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STC : La libération nationale mise ne question ?

A priori, maintien de la référence à un objectif de libération nationale.
STC : la libération nationale mise en cause ?


A priori, maintien de la référence à un objectif de libération nationale. Cependant le risque d’une dissociation entre lutte de libération sociale et lutte de libération nationale et le risque de « dépolitisation croissante et inquiétante du salariat »
qu’a dénoncé Alain Mosconi, ne sont pas négligeables.



Alain Mosconi, responsable du STC (Sindicatu di i Travagliadori Corsi) au sein de la compagnie maritime Corsica Linea, a dernièrement tourné une page syndicale et une page professionnelle : « Je décide sans plus attendre de mettre un terme à ma fonction de délégué syndical ainsi qu'à celle d'élu du CSE. Pour aller au bout de ma logique, et ce malgré le fait que mes annuités soient incomplètes et donc incompatibles pour prétendre à une retraite pleine et entière, j'ai décidé malgré tout de quitter prématurément la compagnie. » Cette double décision est survenue après les élections des représentants du personnel au CSE (Comité social et économique) de la Corsica Linea ; élections à l’issue desquelles, étant affaiblie par des défections ayant conduit à la création d’un syndicat autonome qui a présenté sa propre liste, la liste STC a subi un grave revers dont les conséquences sont désastreuses. Primo, le STC Corsica Linea a perdu plus de la moitié de ses sièges. Secundo, du fait de cette perte, le STC Corsica Linea ne dispose plus que d’une très relative représentativité et la CGT a tiré profit du désastre. « La CGT n'en demandait pas tant, elle est devenue la seule organisation syndicale à pouvoir légalement signer des accords d'entreprise » a d’ailleurs déploré Alain Mosconi. Le retrait d’Alain Mosconi (même si les relations entre certains de ses dirigeants et l’intéressé n’ont pas toujours été au beau fixe), la défaite électorale, les défections et la création d’un syndicat autonome, impliquent des coups très durs pour la première organisation syndicale de Corse.


Trois coups durs


Coup dur d’abord au niveau de la symbolique car Alain Mosconi est une des grandes figures du STC. En effet, il a gagné une image et une notoriété de meneur d’hommes et de syndicaliste de combat quand, dans le port de Marseille, le 27 septembre 2005, avec le concours des membres d’équipage STC du navire, il a pris le contrôle du cargo Pasquale Paoli et fait mettre le cap sur Bastia pour appuyer le mouvement de grève contre la privatisation de la SNCM (Société Nationale Corse Méditerranée) et exiger la création d’une compagnie publique régionale corse ; action qui a provoqué l'intervention du GIGN (alors que le navire était en approche du port de Bastia, les gendarmes du GIGN ont été hélitreuillés sur le pont) ; action qui a valu à Alain Mosconi d’être condamné à un an de prison avec sursis. Coup dur aussi pour la présence et la force de frappe du STC sur le terrain. En effet, il n’est pas anodin de perdre un leader, une élection et de la représentativité dans le secteur hyper stratégique que représente le transport maritime (la desserte maritime est vitale pour l’approvisionnement quotidien, l’exportation de productions locales et la fréquentation touristique de la Corse). Coup dur enfin pour la ligne politico-syndicale du STC car il apparaît que les adhérents ayant quitté la section STC Corsica Linea et constitué un syndicat autonome, ont été motivés par un rejet de la stratégie ayant, depuis sa création en 1984, permis la progression puis la prépondérance du STC dans le paysage syndical corse. C’est en effet ce qui peut être retenu du constat dressé par Alain Mosconi : « Les salariés ont majoritairement choisi soit de renforcer les tenants du statut quo, soit de renforcer les partisans du néocorporatisme, en rejetant de fait la politique UNITA conduite avec la section de La Méridionale, et ce afin de préparer un avenir commun […] Les fondamentaux de la lutte de libération nationale et de la lutte de libération sociale ont par ce vote été rejetés […] Je déplore aujourd'hui une dépolitisation croissante et inquiétante du salariat à Corsica Linea ». Si le constat dressé par Alain Mosconi est pertinent, ce troisième coup dur est le plus préoccupant car il signifie que s’est affirmée une mise en cause de la démarche stratégique qui, durant les quarante années de son existence, a fait l’originalité et permis le succès du STC, à savoir l’étroite solidarité des sections et la synergie entre « lutte de libération sociale » et « lutte de libération nationale » (voir encadré ci-contre).


Scénario catastrophe ?


