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Face au jacobisme linguistique : Da ch'elle campinu e nostru lingue !

Le jacobinisme linguistique reste au coeur du système institutionel

Face au jacobinisme linguistique : da ch'elle campinu e nostre lingue !


En France, le jacobinisme linguistique reste au cœur du système institutionnel. Il suffit pour s’en convaincre de considérer l’interprétation maximaliste de l’alinéa premier de l’article 2 de la Constitution, et le sort réservé à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, à la loi Molac ou aux tentatives des assemblées délibérantes locales d’user des langues de leurs territoires.



Le collectif « Pour que vivent nos langues » (https://www.pourqueviventnoslangues.org/le_collectif/) a été créé en octobre 2019. Paul Molac, breton, député du Morbihan, et François Alfonsi, corse, député européen, ont été les inspirateurs de cette initiative. Le collectif réunit des acteurs œuvrant, notamment dans les domaines de l’enseignement et de la culture, à la survie des langues régionales (basque, breton, catalan, corse, flamand occidental, allemand standard et dialectal alsacien et mosellan, savoyard, langues d’Oïl, picard, langues créoles et langues autochtones des territoires des Outre-Mer). Le collectif s’emploie à être un interlocuteur écouté et entendu des pouvoirs publics afin d’obtenir des avancées concernant la reconnaissance, l’enseignement et l’usage des langues régionales. Il est aussi à l’initiative d’actions de sensibilisation.


Des démarches exemplaires


La dernière en date a eu lieu le 7 de ce mois à Paris : une quarantaine de lycéennes et lycéens basques, occitans, alsaciens, bretons et corses se sont rassemblés à proximité du ministère de l’Éducation pour demander l’officialisation des langues régionales et davantage de moyens pour leur enseignement. A l’issue du rassemblement, une délégation composée de quatre lycéennes et deux lycéens a été reçue à l’Assemblée Nationale par des députés du groupe d’études « Langues et cultures régionales » que préside Paul Molac et à laquelle appartiennent les trois députés nationalistes corses. Les députés ont salué l’engagement de leurs visiteurs et leur ont promis de continuer à œuvrer en faveur de l’instauration d’un statut des langues régionales à même de garantir leur enseignement, leur valorisation et leur usage. L’action du 7 février a pu paraître modeste voire anecdotique du fait du nombre restreint et de l’âge des participants. Libre à chacun de le penser. Il est possible aussi, et probablement préférable, d’y voir plusieurs démarches exemplaires : implication de jeunes pouvant représenter un jour une relève ; invite à tous les défenseurs des langues régionales à unir leurs forces ; mise en exergue que le jacobinisme linguistique a combattu et combat encore tout ce qui remet en cause son emprise, notamment la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, toute souplesse dans l’interprétation de l’alinéa premier de l’article 2 de la Constitution, la loi Molac, les tentatives des assemblées délibérantes locales d’user des langues de leurs territoires.


Au diable la ratification !


Le jacobinisme linguistique fait tout pour retarder l’impact de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Cela dure depuis plus de trente ans. En 1992, le Conseil de l’Europe a invité les États membres à signer et ratifier cette charte qui a pour pour objet d’inscrire la transmission, l’enseignement, la valorisation et l’usage des langues régionales et minoritaires parmi les droits de l’homme et des peuples que toute société démocratique doit garantir, soutenir et promouvoir. En 1999, la France a franchi sans enthousiasme la moitié du Rubicon : elle a apposé sa signature en ne retenant que trente-neuf des quatre-vingt-dix-huit engagements concrets proposés dans la Charte (le minimum admis étant trente-cinq) ; elle a mis la ratification sur une voie de garage (en janvier 2014, l'Assemblée Nationale a certes voté un amendement constitutionnel permettant la ratification mais, en octobre 2015, le Sénat l’a rejeté). Cette non-ratification n’est pas sans conséquence. Elle implique qu’à ce jour, formellement, la France peut ne pas respecter les trente-neufs engagements concrets qu’elle à retenue.


Au diable la souplesse !


Le jacobinisme linguistique interdit toute souplesse dans l’interprétation de l’alinéa premier de l’article 2 de la Constitution dont l’énoncé est : « La langue française est la langue de la République ». En effet, en énonçant dans sa décision du 15 juin 1999 que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires comporte des clauses contraires à la Constitution, le Conseil Constitutionnel a opté pour une interprétation maximaliste considérant la langue française comme la langue de tous les citoyens, et aussi comme la seule langue ayant vocation à être officielle. Les Sages ont ainsi de facto écarté toute évolution qui admettrait - au moins dans des territoire à forte identité et où de nombreux locuteurs sont en mesure d’user des deux langues - une coofficialité entre « la langue de la République » et une langue régionale.


Au diable l’immersion et les signes diacritiques !


Le jacobinisme linguistique a sévi contre la loi Molac relative à la protection et la promotion des langues régionales (Conseil Constitutionnel, décision du 21 mai 2021). Les Sages ont : d’une part, validé les dispositions prévoyant la prise en charge financière par les communes de la scolarisation d’enfants suivant des heures d’enseignement de langues régionales ; d’autre part, censuré les dispositions mentionnant la possibilité par les communes de financer « l’enseignement immersif » de langues régionales, c’est-à-dire l’enseignement effectué pendant une grande partie du temps scolaire dans une langue autre que le français. Les Sages ont aussi censuré la possibilité d’utiliser des signes diacritiques de langues régionales dans les actes d’état civil, considérant qu'autoriser l’utilisation de signes diacritiques autres que ceux de la langue française, signifierait reconnaître un droit à l'usage d'une autre langue que le français dans les relations du public avec l'administration. Dans les deux cas, pour motiver la censure, les Sages ont invoqué l’alinéa premier de l’article 2 de la Constitution énonçant que « La langue française est la langue de la République ».


Au diable les initiatives des assemblées délibérantes locales !


Enfin, le jacobinisme linguistique a fait tourner court les tentatives d’assemblées délibératives locales de hisser les langues de leurs territoires à un niveau de coofficialité. Les maires des communes d’Elne, Tarerach, Amélie-les-Bains, Saint-André et Port-Vendres ayant modifié le règlement intérieur du conseil municipal afin de pouvoir délibérer en langue catalane (des traductions en français ayant été prévues) et le préfet des Pyrénées-Orientales l’ayant saisi d’une demande d’annulation, le tribunal administratif de Montpellier est allé dans le sens du préfet. En effet, il a fondé son jugement sur l'alinéa premier de l’article 2 de la Constitution énonçant « « La langue française est la langue de la République » et, sans doute pour faire bonne mesure, sur l’article 1
de la loi Toubon du 4 août 1994 indiquant notamment que le français est la langue des services publics. Quelques semaines auparavant, le tribunal administratif de Bastia avait de son côté annulé les articles des règlements intérieurs de l’Assemblée de Corse où était mentionné « les langues des débats sont le corse et le français » et s’était lui aussi appuyé sur l’alinéa premier de l’article 2 de la Constitution pour motiver son jugement. Répétez après moi : « La langue française est la langue de la République »,« La langue française est la langue de la République », « La langue française...»


Pierre Corsi
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