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" Entre la nuit " d'Océane Court Mallaroni

Mon frère , ce suicidé.... Coup d’essai, coup de maître ! Le dicton se vérifie avec « Entre la nuit », premier court-métrage d’Océane Court-Mallaroni couronné au festival, Arte Mare.
« Entre la nuit » d’Océane Court-Mallaroni
Mon frère, ce suicidé…


Coup d’essai, coup de maître ! Le dicton se vérifie avec « Entre la nuit », premier court-métrage d’Océane Court-Mallaroni couronné au festival, Arte Mare. Remarquée pour ses rôles de comédienne jusque-là, la jeune femme originaire de l’Alta Rocca démontre ainsi ses talents de réalisatrices.


« Entre la nuit » est un film mystérieux, plus même énigmatique qui désarçonne un peu au début. On s’interroge : pourquoi cette voiture ? Pourquoi cette conduite dans la nuit ? Pourquoi ces montagnes qu’on devine plus qu’on ne les voit ? Pourquoi cette femme au volant ? Pourquoi ce passager à ses côtés présent-absent ? Sur quelle route cette histoire nous emmène-t-elle ? Va-t-on avoir peur comme dans ces terribles contes dits aux enfants avant qu’ils s’enforment afin d’être bien sûr que leur sommeil se peigne des couleurs criardes des cauchemars ou sombre dans des puits sans fin de ténèbres !

Une vérité se dévoile peu à peu sur le bout rougeoyant d’une cigarette. Sur la flamme d’une allumette. Sur la lumière des phares qui éclairent le chemin… Elle doit s’appeler Olivia. Lui, c’est peut-être Johan ou quelque chose comme ça. Elle est nervosité. Tension. Comme prête à craquer. Il est défait. Perdu. Las… extrêmement las.

Entre eux s’esquisse une communication perlée de silences, traversée d’une musique dont ils partagent un commun souvenir, coupée d’une sonnerie de téléphone. Elle ne répond pas. Ne veut pas répondre. Lui attend qu’elle décroche, affaire vitale semble-t-il ! Querelle. Bagarre. Elle le mord. La dispute s’apaise, de dehors résonne le cri d’un oiseau nocturne, une chouette qui sait ! On entend l’homme énonçant des « j’y arrive plus », « j’ai plus envie ». Des mots lourds. Tranchants. Des mots résumant une existence qui va basculer dans le vide. Des mots répercutés par un message téléphonique… Il a froid. Très froid. Ce mal être qui lui colle à la peau, il faut qu’il s’en débarrasse. Une pilule pour l’aider. Dans sa main elle ressemble à un caillou.

Olivia, c’est l’actrice Coralie Russier. Elle incarne un personnage secoué par le désarroi. Fracassé par ce qui s’apparente à du remord. Pénétré en tous cas par une culpabilité insupportable. Lui, le passager, c’est Jérémy Albertini, tout de sensibilité. Un personnage qui s’efface du monde et dont l’appel à la marge de la mort n’a pas eu d’écho, de réceptivité de la part de celle dont il s’est senti sans doute le plus proche, sa sœur, Olivia.

« Entre la nuit » aborde avec délicatesse, mais aussi rudesse, le thème de la disparition d’un être aimé auquel on a refusé une ultime écoute. Au-delà du pathos « Entre la nuit » est encore et surtout un parcours qu’on pourrait nommer de résilience, si ce terme n’était pas mis à toutes les sauces et pas toujours à propos. Le film incite-invite à accepter que la vie puisse continuer malgré le manque, malgré le sentiment de faute que fait naître le suicide d’une personne qu’on connait bien, en l’occurrence un frère avec qui on a grandi et qu’on a chéri autant pour des élans de tendresse que pour des instants de chamailleries… heureuses.
« Je suis une montagnarde. Ma mère est de l’Alta Rocca et mon père est savoyard. La montagne m’attire et de me fait peur. »

Océane Court-Mallaroni


Votre film se déroule la nuit. Qu’elles difficultés de tournage cela vous-a-t-il provoqué ?
C’était compliqué à cause d’une machinerie très lourde nécessaire pour filmer et éclairer les scènes. Les difficultés c’est surtout le chef opérateur qui a dû les surmonter en trouvant des solutions techniques. On a employé un attirail énorme placé sur la voiture ou sur un camion. Par chance Manuel Marmier, le chef op, est très geek et très expérimenté.


Toute l’histoire – ou presque – se passe dans l’habitacle d’une voiture. Pourquoi ?
Parce que je voulais faire ressentir que les personnages étaient à la fois très proches… et très éloignés ; combien leur lien était fort et combien il s’était distendu. Cet espace de l’habitacle, je voulais en même temps qu’il soit très sensoriel… comme la maison, qui dans les contes, vous protège contre la vastitude effrayante du monde.


