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Question Corse : L'énigme Giscard

Pourquoi le réformateur Valéry Giscard d'Estaing a-t-il lamentablement échoué dans la gestion d'une crise corse qui appelait avant tout des réformes politiques?
Question corse : l’énigme Giscard
Pourquoi le réformateur Valéry Giscard d'Estaing a-t-il lamentablement échoué dans la gestion d’une crise corse qui appelait avant tout des réformes politiques ?


Valéry Giscard d'Estaing s'est éteint ces jours derniers.
Le temps d’un mandat présidentiel qu’il a exercé de 1974 à 1981, il s’est employé à faire souffler un vent de réforme et de modernité sur la France. En effet, ayant été élu à présidence de la République six ans après Mai 68, et alors âgé de 48 ans, il a cherché à se donner une image de proximité avec le peuple, impulser des évolutions de la société et de la gouvernance, moderniser les infrastructures du pays et dynamiser la construction européenne.
Devant les caméras, il a joué de l’accordéon, au football ou au tennis, fait du ski en famille, chanté sur le plateau d’une émission de variétés, pris le métro. A l’Élysée, il a reçu des éboueurs pour un petit déjeuner.

A la ville, il s’est invité à la table des Français.

Il a initié et mis en œuvre la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (loi Veil), la simplification de la procédure de divorce, le droit de vote à 18 ans, une diversification et une liberté de ton de l’audio-visuel public, une amélioration de la condition carcérale. Il a facilité la saisine du Conseil constitutionnel.
Il a activé la réalisation du TGV, la production d’électricité nucléaire et la mise à niveau du réseau téléphonique. Il a mis sur pied, avec le chancelier Helmut Schmidt, le « couple franco-allemand » et le système monétaire européen.

Il a certes connu des échecs
: inflation, début du chômage de masse.
Sa présidence a en effet été marquée par la fin des 30 Glorieuses, période durant laquelle le plan Marshall, l’effort de reconstruction de la France après la deuxième guerre mondiale et la fin des dépenses consacrées au maintien d’un empire colonial, avaient permis le plein emploi, la hausse du niveau de vie et l‘accès à la société de consommation.
Des explications rationnelles ont pu être apportées à ces échecs économiques : effets de deux chocs pétroliers, moindre compétitivité de l’appareil productif du fait de l’adossement du franc au mark, hausse des prélèvements obligatoires…

En revanche, une énigme demeure : pourquoi le réformateur Valéry Giscard d'Estaing a-t-il lamentablement échoué dans la gestion d’une crise corse qui appelait avant tout des réformes politiques ?

Evénement calamiteux et suites dramatiques

La crise a éclaté un peu plus d’un an après l’élection de Valéry Giscard d'Estaing à la présidence de la République.
Les 21 et 22 août 1975, il a été confronté à un événement imprévu qu’une mauvaise gestion a rendu calamiteux puis source de développements dramatiques.

A Aleria, la cave Depeille a été occupée par des militants autonomistes conduits par Edmond Simeoni. Valéry Giscard d'Estaing et son gouvernement étaient alors en vacances. Le ministre de l’Intérieur Michel Poniatowski expédiait les affaires courantes. Probablement parce que les relations entre lui et ce dernier étaient déjà tendues, Valéry Giscard d'Estaing a rejeté le conseil de son premier ministre Jacques Chirac qui penchait pour la prudence. Il a fait part de cet épisode en 1998 : « Il voulait absolument que l'on réunisse d'urgence le Conseil général de l'île. Sinon, disait-il, tout allait exploser. Je lui ai répondu qu'il n'en était pas question. » La gestion de la crise a été laissée à Michel Poniatowski. Celui-ci a dépêché un véritable corps expéditionnaire.
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La suite est bien connue : assaut et mort de deux gendarmes, arrestation d’Edmond Simeoni et d’une partie des occupants, dissolution de l'ARC, nuit d'émeute et tirs à Bastia s’étant soldés par la mort d’un CRS, six ans de répression conduite par la Cour de Sûreté de l’Etat, recours à des officines barbouzardes, création du FLNC, centaines d’attentats chaque année, affaire Bastelica-Fesch ayant occasionné la mort de trois personnes lors d’émeutes à Aiacciu.

Comment expliquer qu’un esprit porté vers la réforme, ait fait choix de la force à Aleria puis se soit embourbé dans une vision répressive ? Cela semble d’autant plus inexplicable que Valéry Giscard d'Estaing ne semblait pas a priori hostile à la Corse et aux Corses.
Ce qui a été confirmé ces derniers jours par Jean Baggioni et Camille de Rocca Serra. L’ancien président du Conseil Exécutif a affirmé : « Sa volonté permettait d’espérer. S’il n’y avait eu les événements de 75 qui ont créé un fossé avec la communauté nationale, sa réflexion pouvait conduire à une promotion de la Corse. » L’ancien député et Président de l’Assemblée de Corse a de son côté confié : « Les choses auraient pu être tout autre sans les erreurs de l’affaire d’Aléria. » Plusieurs explications sont plausibles mais aucune n’a jamais pu être vérifiée.


L’influence néfaste des élus corses ?

Première explication
: peut-être la volonté de Valéry Giscard d'Estaing de « promouvoir la Corse » ou que « les choses soient toutes autres », était-elle uniquement guidée par une vision technocratique du dossier corse et une écoute se résumant à prendre en compte la parole des élus. Ce que suggère le fait que, quelques mois avant les événements d’Aleria, et ce alors que le mouvement autonomiste de développait et que des attentats étaient déjà intervenus, la mission Libert Bou qu’il avait initié, n’avait qu’une carte économique à jouer. Ce que suggère aussi le fait que la seule réponse politique après les événements d’Aleria, ait été la bi-départementalisation que souhaitaient fortement Jean-Paul de Rocca Serra et François Giacobbi.

Deuxième explication :
peut-être Valéry Giscard d'Estaing était-il animé, de par ses années de jeunesse, d’un culture de l’Etat fort et de l’unité nationale qui lui interdisait d’envisager que l’Etat paraisse faible ou cède une partie de ses prérogatives. À 18 ans, il avait d’abord rejoint la Résistance puis, après la libération de Paris, s’était engagé dans la 1ère armée française du général de Lattre de Tassigny, et avait participé en première ligne aux combats en Allemagne et en Autriche.

Troisième explication :
Valéry Giscard d'Estaing appartenait à une famille politique de centre-droit qui avait signifié sa défiance à l’encontre des velléités de décentralisation du général De Gaulle (Non lors du referendum de 1969) car elle y voyait une menace de disparition d’une France où le pouvoir était partagé entre l’Etat et les notables locaux.

Quatrième explication :
Valéry Giscard d'Estaing ne pouvait désavouer la réaction initiale de Michel Poniatowski qui était considéré comme son lieutenant et l’artisan de sa victoire aux élections présidentielles.

Enfin, dernière explication,
peut-être au fond la plus plausible : la politique française, particulièrement à droite, était alors fortement influencées par des personnalités originaires de Corse qui, tout comme les élus des clans et aussi, du moins officiellement, le préfet puis chargé de mission à l’Elysée Jean Riolacci, affirmaient que les autonomistes et les indépendantistes n’étaient qu’une poignée et que leurs actions suscitaient un rejet qui les conduiraient à la totale marginalisation.


Pierre Corsi
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