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Municipales : clap de fin pour le clanisme de papa

Beaucoup de battus ne remonteront probablement jamais la pente. Leur échec en association à un système du passé qui a fait le combat de trop, les condamne presque sûrement à ne plus avoir d’avenir.
Porto-Vecchio s’en souviendra longtemps. Dimanche 28 juin 2020, Jean-Christophe Angelini a eu raison de celui auquel la famille De Rocca Serra avait confié les clés, l’administration et le destin de sa cité. Le Bastion qui était assiégé depuis l'élection de Paul-André Colombani en juin 2017 aux dépens de Camille de Rocca Serra, est tombé. Le vainqueur peut même se glorifier d’une victoire empreinte de panache. Alors que Gilles Simeoni avait dû en mars 2014, pour s’emparer de Bastia, se faire ouvrir une poterne par l’ancien lieutenant et héraut d'armes d’Emile Zuccarelli, Jean-Christophe Angelini a submergé les défenses adverses. Son succès est aussi bien plus qu’une victoire, il marque un tournant décisif et même définitif. En ayant obtenu plus de 55 % des voix soit plus de 700 suffrages d’avance, et ce avec une forte participation (74 %), le leader du Partitu di a Nazione Corsa a démontré qu’un nationaliste pouvait sans alliance de dernière minute et surtout sans renoncer à son message - en particulier concernant la volonté de réguler le développement économique au profit de l’intérêt collectif corse - l’emporter dans le plus difficile des contextes (forte influence d’une famille pouvant compter sur des fidélités et des obligés, économie dominée par le tourisme de masse et l’explosion du BTP, nombreux habitants devenus électeurs étant originellement des arrivants récents ou des résidents secondaires). Le succès de Jean-Christophe Angelini s’inscrit aussi dans une dimension plus large que les enjeux de la seule ville de Porto-Vecchio. Ayant été complété par les triomphes nationalistes à Figari et Zonza auquel son parti et lui-même ont beaucoup contribué, la victoire du leader du Partitu di a Nazione Corsa ouvre à la mouvance nationaliste la voie vers la suprématie dans l’Extrême-sud et écorne les espoirs de Jean-Charles Orsucci et Laurent Marcangeli d’y peser lourd dans la perspective des élections territoriales de mars 2021.

Pierre Savelli a su faire faire face

A Bastia, le maire sortant était confronté à un scrutin difficile. Certains, y compris au sein de son propre camp, le donnaient perdant. Pierre Savelli a su faire faire face et même mieux. Il l’a emporté avec 49,37% des suffrages sur l’alliance gauche-droite qui associait Jean Sébastien De Casalta / Jean Zuccarelli / Jean-Martin Mondoloni. Cette troïka n’a pu concrétiser la supériorité arithmétique que lui conférait a priori l’addition des scores de premier tour de ses composantes. Elle n’a obtenu que 39,73% des suffrages. Le taux de participation (63,36 %) et une forte progression en voix par rapport au premier tour (3787 suffrages venant s’ajouter aux 2942 déjà obtenus) ont désormais balayé tous les doutes que faisaient planer ses adversaires et certaines de ses « amis » quant à la légitimité de Pierre Savelli et son aptitude à être un « bon maire ». La victoire de ce dernier a aussi permis de vérifier que, même si Gilles Simeoni restait un acteur de campagne majeur, le nationalisme était désormais en mesure de gagner à Bastia sans que l’actuel Président du Conseil exécutif conduise une liste. Le succès de Pierre Savelli a également montré qu’il en était bel et bien fini de l’efficacité électorale de certains particularismes bastiais. Certains agents électoraux qui s’imaginaient construire la victoire de la troïka en distribuant des promesses ou des secours ainsi qu’en usant de leur savoir-faire en matière de collecte de procurations, en ont été pour leurs frais. La lecture des résultats leur a donné à voir que les populations les plus pauvres ne se laissaient plus forcément manipuler. Ils ont eu la mauvaise surprise de se heurter à des élus et des militants nationalistes qui ont usé avec bonheur de l’aide sociale pour contrer les manœuvres clientélistes et fait preuve de réactivité dans la quête de procurations. Il leur a été révélé par le verdict des urnes que recourir à un « front républicain » était désormais inopérant. Il convient aussi de retenir que sa victoire bastiaise va permettre au nationalisme de prendre effectivement le contrôle de la Communauté d’Agglomération de Bastia et de travailler à y intégrer intégration les communes de Biguglia, Brando et peut-être Sisco. Enfin, il est indéniable que forts de leur position dominante de Biguglia à Sisco, les nationalistes pourront y aborder avec confiance les territoriales.

Un 28 juin qui fera date

Le temps de l’analyse approfondie n’est cependant pas encore venu. En revanche, l’heure est déjà au constat objectif. Des notables et des fortunes seront toujours en mesure de peser sur les choix électoraux. Le conflit d’intérêts, le copinage, le passe-droit, l’assistanat et même la corruption ne disparaitront jamais de la vie politique. Les luttes pour conquérir le pouvoir ou le conserver donneront toujours lieu à d’impitoyables rapports de forces. Mais il n’en reste pas moins vrai que le dimanche 28 juin 2020, en se détournant de ses derniers représentants, les électeurs ont définitivement mis fin à un système : le clanisme de papa. Les élections municipales de Bastia en mars 2014, territoriales de décembre 2015 et décembre 2017, et législatives de juin 2017, avaient déjà mis à mal la toute-puissance des trois clans ayant fait la vie politique de la Corse tout au long du siècle dernier et durant la première décennie du siècle présent. L’un d’entre eux, le clan Giacobbi, avait même été définitivement sorti du jeu par les électeurs puis par les juges. Le dimanche 28 juin 2020, les électeurs ont définitivement mis sur la touche les clans Zuccarelli et De Rocca Serra qui étaient représentés par Jean Zuccarelli et Georges Mela. On notera aussi que les électeurs ont aussi durement sanctionné des personnalités - Jean-Sébastien de Casalta, François Tatti, Jean-Martin Mondoloni - qui, après avoir affirmé une volonté de rénover le débat et l’action politiques, n’ont pas su se libérer du clanisme et de ses exécutants. Tous ces acteurs politiques, tout comme d’ailleurs Jean-Jo Allegrini-Simonetti qui a perdu la mairie d’Ile-Rousse, ne remonteront probablement jamais la pente. Leur échec en association à un système du passé qui a fait le combat de trop, les condamne presque sûrement à ne plus avoir d’avenir.


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