Pour quelles raisons votre souci de mettre l’accent sur la montagne ?
Je suis une montagnarde. Ma mère est de l’Alta Rocca et mon père est savoyard. La montagne m’attire et me fait peur. Elle guérit. Elle est salvatrice. Mais on la craint. Elle peut être redoutable. Dans mon film plus on monte en direction du Coscione mieux on respire. Il fallait que je tourne l’hiver parce que c’est le moment où l’air claque sur les joues, où la montagne est la plus hostile, où elle m’intrigue le plus.


Le troisième personnage important c’est le cheval d’un blanc crémeux presque rosé par instants, qui apparait à l’image. Que symbolise-t-il ?
Dans de nombreuses mythologies le cheval est un passeur d’âmes. C’est un animal qui me fascine. S’il est blanc c’est évidemment pour être bien vu à l’image. Pour le film on a travaillé avec une éthologue de Levie, Isabelle Petin. Elle développe avec ses chevaux un langage par une sorte de corps à corps. Focu, le cheval et Jérémy Albertini, le comédien se sont choisis mutuellement et se sont parfaitement entendus. Sur le plateau du Coscione, Focu a évolué en toute liberté tout en restant très attentif à ce qu’on voulait de lui… comme s’il avait été un acteur.


Comment avez-vous sélectionné vos comédiens ?
J’avais vu Coralie Russier dans plusieurs longs-métrages dont « 120 battements par minute » de Robin Campillo. J’ai aimé son jeu, son physique. Tout de suite j’ai su qu’elle était Olivia. Pour moi elle est une belle rencontre. Quant à Jérémy qui incarne Johan, j’ai souvent travaillé avec lui et c’est mon compagnon dans la vie. Il a suivi la genèse du film de bout en bout. Je l’ai dirigé à contre-emploi dans un rôle de composition qui le change des personnages de « Corse de service » qu’on lui fait jouer habituellement !


Vous êtes actrice, pourquoi ne pas avoir interprété Olivia ?
Au début c’est ce qu’aurait souhaité mon producteur. Mais je désirais vivre pleinement la réalisation. Si j’avais joué j’aurais eu peur de ne pas être objective. Peur de mon regard sur moi à l’écran… et ce n’est pas une mince affaire de réaliser.


Que représente pour vous l’Alta Rocca où vous avez filmé ?
Ma mère est de Serra-di-Scopamène. Son village me tient à cœur tout comme les paysages de l’Alta Rocca qui ont hanté mon enfance. L’Alta Rocca c’est le mystère. C’est un endroit gorgé de légendes. C’est la montagne pure et dure ! Les trajets que nous faisions du village à Propriano pour faire les courses m’ont marqué. C’était long pour les enfants que nous étions ma sœur et moi. Alors on rêvait encore et encore, puis le bruit du moteur nous berçait tant que nous finissions par nous endormir.


Vous avez suivi la formation de « La Manufacture » à Lausanne en Suisse. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette grande école ?
Gamine j’étais très timide. Pour me donner de l’assurance ma mère m’a inscrit à des cours de théâtre. A chaque rentrée c’était une joie de retrouver les planches. Après le bac j’ai vite plaqué mes études universitaires pour aller au Cours Florent. Là, j’ai rencontré une amie, Adélie Chatton, qui m’a demandé de lui donner la réplique pour passer le concours de « La Manufacture ». Résultat, c’est moi qui, à ma grande surprise, a été retenue pour me présenter au deuxième tour de l’examen. J’ai été admise. Mes trois ans à « la Manufacture » ont été très enrichissant. Dans ma promotion – on était seize – il y avait beaucoup d’émulation. On était très bien accompagnés et on a reçu un goût intense du théâtre. Avoir fait cette école est un vrai atout dans notre métier.


Préférez-vous être devant ou derrière la caméra ?
La réalisation, qui implique de faire un film de A à Z, apporte tellement de bonheur !... J’ai ressenti une telle plénitude. Réaliser m’a aussi permis de faire plus facilement face aux critiques positives ou négatives dans mon travail d’actrice. Maintenant qu’on me trouve des qualités ou des défauts j’assume complètement.


Des projets à l’ordre du jour ?
Ecrire un nouveau scénario et le tourner. Pour janvier une amie m’a demandé d’être son assistante de mise en scène. Elle monte une pièce d’Elfriede Jelinek, « Sur la voie royale », un pamphlet contre Trump, une satire qui pointe la dégénérescence de la démocratie telle qu’on a pu la connaître. La pièce doit tourner en Suisse et en France.

Propos recueillis par M.A-P



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