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Un très honnête bandit d'Antoine Albertini

Un livre qui dit la réalité du banditisme corse

Un très honnête bandit d'Antoine Albertini, un livre qui dit la réalité du banditisme corse


Le titre du dernier livre ouvrage par Antoine Albertini est évidemment un pied de nez envoyé à tous ceux qui depuis deux siècles ont écrit le banditisme corse sous forme romantique. Un très honnête bandit décrit souvent de façon crue et réaliste le parcours de Xavier Rocchini, devenu bandit pour venger son père, assassiné par une famille ennemie. Mais au lieu de dépeindre un bandit d'honneur versus Mérimée, il croque ce tout jeune homme qu'on avait surnommé l'Animali après qu'il avait tué dans d'atroces circonstances une jeune bergère de seize ans qui se refusait à lui. Son procès avait été suivi dans le monde occidental fasciné par cette brutalité gratuite qui semblait contrevenir à la légende du "bandit honnête".


Le récit d'une tyrannie


Les critiques ont trop souvent l'habitude de citer de vastes extraits d'un livre pour donner l'envie de lecture. Mais le livre d'Antoine Albertini, outre une belle écriture, un récit magnifiquement mené et une véritable enquête journalistique, mérite plus que ça. Il trace cette fin du XIXÒ‹ siècle en Corse du Sud alors que l'économie insulaire entamait un timide décollage laissant sur le carreau les plus archaïques des indigènes le plus souvent instrumentalisés par le jeu des clans, les uns bonapartistes, les autres républicains. Or les grands écrivains français se sont succédé sur les routes de Corse pour relater les exploits du bandit idéalisé. « Flaubert en personne tâterait de la question en 1840 avec l’enthousiasme puéril de ses dix-neuf ans. Attiré par l’orbite maléfique des bandits, il visita Ajaccio, Corte, Bastia, poussa jusqu’à la plaine d’Aleria et la forêt de Vizzavona sans s’épargner de paresseux jugements : « un bandit est ordinairement le plus honnête homme du pays, écrivit-il ainsi dans ses Impressions de voyage qui ne furent publiées qu’après sa mort […] ; il ne faut point juger les mœurs de la Corse avec nos petites idées européennes ».

En contrepoint Antoine Albertini nous restitue la réalité poisseuse d'un banditisme crapuleux incarné par Xavier Rocchini, jeune homme d'une vingtaine d'années qui, après avoir pris le maquis pour avoir vengé son père, avait connu l'inévitable dérive du voyou : racket, menaces, assassinats multiples et variés pour finir par l'horreur absolue lorsqu'il martyrise et tue la jeune Jeannette Melanini.

La Corse entre terreur et terreur


Mon grand-père m'avait parlé de l'Animale qu'il opposait à la figure ensoleillée de Ghjuvan Cameddu Nicolai, lui aussi entré en clandestinité et qui devait avoir à peu près le même âge que l'Animali. Autant dire tout de suite que lui aussi fut un parcittori, un racketteur qui vendait "sa force de travail" au clan républicain. Mais il avait eu la chance, après qu'il avait été abattu par les gendarmes à La Trinité de Bonifacio, d'être encensé dans un lamentu fameux écrit par un homme d'Église et connu dans toute la Corse. Rocchini restera comme l'incarnation du bandit atroce. Mais il n'était pas le seul. Albertini en donne un aperçu en livrant les horreurs commises par Capretta, d'Antonini. Giovanni Natale Franceschi avait eu le cœur et les entrailles arrachées et suspendues à un arbre pour terrifier les villageois. « Héros ! Héros ! Héros ! Héros jusqu'à déshonorer les femmes parce que la mort pour elles ne suffit pas. » écrit Albertini animé par une sainte fureur ô combien justifiée.

Une formidable enquête journalistique


Albertini utilise les mots comme les couleurs d'une palette. Il nous fait sentir l'odeur des excréments, de la saleté comme peut-être aucun auteur n'avait réussi à le faire pour ce qui concerne la Corse. Alternant des passages historiques sur le banditisme et la triste épopée de l'Animale, il désacralise un phénomène social et une légende. Les autorités n'ont pas le meilleur rôle qui reprennent à leur compte l'exercice du taglio génois consistant à payer un bandit pour qu'il en tue un autre. L'enquête journalistique qui a servi de support au récit est exemplaire. Trop de crétineries en forme de ritournelles avaient été écrites sur le banditisme. Le livre d'Antoine Albertini est un livre salutaire. Il démontre aussi que la fameuse mafia qu'aujourd'hui on croit découvrir possède de bien anciennes racines dans notre société. "Un très honnête bandit" un livre qu'il faut comprendre comme l'antithèse du romantisme. Pas sûr que les lecteurs continentaux parviendront à ouvrir ce double tiroir. Qu'importe : c'est aussi un très beau roman au style parfois sans concession et parfois plus doux qui raconte une Corse qui hésite à entrer dans cette modernité qui frappe à sa porte. Xavier Rocchini fut le dernier condamné à mort décapité en place Porta à Sartène le 5 septembre 1888 par un bourreau qui, paraît-il, tremblait de peur. Rappelons enfin que le sujet avait été choisi par Paul Filippi qui en 2012 en avait fait le thème de son documentaire intitulé L'Animali.

GXC


Un très honnête bandit d'Antoine Albertini,
éd. J-C. Lattès, 447 pages, 21,90 €Ò
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