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Rapport de l'autorité de la concurrence : patate chaude pour Noêl

Il est probable que les destinataires ne considèrent pas le rapport de l'Autorité de la concurrence étant un cadeau de Noêl anticipé.
Rapport de l’Autorité de la concurrence : patate chaude pour Noël

Il est probable que les destinataires ne considèrent pas le Rapport de l’Autorité de la concurrence comme étant un cadeau de Noël anticipé.

L’Autorité de la concurrence a travaillé sérieusement durant 18 mois. Elle a collecté des données et étudié de nombreux documents.
En décembre 2019, une délégation conduite par la vice-présidente et le rapporteur général de l’institution a fait le déplacement pour entendre les responsables des services de l’État directement concernés, des élus, des chefs d’entreprises, des représentants d’établissements publics, d’associations, de syndicats d’employeurs et de salariés.

Le rapport concernant ce travail de compilation, d’écoute, d’analyse et de synthèse qui a plus particulièrement porté sur la concurrence et les prix - notamment dans les secteurs-clés que sont la délégation de service public maritime, la grande distribution, le traitement des déchets et la distribution de carburants - est disponible depuis quelques jours.

Il est essentiel d’en retenir ce qui suit
. Il valide un déficit concurrence. Il acte définitivement qu’un différentiel important de prix existe entre la Corse et le Continent et affecte fortement le budget des ménages dans les quatre secteurs-clés.
Concernant la délégation de service public maritime, il est relevé que les besoins doivent être plis pertinemment évalués et que l’on est loin d’un libre jeu de la concurrence.
- Concernant la grande distribution, il est souligné que bien que la Corse bénéficie d'une TVA à taux réduit, cela n'est pas répercuté sur le prix de vente.
-  Concernant le traitement des déchets, il est indiqué que la charge à financer par les collectivités de l’île est 160% plus lourde que celle supportée par les collectivités de l’Hexagone et que le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères est en moyenne cinq points plus élevé qu’ailleurs en France. 
- Concernant la distribution de carburants, il est mis en exergue que malgré un taux de TVA réduit (13% sur l’île, 20% dans l’Hexagone), les prix à la pompe sont plus importants chez nous (en moyenne + 6,7% pour le gas-oil, + 5,3% pour l’essence).


Qui tire les marrons du feu et qui en pâtit

Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence a identifié précisément qui tire les marrons du feu et qui en pâtit.
En effet, il est confirmé dans son rapport que, ces dernières années, la domination de secteurs majeurs de l’économie permet à quelques-uns de faire leur beurre alors que consommateurs et contribuables sont les dindons de la farce.

Ce qui, en des termes moins triviaux, revient à dire : l’Autorité de la concurrence a établi que les quatre secteurs-clés auxquels elle s’est particulièrement intéressée, font l’objet de concentrations monopolistiques ou oligopolistiques qui interdisent le jeu de la concurrence, favorisent l’enrichissement de quelques acteurs et créent les conditions d’une cherté de la vie. Les critères d’attribution de la délégation de service public maritime dissuadent la plupart des opérateurs de candidater.

La grande distribution est aux mains de quelques enseignes qui disposent d’une densité commerciale 37 % plus importante qu’entre Marseille et Dunkerque. Le traitement des déchets est assuré par une poignée d’opérateurs privés. La distribution au détail des carburants est partagée entre trois opérateurs dont l’un assure l’essentiel de l’approvisionnement de l’île et du stockage (avant l’alimentation des points de vente). L'Autorité de la concurrence ne s’est toutefois pas bornée à dresser un constat.

Elle a émis des recommandations qui, si elles étaient appliquées, contribueraient à favoriser la concurrence, à améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs en faisant baisser les prix, à réduire les dépenses des collectivités et à stabiliser la pression fiscale : évaluation continue des prix pratiqués dans la gestion des déchets afin de détecter les surcoûts anormaux ; par exemple des obligations de service public adaptées aux exigences des différentes périodes de l'année, des possibilité d’offres ligne par ligne, une durée moins longue de la délégation de service publique pour ce qui concerne le service public maritime ; régulation du monopole d'approvisionnement et de stockage concernant la distribution de carburants ; adaptation du seuil de revente à perte et plus grande latitude de proposer des promotions dans la grande distribution.


Un chantier délicat remettant en cause des situations établies
Appliquer les recommandations de l’Autorité de la concurrence ne sera cependant pas simple.

D’abord parce que l’État qui doit faire face à trois crises (sanitaire, économique, sociale) de grande ampleur et sans doute durables, n’a pas forcement la latitude ou la volonté d’ouvrir un chantier délicat car remettant en cause des situations établies. Ensuite parce que la préservation de certaines activités et de nombreux emplois dépend beaucoup d’un statut quo.

En effet, dynamiser la concurrence compromettrait probablement de nombreux emplois directs et induits dépendant du transport maritime, de la grande distribution, de la commercialisation de carburants et aussi du commerce de proximité. Enfin parce qu’agir demanderait de mettre à mal une partie des sources de profits des principaux acteurs de l’économie de la Corse. Les grands groupes pour lesquels la Corse ne représente qu’un petit marché, s’en accommoderaient probablement.

En revanche, beaucoup d’intermédiaires corses verraient leur prospérité menacée.

S’étant fait les intermédiaires privilégiés d’opérations entre le marché corse et des acteurs venus d’ailleurs, bénéficiant souvent de marchés captifs et ayant leur part de la captation des réductions de TVA (ou d’autres mesures), ils auraient beaucoup à perdre dans une remise à plat fondée sur la concurrence et le contrôle.
Le rapport de l’Autorité de la concurrence est désormais sur le bureau du Ministre de l'Economie Bruno Le Maire ainsi que sur les bureaux et pupitres des conseillers exécutifs et territoriaux de la Collectivité de Corse. Vu ce qu’indique et préconise ce document et ce que l'exploiter exigerait de courage politique et de choix délicats, il est probable que les destinataires ne le considèrent pas comme étant un cadeau de Noël anticipé. A moins qu’ils aiment trouver des patates chaudes dans leurs petits souliers.

Pierre Corsi
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