, la demande de reconnaissance, étayée par la présence au niveau international, de sélections telles que Gibraltar, Andorre ou les Îles Feroe pour ne citer que celles-là, s’intensifie. Pour autant, elle n’est pas sans poser des problèmes. « Pour comprendre cette situation, analyse Didier Rey, historien du sport, il est important de remonter aux origines. Dans les années quatre-vingt, les instances internationales du football n’étaient pas aussi strictes qu’aujourd’hui pour ce qui concerne la reconnaissance d’une sélection dite « nationale ». Ce qui avait permis, à l’époque, à Tahiti et la Nouvelle Calédonie d’avoir cette reconnaissance. Tout comme en Europe, une sélection telle que les Îles Feroe qui disposent d’un statut d’autonomie qui équivaut quasiment à en faire un Etat... »


« La Corse a manqué le coche dans les années 80 »


De fait, tout s’est bousculé à partir de l’implosion de l’ex URSS en 1989. « Une trentaine de pays ont émergé et chacun a eu cette reconnaissance, ajoute Didier Rey, mais la Corse a manqué le coche bien avant. Elle aurait pu, et cela avait même été évoqué à l’Assemblée de Corse, obtenir cette reconnaissance bien avant. Aujourd’hui, c’est quasiment impossible. »

En 2015, les statuts de la FIFA ont été modifiés et une sélection doit être aujourd’hui reconnue par la majorité des pays membres de l’ONU pour avoir le droit de disputer les éliminatoires d’une coupe du monde ou d’un Euro. Ce fut notamment le cas du Kosovo. Seul cas, Gibraltar dont l’Espagne s’était opposée à la reconnaissance. « La demande ayant été faite avant 2015, argumente encore l’historien, Gibraltar a eu, in fine, gain de cause... »

Et la Corse dans tout ça ?

Elle voudrait s’appuyer, dans ses revendications, sur le statut de la Guyane, Martinique et Guadeloupe dans la zone Concacaf mais là encore, problème. « Ces régions sont membres associés et non pays, ils peuvent participer à la Gold Cup mais pas aux éliminatoires de la coupe du monde. »

« l’Euro, ce n’est pas une chimère, c’est tout à fait réalisable. »


Et les responsables de la squadra corsa veulent justement s’appuyer, au niveau européen, sur cette notion de « membres associés » pour faire valoir leurs revendications. « Il ne s’agit pas, pour nous de disputer une finale de coupe du monde ou d’Euro face à l’équipe de France, souligne Dédé Di Scala, ce n’est pas une fin en soi. L’objectif consister à bâtir une sélection afin qu’elle abrite nos meilleurs jeunes et attire, derrière, les joueurs corses. On ne pourra, certes pas disputer les éliminatoires d’une coupe du monde, mais l’Euro, ce n’est pas une chimère, c’est tout à fait réalisable. Nous avons cette volonté depuis trois décennies, pour nos jeunes.»


Mutualiser au niveau des jeunes


Une revendication au demeurant légitime mais elle n’est pas sans poser de nouveaux problèmes. La Ligue Corse de football abrite 10000 licenciés, « le même nombre qu’il y a 25 ans, ajoute Didier Rey, mais on est passé de 250000 à 340000 habitants. Difficile de privilégier des joueurs du cru. Même si avec le développement péri-urbain et des quartiers, des clubs voient le jour et le football se développe, nous ne sommes plus du tout dans la même configuration que dans les années soixante et soixante-dix. Les joueurs corses étaient certes plus nombreux mais la société a évolué. Aujourd’hui, avec l’émergence d’autres disciplines même dérivées du football (futsal, futnet, beach soccer) mais pas que, il est très difficile de n’avoir que des jeunes corses dans les clubs. »

Pour Dédé Di Scala, la nécessité de mutualiser au niveau des jeunes, s’impose. « Si l’on prend les U17 et U19 nationaux à Bastia, l’ACA, Borgo et au GFCA, nous avons près de 140 joueurs. Or, impossible d’alimenter ces clubs avec uniquement des jeunes corses. Et nous sommes loin des années quatre-vingt, quatre-vingt dix où l’on pouvait voir émerger de réels talents tels qu’Essien ou Song. Aujourd’hui, nous sommes face à une réalité. Les clubs corses recrutent des joueurs bien après les grands et moyens clubs de Ligue 1 et Ligue 2. Depuis dix ans, seuls cinq ou six joueurs ont émergé au niveau professionnel, c’est un constat alarmant. L’idée, tout en conservant bien sûr les centres de formation des clubs, consisterait à n’avoir qu’une seule équipe en U17 et U19 nationaux mais avec uniquement des joueurs corses issus d’un centre commun. Ce serait un plus. Aujourd’hui, le ratio de joueurs insulaires dans les clubs corses est de 30 %. or, les gens ont besoin, à haut niveau, de s’identifier à des joueurs. Or, on se reconnaît par ce que représente un maillot et l’amour du club, pas par des joueurs, il faut inverser cette tendance. »

Un analyse qui devrait être évoquée lors de l’AG du 28 octobre où il sera question de 2024 avec, visiblement, un match retour contre la Sicile et/ou un tournoi incluant la Catalogne au programme. Quant à la reconnaissance de la Squadra Corsa, il faudra sans doute attendre les suites du processus d’autonomie de l’île pour en savoir plus. Le ballon intègre donc bel et bien la sphère politique.

Philippe Peraut
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