Cette mise en cause représente un poison mortel car si ses sections s’ignoraient et si ses adhérents le conduisaient à renoncer formellement ou implicitement au rôle d’acteur de la « libération nationale » qui en fait à la fois le défenseur des salariés, le défenseur des droits nationaux du peuple corse et une structure d’intégration à la société corse des salariés venus d’ailleurs, le STC ne se distinguerait plus des organisation syndicales hexagonales. Ce qui permettrait aux plus puissantes de celles-ci, fortes de leurs moyens matériels ainsi que de l’influence de leur représentativité nationale, de reprendre progressivement le dessus. La réalisation de scénario catastrophe est-elle possible ? A priori, on est tenté de répondre négativement pour deux raisons. La première de ces raisons est que le contexte Corsica Linea est très particulier. En effet, un réflexe corporatiste a conduit à un rejet de l’action du secteur Marinari du STC visant à une solidarité entre les salariés des compagnies concurrentes que sont la Corsica Linea et La Méridionale, et sans doute aussi à un rejet de la volonté, maintes fois exprimée par Alain Mosconi et le secteur Marinari du STC, que la Corsica Linea et La Méridionale laissent un jour place à une compagnie maritime publique corse de transport maritime. Volonté qu’Alain Mosconi avait d’ailleurs formulée dans un entretien accordé en mars 2019 au mensuel Le Marin (média spécialisé dans l'économie maritime) : « La perspective de la future compagnie régionale sera d’œuvrer vers une desserte maritime de la Corse qui permettra à l’île une pleine maîtrise de ses transports, et le tissage d’un service public de continuité territoriale dans l’arc de la Méditerranée occidentale […] Corsica Linea ne répond pas, pour l’heure, à ces exigences, elle n’est donc pas, de fait, la compagnie régionale. Je considère d’ailleurs que cette dernière, comme La Méridionale si elle en fait le souhait, n'est qu’une étape vers un partenariat public-privé. Leur système actuel, reposant sur un actionnariat 100 % privé, devra disparaître pour laisser place à une structure exempte des seules logiques financières. »


Prudence et vigilance s’imposent


La deuxième raison conduisant à répondre non à la question « Ce scénario catastrophe est-il plausible ? », est que le 12ème congrès du STC qui a eu lieu il y a moins d’un an (mai 2023), à confirmé la poursuite de la démarche stratégique Libération sociale / Libération nationale. La motion d'orientation générale a en effet mis en exergue la nécessité de « poursuivre les combats de terrain » en s'inscrivant dans la continuité d’une mobilisation sur les dossiers de dimension locale, régionale et nationale. Donc, a priori, refus de de tout corporatisme des sections. Cette motion a rappelé que le STC doit rester le défenseur d'un « statut d'officialité territoriale de la langue corse » et du « développement de son enseignement ; que « la matrice du STC procède de la préservation du peuple corse comme communauté de destin, dont l'un des droits fondamentaux est la capacité des Corses à pouvoir travailler dans leur pays » ; que « la corsisation des emplois est la clef pour permettre la survie du peuple corse sur sa terre et pouvoir continuer à envisager un jour sa reconnaissance juridique » et que « les 5000 arrivées annuelles sur le territoire » justifient cette position ; qu’il est « indispensable d'installer la charte de l'emploi local comme une norme d'émancipation nationale ». Donc, a priori, maintien de la référence à un objectif de libération nationale. Cependant, la prudence et la vigilance s’imposent car le risque d’une dissociation entre lutte de libération sociale et lutte de libération nationale et le risque de « dépolitisation croissante et inquiétante du salariat » qu’a dénoncé Alain Mosconi, ne sont pas négligeables. C’est d’ailleurs suggéré par l’absence de la mention « Liberazione naziunale » dans l’en-tête d’un tract récemment diffusé par une section du sud de l’île, malgré que « Liberazione suciale, Liberazione naziunale » figure toujours sur les outils de communication du STC. Ce qui conduit votre serviteur à conclure en rappelant ce qu’il a écrit après le 12ème congrès du STC et l’élection de son nouveau secrétaire général Patrick Clémenceau-Fieschi : « Avec la probable adhésion massive et à court terme de nouveaux arrivants, le STC devra rapidement relever le défi de rendre ces nouveaux adhérents solidaires des combats nationalistes afin qu’ils s’approprient l’ADN stratégique « Liberazione naziunale - Liberazione suciale. »

Pierre Corsi



La stratégie Liberazione suciale-Liberazione naziunale


Créé en 1984, à l’initiative et sous la direction politique du FLNC, dans un contexte de mise en place de contre-pouvoirs au service de la stratégie de lutte de libération nationale que développait alors l’organisation clandestine, le STC (Sindicatu di i Travagliadori Corsi) a rapidement gagné en influence. Il est au fil des ans devenu la première organisation syndicale de salariés de Corse (il revendique aujourd’hui 8000 adhérents et l’emporte lors de la plupart des élections professionnelles) malgré les contestations de sa légitimité, de sa légalité ou de sa représentativité par l’État et aussi par certaines organisations syndicales. Il a fondé cette réussite sur sa capacité à défendre les intérêts des travailleuses et travailleurs de Corse dans tous les secteurs d’activité du privé et du public. Le STC a par ailleurs très vite imposé son aspiration à l’indépendance syndicale. En effet, tout en conservant la ligne politico-syndicale nationaliste « Liberazione suciale / Liberazione naziunale », il s’est, dès les années 1980-1990, affranchi de la direction politique du FLNC, et a constamment affirmé son refus de dépendre de toute influence extérieure. Tous les secrétaires généraux du STC depuis sa création, à savoir Bernard Trojani, Marie-France Giovannangeli, Étienne Santucci, Jean Brignole et, depuis mai dernier ? Patrick Clémenceau-Fieschi, ont affiché la volonté de concilier l’indépendance syndicale, les intérêts individuels et collectifs des salariés, la présence de leur organisation dans tous les combats, y compris politiques, allant dans le sens de l’émancipation nationale et de la défense des intérêts collectifs du Peuple corse.
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