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Green pass : l’impossible consensus

Le débat sur le Green pass s’est inscrit dans une continuité. Il a beaucoup ressemblé aux confrontations qui, depuis des années, voient s’opposer deux visions de la Corse
Dans le cadre du déconfinement progressif, depuis le 9 juin, il est proposé un protocole sanitaire aux personnes qui souhaitent, depuis l’Hexagone, se rendre en avion à la Guadeloupe, à la Martinique, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy ou à La Réunion. Ces personnes sont invitées à se soumettre, dans les 72 heures précédant leur vol, à un test de détection du Covid19. Ensuite, à l’embarquement, il leur est demandé de fournir deux attestations sur l’honneur : l’une indiquant le motif de leur déplacement ; l’autre mentionnant qu’elles ne présentent pas de symptômes et n’ont pas, à leur connaissance et durant les quatorze jours ayant précédé leur départ, été en contact avec un individu infecté. Les personnes qui présentent un test de détection négatif, bénéficient de formalités aéroportuaires accélérées, d’une quarantaine allégée (sept jours, autorisation de circuler à condition de porter un masque, de respecter la distanciation physique, de ne pas participer à des rassemblements et d’éviter tout contact avec des personnes à risque ; nouveau test à l’issue des sept jours). Quant aux personnes non testée, elles sont soumises à des dispositions très contraignantes : interminables formalités aéroportuaires ; quarantaine de quatorze jours à domicile ou en site dédié. Enfin, les personnes ayant été testées positives ne sont bien entendu pas autorisées à s’envoler. Ce protocole sanitaire sera évalué dans quelques jours. Le test pourrait être rendu obligatoire et les quarantaines supprimées. L’État qui a instauré ce protocole sanitaire, les élus et les acteurs économiques qui l’acceptent, font ainsi preuve d’une prudence de nature à réduire le risque de deuxième vague épidémique. Chez nous, il en a été tout autrement. La prudence n’a pas prévalu. Le Président du Conseil exécutif avait proposé de conditionner l’entrée en Corse à l’obtention d’un passeport sanitaire (Green pass) sur présentation d’un test de dépistage datant de moins de sept jours. Or, bien qu’étant moins contraignant que celui applicable dans les territoires susmentionnés, ce protocole n’a pas été mis en place. En effet, faute de consensus dans l’île et de feu vert de l’État, Gilles Simeoni a dû renoncer.


Comme un épouvantail cloué au pilori


Certains élus ont fait feu de tout bois pour clouer le Green pass au pilori. Jean-Charles Orsucci, maire de Bonifacio et conseiller territorial, a dénoncé une volonté d’en faire trop susceptible de dissuader les touristes d’opter pour la destination Corse : « Il faut rapidement sortir de cette logique visant à mettre la Corse sous cloche et à imposer plus de barrières que d’autres régions touristiques qui ne sont pas moins sensibles à la préservation de la santé de leurs concitoyens (…) L’annonce du Green pass, bien qu’elle ait eu pour origine des sentiments nobles, a été vécue de manière négative, comme une exigence trop contraignante qui a entraîné une chute des réservations » L’intéressé, comme l’ont fait bien d’autres, a aussi souligné les limites du Green pass : « Ce n’est pas le risque zéro. » Jean-Martin Mondoloni, conseiller territorial, a stigmatisé une absence de stratégie et une tentation de faire cavalier seul : « Alors que toutes les régions se préparent stratégiquement en tenant compte de l’enjeu sanitaire à la reprise d’activité, la Corse diffère. » François Tatti, Président de la Communauté d’Agglomération de Bastia, a souligné que les autorités régionales sardes n’avaient pas donné suite à leur projet de contrôle sanitaire de l’entrée de touristes : « L’Exécutif sarde a renoncé au contrôle sanitaire des touristes (…) La majorité territoriale aura-t-elle la même sagesse ou continuera-t-elle, avec le Green pass, à dissuader les touristes encore tentés par la Corse ? » Plusieurs acteurs économiques ont de leur côté signifié leur crainte que le Green pass s’avère être un épouvantail. L’un d’entre eux n’a d’ailleurs pas fait dans la dentelle. « Avec un ami comme M. Simeoni, le tourisme en Corse n’a pas besoin d’ennemis » a déclaré Jean-Noël Marcellesi, hôtelier et Président du Cercle des grandes maisons corses. Restait à connaître la position de l’État. Bien que le ministre de l’Intérieur ait initialement déclaré qu’il « comprenait parfaitement la démarche de Gilles Simeoni », l’État n’a apporté aucune réponse. Ce qui valait refus...


Deux visions de la Corse


Le débat sur le Green pass a-t-il opposé un président du Conseil Exécutif soucieux de préserver la santé des habitants de l’île et les visiteurs, et des opposants voulant sauver à tout prix la haute saison touristique ? Certes non. La confrontation n’a pas consisté en le choc entre une priorité vertueuse de santé publique et une mise en avant détestable d’intérêts économiques. Gilles Simeoni a proposé le Green pass en ayant conscience que la plupart des professionnels du tourisme ne pouvaient subir une année blanche et en ayant la conviction qu’instaurer ce passeport sanitaire contribuerait autant à rassurer les visiteurs que les résidents. Les opposants au Green pass ont dit non tout en sachant très bien que la survenue durant l’été d’une « deuxième vague Covid19 » serait désastreuse pour le secteur touristique et plus globalement pour l’image de la Corse mais en voulant croire en l’efficience de la responsabilisation individuelle (respect des gestes barrières, de la distanciation physique...) En réalité, le débat sur le Green pass s’est inscrit dans une continuité. Il a en effet beaucoup ressemblé aux confrontations qui, depuis des années, voient s’opposer deux visions de la Corse : celle plutôt dirigiste et protectrice des nationalistes qui entend faire prévaloir une cohérence territoriale à l’échelle de l’île, des critères sociaux, environnementaux et culturels, des exigences de solidarité entre les composantes de la société ; celle plutôt libérale d’une majorité de la classe politique non nationaliste et des principaux acteurs économiques, et ayant d’ailleurs à ce jour la préférence de l’État, qui s’accommode d’une concurrence entre les territoires et appelle de ses vœux une limitation et même une réduction des normes et des contraintes.
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