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A Pietralba, Sauveur Luciani : l'âme d'un beger corse

Sauveur luciani, un homme dont l'existence s'accorde au rythme des bêtes
À Pietralba, Sauveur Luciani : l’âme d’un berger corse

Entre Pietralba et Castifao, au cœur d’une nature encore souveraine, nous avons rencontré Sauveur Luciani, un homme dont l’existence s’accorde au rythme des bêtes, des saisons, et du silence.


À 65 ans, fils, et petit-fils de bergers, il incarne cette Corse rurale, laborieuse et fièreEn 1980, à seulement 20 ans, il reprend le flambeau familial, avec à ses côtés, son père, qu’il a suivi dès l’enfance, qui lui a transmis tous les gestes, et le savoir-faire. Une décennie plus tard, la maladie de son père a précipité la relève.
45 ans plus tard, dans son hangar, sans électricité, loin de tout confort moderne, Sauveur perpétue la tradition. Ici, la traite est encore manuelle, deux fois par jour. Pas de machines. Pas de compromis, un travail laborieux et chronophage. Une fidélité aussi, aux gestes ancestraux, qui témoignent d’un savoir-faire résistant aux logiques industrielles.

Il y a, chez cet homme, une noblesse paysanne qui force le respect. Aucun folklore, aucune mise en scène. Simplement un engagement profond, quotidien, au service du vivant. Sauveur n’a jamais cherché la modernité, il a remplacé la mule de son père par un 4x4, le sentier d’hier par un chemin de terre, pas plus. Le progrès, ici, se conjugue à l’essentiel.Ses brebis sont peu productives mais fournissent un lait riche et onctueux, idéal pour le fromage et lebrocciu.

La nature rythme la vie des bêtes, et Sauveur, et avant lui son père, et son grand père, l’ont bien compris. Rien n’est laissé au hasard, et le calendrier est scrupuleusement maitrisé.La tonte des brebis est un moment charnière, soigneusement calé sur le climat de la micro-région.

Tandis que dans la plaine ou dans d’autres villages, la tonte se pratique parfois dès avril, ici, à près de 700 mètres d’altitude, elle n’a lieu que fin mai : « Il fait encore frais le matin, parfois 6 degrés près de la rivière. Si tu tonds trop tôt, les bêtes prennent froid. Elles tombent malades, elles mangent moins, et après, c’est toute la production qui en souffre », explique Sauveur.

Le jour venu, c’est tout un savoir-faire qui s’exprime, un moment de partage aussi avec les amis, et lafamille. La laine est ôtée d’un seul tenant, dans un mouvement fluide, en évitant toute coupure. Ce geste, Sauveur le maîtrise avec sa longue expérience. Une tonte bien faite, c’est une brebis soulagée, aérée, prête à affronter l’été.Ensuite vient le moment de la saillie, « l’art de faire naître au bon moment », étape décisive où se prépare la génération suivante.

Comme toujours, c’est la nature qui donne le tempo, mais c’est l’expérience du berger qui choisit la cadence. Après la tonte, les moutons sont lâchés avec les brebis, libres de se mêler. Derrière cette apparente simplicité se cache une stratégie de précision. L’objectif est de programmer les naissances autour du 10 novembre, de façon à disposer d’agneaux prêts pour Noël.

Ensuite, chaque 1er août, c’est la traditionnelle transhumance vers le « Monte Astu », à 1 500 mètres d’altitude, un retour au grand air, à la fraîcheur, jusqu’au 1er novembre, jour de la Toussaint, qui marque le retour. Les brebis redescendent, pleines, prêtes à mettre bas.

Cette maîtrise des cycles naturels est presque scientifique, mais toujours instinctive. L’expérience d’une vie.

Chaque année, une quarantaine d’agnelles assurent le renouvellement du troupeau. Pas de surproduction, pas de gaspillage : une économie fermée, raisonnée, durable.

Dans une époque où les repères se dissolvent, Sauveur Luciani est un ancrage. Il rappelle que la terre n’est pas un décor, mais une responsabilité ; que l’élevage est un art de vivre, non une chaîne de production. Il incarne cette Corse discrète mais digne, celle qui travaille tôt, qui parle peu, mais qui transmet tout.

Alexandre Santerian
Photo: Alexandre Santerian
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