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Nationalisme : quel monde d’après ?

Les succès du 28 juin n’ont rien d’une potion magique. Pour continuer de susciter l’espoir et conserver une dynamique de victoire, le nationalisme doit actualiser son logiciel.
Dans les principales communes corses, le premier tour des élections municipales avait été plutôt favorable aux sortants issus du vieux monde. Laurent Marcangeli à Ajaccio, Anne-Marie Natali à Borgo, Michel Simonpieri à Furiani, Ange Santini à Calvi, Joseph Galletti à Lucciana, Francis Giudici à Ghisonaccia, Paul-Marie Bartoli à Propriano et Antoine Ottavi à Bastelicaccia s’étaient à nouveau imposés. A Corte, malgré la retraite politique d’Antoine Sindali, le vieux monde avait aussi été à la fête avec la victoire de la liste Xavier Poli. Le monde d’aujourd’hui, incarné par les nationalistes, avait dû se contenter de conserver Prunelli-di-Fiumorbo et conquérir Biguglia avec les listes André Rocchi (proche du Partitu di a Nazione Corsa) et Jean-Charles Giabiconi (proche de Femu a Corsica). Pour le monde d’aujourd’hui, le second tour ne se présentait pas comme devant être une promenade de santé. La liste Jean-Christophe Angelini (Partitu di a Nazione Corsa) était certes en ballotage favorable à Porto-Vecchio mais, à Bastia, un résultat peu satisfaisant au premier tour et l’union de trois Jean du vieux monde (Jean-Sébastien de Casalta, Jean Zuccarelli, Jean-Martin Mondoloni) auguraient que le maire sortant Pierre Savelli (Femu a Corsica) aurait à mener un combat difficile. Or les nationalistes ont été les grands vainqueurs du second tour. Les listes Pierre Savelli et Jean-Christophe Angelini (leader du Partitu di a Nazione Corsa) ont respectivement conservé Bastia et conquis Porto-Vecchio. Les listes Jean Giuseppi (proche de Corsica Libera) et Nicolas Cucchi (proche du Partitu di a Nazione Corsa) ont été victorieuses à Figari et Zonza-Sainte Lucie. Ces victoires sont significatives. Elles montrent que le nationalisme est désormais capable d’un ancrage au sein des territoires et que de plus en plus de Corses rejettent le vieux monde ou accordent leur confiance au monde d’aujourd’hui. Ces victoires sont belles. Mais ceux qui les ont remportées et les états-majors de leurs partis gagneraient à ne pas considérer que tout est écrit. Si Emmanuel Macron permet que les prochaines élections régionales aient lieu en mars 2021, les conditions d’une victoire nationaliste ne sont pas encore réunies. Les autonomistes et les indépendantistes sont en effet dans l’obligation de se poser une question - Que sera le monde d’après qu’ils proposeront à la Corse et aux Corses? - et d’apporter des réponses. Les différences et les querelles entre ses principaux partis, les conséquences économiques et sociales douloureuses de la crise sanitaire, le brouillage des repères qui affecte aussi bien la sphère nationaliste que l’ensemble de la société corse, interdisent au nationalisme de faire l’économie d’une réflexion et d’une clarification. Les succès du 28 juin n’ont en effet rien d’une potion magique. Ils n’ont pas mis fin aux mauvaises relations avec l’Etat. Ils n’ont pas refermé les dossiers sensibles (déchets, spéculation immobilière, tourisme, pauvreté, inégalités…) Ils n’ont pas fait disparaître les désaccords entre Gilles Simeoni et Jean-Christophe Angelini. Ils n’ont pas incité, c’est le moins que l’on puisse dire, Corsica Libera et Core in Fronte à mettre fin à leurs critiques à l’encontre des politiques incarnées par Gilles Simeoni. Pour continuer de susciter l’espoir et conserver une dynamique de victoire, le nationalisme doit, et ce sans renier un demi-siècle de luttes, actualiser son logiciel.

Tout arrive !


Le recours à la violence clandestine et aux armes n’étant plus sérieusement envisageable - n’en déplaise aux va-t’en-guerre des réseaux sociaux et aux exploitants de certains commerces de souvenirs qui adorent les images du FLNC sur autocollant ou sur tee-shirt - le temps est venu que les principaux mouvements nationalistes mettent l’État face à ses responsabilités en lui proposant un contrat de réconciliation et de confiance qui pourrait être fondé sur deux points : engagement de leur part de ne plus être politiquement solidaire d’organisations clandestines ou d’actions armées ; vote par le Parlement d’une amnistie totale et d’un arrêt définitif de toutes les poursuites (ce qui, la majorité présidentielle disposant de la majorité absolue à l’Assemblée Nationale, est plus que faisable). L’heure est aussi venue que les principaux mouvements nationalistes jouent ensemble la carte du réalisme institutionnel. En effet, à l’occasion des différents scrutins, les autonomiste l’emportant de plus en plus fréquemment, les jacobins subissant revers sur revers et les indépendantistes étant à la remorque des autonomistes ou restant en marge, il serait opportun que le nationalisme s’unisse pour demander à l’État la tenue d’une consultation populaire qui proposerait d’une part, l’octroi d’un statut d’autonomie constitutif, en dehors du champ régalien, d’un véritable pouvoir corse ; d’autre part, la reconnaissance de la souveraineté française durant au moins deux décennies et l’organisation d’un scrutin d’autodétermination à l’issue de cette période si l’Assemblée de Corse en était demandeuse. Enfin, l’heure est venue que les principaux mouvements nationalistes amorcent un vrai débat concernant le traitement de dossiers prioritaires et les choix de société. Cela boosterait l’action quotidienne de la majorité territoriale. Cela permettrait, comme en Catalogne, l’existence de majorités nationalistes plurielles qui, tout en restant unies dans la défense des fondamentaux nationalistes, permettraient en leur sein l’expression de différences dans des domaines tels que l’économie, les politiques sociales, l’écologie et les débats sociétaux. Cela enclencherait une démarche de transformation de la société. Rien n’est encore vraiment fait au sein des principales organisations nationalistes pour imaginer le monde d’après. Cependant, il convient de reconnaître que des voix commencent à évoquer la nécessité de s’y employer. En analysant les résultats du scrutin municipal, Jean-Guy Talamoni a averti: « Dimanche, le vote des Corses n’était pas une adhésion aveugle à tout ce que nous faisons ou à tout ce que nous ne faisons pas. C’est peut-être pour nous autres, nationalistes, la dernière occasion de se hisser au niveau de nos responsabilités.» En revenant sur les résultats globalement mauvais du premier tour des élections municipales, Core In Fronte a souligné : « Les nationalistes ont vocation à occuper l'essentiel de l'espace politique corse et la confrontation des projets pourra s'exercer sereinement dans le pluralisme, le renouvellement permanent et l'alternance nécessaire.» Quant à Jean-Félix Acquaviva, député mais aussi secrétaire national de Femu a Corsica, il a commencé à esquisser une vision révélant que son parti était ouvert à une organisation du pluralisme et favorable à une acceptation des différences : « En Corse, le pluralisme politique est désormais assuré par les partis nationalistes (…) Il y aura des débats de société au sein des Nationalistes (…) Il y a entre nous des différences sur des projets économiques, des choix budgétaires, des projets de société qu’il faudra assumer sereinement devant le peuple sans que cela provoque, ce qu’on a connu par le passé, des divisions ou des scissions au sein de notre famille.» Tout arrive ! La vision nationaliste d’un monde d’après semble se dessiner. Pourvu toutefois qu’il ne soit pas demandé aux Corses d’attendre trop longtemps.
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