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Interview de Jean Marie Antonini réalisateur d'Aio Zitelli

" Aio Zitelli" de Jean Marie Antonini raconte la tragédie d'un corse fusillé pour l'exemple durant la guerre de 14-18
Vous êtes-vous toujours intéressé à la guerre de 14 – 18 ?

Ce qui m’a toujours attiré c’est l’aspect tragique de cette guerre. Je me suis beaucoup questionné à ce sujet. Avant « Aiò Zitelli » j’avais d’ailleurs rassemblé des éléments sur un autre événement lié à ce conflit afin de préparer un film. C’est en allant voir, en 2015, l’exposition du Musée de la Corse sur les poilus que j’ai découvert la BD, « Aiò Zitelli », dont Frédéric Bertocchini était le scénariste.
J’ai eu envie de porter à l’écran l’histoire racontée dans cette bande dessinée qui dévoile le destin d’un jeune corse fusillé pour l’exemple. Ce thème me paraissait d’autant plus important que le souvenir des combattants de 14 – 18 est resté vif dans l’île.


Le thème de l’injustice vous tient-il particulièrement à cœur ?
L’injustice, la bêtise humaine, la folie des hommes en temps de guerre… Dans le cas de Joseph Gabrielli je ne comprends pas comment on a pu être aussi idiot, aussi ignoble. Avec « Aiò Zitelli » je voulais que le spectateur soit saisi et entre d’un coup dans cette tragédie.
La dénonciation des fusillés pour l’exemple parcourt un certain nombre de films, dont « Les Sentiers de la gloire » de Stanley Kubrick.

Qu’ajoute la problématique de la langue corse ?
Joseph Gabrielli est un jeune berger qui n’a pas été à l’école. Personne ne lui a appris le français. En cela il personnifie bien les fusillés pour l’exemple. Lors de son procès – expéditif – qui n’a duré qu’une heure, les juges militaires ont fait appel à un interprète – c’est mentionné dans le procès-verbal de son jugement – mais il n’a pas pour autant été entendu. La hiérarchie militaire voulait l’exemplarité à tout prix.


Pourquoi cette attitude ?
En 1970 pendant la guerre contre la Prusse beaucoup de soldats français avaient reculé ou s’étaient enfui devant le feu de l’ennemi. L’état-major ne voulait plus de ça ! Les lois martiales avaient été extrêmement durcies. Quand Gabrielli, qui ne s’exprimait qu’en corse, a tenté d’expliquer que la pluie d’obus, qui tombait autour de lui lors d’un assaut meurtrier, l’avait ébranlé, choqué au point d’avoir tout oublié, on ne l’a pas cru. Or, quelque temps plus tard la médecine a reconnu que « l’obusite » altérait la conscience des soldats. Vingt-ans après les combats Joseph Gabrielli a d’ailleurs été réhabilité.


D’où étaient surtout originaires ces fusillés pour l’exemple ?
Du Maghreb, parce que comme à Gabrielli on ne leur avait pas appris le français aux enrôlés…


Lucien Casalta, le traducteur, est le personnage central.
A-t-il réellement existé ou est-il inventé ?
On sait qu’il y a eu un traducteur mais on ignore tout de sa personnalité. Dans le film le personnage de Lucien relève donc de la fiction. A travers lui, à travers ses réactions, j’ai voulu que le spectateur pénètre dans l’histoire et devienne le témoin de la machine de guerre dans toute sa stupidité.


Comme Joseph, Lucien est voué à être broyé ?
À l’instar de nombreux Corses, qui se rencontrent à l’extérieur de l’île, Lucien tisse des liens très forts avec Joseph, qu’il ne connaissait pas auparavant. Au bout de la tragédie, Lucien est aussi détruit car on pulvérise sa morale en l’obligeant à tuer son ami, et parce qu’on anéantit ses rêves d’une autre vie !


De la langue corse au français avez-vous dû beaucoup travailler les dialogues ?
Pour la langue corse j’ai eu la chance d’être aidé par Guidu Benigni, qui est exceptionnel et m’a permis de trouver le phrasé juste faisant sentir la dimension affective qui s’établit entre Joseph et Lucien. Le français des militaires devait, lui, résonner avec dureté. Quant à celui de Lucien il fallait qu’il soit calme et posé.


Comment avez-vous dirigé les comédiens interprétant les gradés du tribunal militaire ?
J’ai demandé à Jean Toussaint Bernard, qui interprète le commissaire du gouvernement, d’incarner la magnificence stupide du commandement de l’armée française. Il fallait qu’il fasse saisir au spectateur que, dans sa tête, tout était déjà plié avant même le procès. Sa façon de se comporter devait exprimer sa supériorité de classe face à ce pouilleux de paysan corse. Le jugement je l’ai tourné dans une église. Pour moi c’est une messe des morts.


« La hiérarchie militaire voulait l’exemplarité à tout prix. »

Jean Marie Antonini


Qui vous a soutenu financièrement ?
La CDC. Sur le continent : rien...Le Comité du Centenaire de la guerre d 14 – 18 a trouvé que mon scénario mettait l’accent sur un aspect peu favorable à l’armée française, il ne s’est donc pas engagé !


Pourquoi votre passion pour l’audiovisuel et le cinéma ?
Enfant j’ai énormément regardé la télévision car mes parents tenaient un magasin d’électro-ménager et grâce à eux j’ai eu le premier magnétoscope de Balagne ! En outre habitant à deux pas du cinéma de l’Ile Rousse je n’ai jamais manqué un film.
A Paris, après une école spécialisée j’ai très vite été sur le terrain comme producteur. En 2000 j’ai créé ma société, C4. Puis en 2005 je suis passé à la réalisation en tournant des clips, des captations, des documentaires, de la pub.


Des projets ?
Trois longs-métrages en tant que producteur. Deux longs comme réalisateur dont un qui reprend le thème de « Aiò Zitelli ».


Propos recueillis par M.A-P
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