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Cacher cet accent que je ne saurais entendre

Le sujet pourrai prêter à sourire. Pourtant, la proposition de loi visant à lutter contre cette discrimination concerne 30 millions de Français.
Cacher cet accent que je ne saurais entendre

Le sujet pourrait prêter à sourire.

D’autant que le contexte de crise sanitaire, de controverse sur l’article 24, de reprise des attentats pourrait laisser à penser que les politiques ont d’autres chats à fouetter que de plancher sur un texte de loi visant à combattre la glottophobie. Pourtant, la proposition de loi visant à lutter contre cette discrimination concerne 30 millions de Français.

Loi en gestation

Il y a deux ans, quand Laetitia Avia, députée LREM, avait évoqué son souhait de déposer une proposition de loi contre la glottophobie, cela avait été pris pour une blague, une réaction suite à une altercation de Jean-Luc Mélanchon avec une journaliste à l’accent marseillais.
Laetitia Avia questionnait alors Paris, ses médias et ses élites politiques : « Parle-t-on moins français avec un accent? Doit-on subir des humiliations si on n’a pas d’intonations standardisées ? Parce que nos accents sont notre identité, je dépose, avec des députés de la majorité, une proposition de loi pour reconnaître la glottophobie comme source de discrimination.
Puis elle s’était ravisée, et le projet de loi avait fait long feu.
Aujourd’hui, le député héraultais Agir Christophe Euzet demande à ce que l’accent soit ajouté dans l’article 225-1 du Code pénal qui interdit les discriminations en France.

Discrimination linguistique

Avoir ou ne pas avoir le « bon accent ».

La nomination de Jean Castex à Matignon pourrait avoir relancé le sujet, tant son accent du sud-ouest provoque de commentaires et moqueries.
Car en France, plus vous avez un métier de prestige, plus on attend de vous le respect des normes sociales, dont la norme linguistique.

Le sociologue Pierre Bourdieu l'a très bien montré : la « bonne" langue est celle qu'utilise l'élite de la société », et qui entend garder le pouvoir. Le Premier ministre devrait donc avoir perdu son accent en accédant à ses fonctions. Tout cela relève de la glottophobie, une discrimination liée à une certaine façon de parler.`
Ce néologisme a été créé dans les années 1990 par Philippe Blanchet, sociolinguiste et professeur à l’université de Rennes, auteur de « Discriminations: combattre la glottophobie ». La glottophobie vise par exemple les locuteurs qui ne s’expriment pas dans la langue officielle d’un État ou qui ont un accent régional. En France, la région de Paris joue depuis des siècles le rôle de centre, au sens géospatial du terme.
C’est à Paris que siège le pouvoir, les plus grands médias, mais aussi la plupart des rédacteurs de ceux qui créent les normes linguistiques. Ainsi, toute personne qui s’exprime loin de cette norme a un accent régional.

L’accent régional
Selon un sondage IFOP de janvier 2020, un Français sur deux estime parler avec un accent.

Plus d'un quart d'entre eux affirment être régulièrement l’objet de moqueries dans leur quotidien. Et d'après les résultats de cette étude, quelque 11 millions de Français auraient été victimes de discriminations lors d'un concours, d'un examen ou d'un entretien d'embauche, à cause de leur accent.
Pourtant, l’accent est partie intégrante de l’identité de nombreux Français. En France, l’unité nationale a été rendue possible en imposant le français comme langue officielle.
Durant la Terreur, des lois sont mises en place qui imposent la langue française et interdisent l’usage des autres langues jusque-là parlées dans le pays. Car le monolinguisme a été imposé par la force, alors que le plurilinguisme est une caractéristique française, historiquement. Parler sa langue est un droit fondamental.
Tous les textes internationaux de protection des droits humains interdisent explicitement les discriminations linguistiques.
En France métropolitaine, certains accents sont plus méprisés que d’autres. Les accents de type méridional, du Pays basque à la Provence en incluant la Corse sont les seuls accents qui ont à la fois une connotation positive et négative. Ils sont considérés comme sympathiques, « chantants », « jolis » et dans le même temps perçus comme « pas sérieux », des accents « de gens du Sud, qui ne font rien, des brigands... ».
Car la stigmatisation inclut la moquerie, la condescendance, l’humiliation, toute expression de discrimination.
L'enquête de l’IFOP montre que plus de dix millions de personnes en France seraient concernées par ces discriminations. Pour autant, il y a peu à parier que lutter contre la glottophobie nous rend totalement nos identités régionales. Avoir un accent, et alors ?

Maria Mariana
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