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Femmes corses : une magnifique idée de Robert Colonna d'Istria

Un auteur insulaire prolifique

Femmes corses : une magnifique idée de Robert Colonna d’Istria


Robert Colonna d’Istria est un auteur insulaire prolifique. Il est entré dans la prestigieuse collection Terre humaine avec Une famille corse, 1200 ans de solitude, clin d’œil à Garcia Marquez, mais aussi une histoire de la Corse ou encore Les grandes figures de la Corse. Admirateur de Napoléon, il a également commis un ouvrage avec Jean-Pierre Chevènement La République prend le maquis dont on peut contester l’argument, mais certainement pas l’écriture. Car Robert Colonna d’Istria est un véritable écrivain féru d’histoire. Son dernier ouvrage Femmes corses est tout simplement passionnant parce qu’il nous dévoile une part cachée de notre propre culture, de notre propre histoire.

L’importance de la femme méditerranéenne

Pour poser son sujet l’auteur explique sa démarche en préambule du corps du texte : « Après les femmes prêtresses de la vengeance, les femmes malheureuses, une troisième caricature menace celui qui veut examiner la place des femmes dans l’histoire corse : les femmes y seraient inexistantes, dans l’ombre des hommes, infantilisées, soumises. Elles seraient absentes, dans un paysage désespérément machiste. Ce qui est une inexactitude. Non seulement, on l’a vu et on le montrera en détail, il y a eu des femmes actives dans la société, éventuellement célèbres, non seulement il y a eu de belles personnalités, parfaitement affranchies du prétendu pouvoir masculin, mais de plus, anonymes, individuellement, en groupe, nombreuses ont toujours été les femmes à prendre part au fonctionnement de la société, à sa vie, son équilibre, son harmonie. » Il commence par resituer le contexte à la fois géographique et culturel afin de démontrer que la femme corse est avant tout une femme du bassin méditerranéen. Car sa place oxymorienne, faite tout à la fois d’omniprésence et d’invisibilité transcende les lieux. Elle est quasiment identique en Kabylie (lire à ce propos les remarquables études de Camille Lacoste-Dujardin et de Germaine Tillon) en Grèce et dans la partie méridionale de l’Italie. On retrouve également le rôle de la femme dans l’étude des Saintes à commencer par la Sainte Vierge protectrice de la Corse.

Une étude chronologique

Robert Colonna d’Istria prolonge son étude des femmes en Corse d’une façon chronologique et thématique avec parfois d’étonnants mélanges qui n’ont toutefois pas grande importance pour la bonne compréhension de l’ouvrage. Nous avons ainsi plusieurs grandes périodes : du Moyen Âge à la Renaissance, puis de la Renaissance au XVIIIe siècle avant d’attaquer le monde contemporain comprenant les XIXe et XXe siècles. Un chapitre entier est consacré à la Seconde Guerre mondiale et un autre à la défense de la cause des femmes. Enfin plusieurs ont trait à l’art dans toutes ses dimensions. Le premier sentiment est que bien évidemment ce sont les périodes tragiques qui façonnent les destins les plus fameux. Cela ne signifie pas que les autres sont de moindre importance, mais ils pâlissent d’un affadissement des relations humaines notamment provoquées par les bienfaits de la démocratie. Il y a par ailleurs le récit qui change. Celui du Moyen Âge est héroïsé et difficilement vérifiable. Il va donc de soi qu’on ne parle que de femmes dont on veut démontrer la valeur. Avec l’introduction de la presse et des livres, les témoignages deviennent plus précis et souvent moins exaltants. Avec le retour des situations d’exception réapparaissent les femmes décrites à la façon des grands hommes. Danièle Casanova ou Noëlle Vincensini en sont les parfaites incarnations. Le lecteur est frappé par la diversité de ces femmes corses d’origine ou d’adoption ou encore d’origine insulaire qui ont éclairé de leurs talents les périodes historiques ou plus modestement leurs professions. Robert Colonna d’Istria a ici fait œuvre utile en exhumant ces fantômes ignorés qui reprennent vie grâce à sa plume depuis les saintes, les légendes, les réelles et même les sorcières. Un reproche cependant. Tout à son sujet, il omet de parler de la condition sociale de la femme qui, en dehors du foyer, était considérée comme un être infantilisé par les hommes. Il n’empêche : quel ouvrage formidable !


L'ultime parole à l’auteur


Laissons l’ultime parole à l’auteur : « N’en déplaise aux auteurs de clichés, en Corse comme ailleurs les femmes transmettent la vie — et non le goût de la mort — et maintiennent les valeurs qui structurent la vie et lui donnent un sens. Ce sont elles… sous les espèces des institutrices et des formatrices des écoles normales d’instituteurs… qui ont formé des générations de filles ouvertes sur le monde,débarrassées de la pesanteur des traditions et de la fermeture du milieu familial et social d’où souvent elles provenaient. Action décisive. » À dévorer sans hésitation.

Femmes corses, Robert Colonna d’Istria, éd. Perrin, 304 pages, 22 €
GXC
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