Evolution institutionnelle: la recette alsacienne
A l’heure où les relations entre l’Etat et la majorité nationaliste aux commandes de la Collectivité de Corse sont de plus en plus antagoniques, il serait peut-être pertinent que certains chez nous s’intéressent quelque peu à la recette alsacienne.
Évolution institutionnelle : la recette alsacienne
A l’heure où les relations entre l’État et la majorité nationaliste aux commandes de la Collectivité de Corse sont de plus en plus antagoniques, il serait peut-être pertinent que certains chez nous s’intéressent quelque peu à la recette alsacienne.
2015, durant la présidence de François Hollande et dans le cadre de la loi NOTRe (Loi portant nouvelle organisation territoriale de la République), la Région Alsace est arbitrairement rattachée à la nouvelle région Grand Est (qui comprend également les anciennes Régions Champagne-Ardenne et Lorraine).
La plupart des Alsaciens sont courroucés de ce diktat. Ils ne considèrent pas comme une consolation ou une compensation que Strasbourg soit désignée comme devant être la « ville Capitale » de ce que les technocrates parisiens appellent une « super région ». Ils craignent que le rattachement nuise à la prospérité économique de leurs terroirs, à leur identité culturelle et linguistique ainsi qu’au maintien de leur droit local. Le traumatisme ressenti par la population mais aussi par une grande partie des élus ne donne toutefois pas lieu à des manifestations massives ou violentes de mécontentement.
Par ailleurs, en initiant d’importantes et coûteuses campagne de communication visant à affirmer une notoriété et à construire une image Grand Est, les deux présidents alsaciens de cette nouvelle Région, Philippe Richter puis Jean Rottner, contribuent à faire croire que l’existence institutionnelle d’une entité Alsace relève de la page définitivement tournée.
En réalité, en coulisse, une page nouvelle est en train d’être écrite. Des élus et des figures de la société civile s’emploient à convaincre du bien-fondé d’un retour à une représentation institutionnelle spécifique des territoires alsaciens. L’action de ces forces vives aussi bien en Alsace qu’à Paris, fait qu’en 2018 le préfet du Grand Est Jean-Luc Marx remet un rapport au Premier ministre Édouard Philippe dans lequel il est constaté la persistance d’un « désir d’Alsace » et proposé la création d’un « département unique d’Alsace ».
L’année suivante, se fondant sur les enseignements et les préconisations de ce rapport, le gouvernement fait adopter par l’Assemblée Nationale et le Sénat un projet de loi prévoyant la création d’une Collectivité Européenne d’Alsace (CEA) au sein du Grand Est. Cette institution unique en France a vu le jour le 1er janvier dernier. Elle est structurée à partir de la fusion des conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Elle dispose de 6000 agents et d’un budget de 2 milliards d’euros. Elle a repris les compétences des deux anciens départements notamment l’action sociale, la gestion de 147 établissements scolaires du secondaire, l’entretien de plus de 6000 km de routes et de 4500 itinéraires cyclables.
La CEA s’est aussi vue attribuer des compétences nouvelles. Elle pourra organiser son propre schéma de coopération transfrontalière avec l’Allemagne et la Suisse en de nombreux domaines dont les transports transfrontaliers et la santé. Elle aura les coudées franches en matière de bilinguisme, pouvant même recruter des intervenants pour enseigner l’allemand en complément des programmes nationaux. Elle coordonnera la politique touristique sur son territoire (2,5 milliards d’euros de revenus annuels, 39 000 emplois).
Un cap qui ne semble pas effrayer Pari
Le pouvoir politique de la CEA est mis en œuvre par un Conseil départemental d'Alsace (aussi appelé Assemblée d'Alsace).
Cette assemblée délibérante est en place depuis le 1er janvier 2021. Elle comprend 80 « conseillers d’Alsace » (nouvelle dénomination des anciens conseillers départementaux, 46 dans le Bas-Rhin, 34 dans le Haut-Rhin) qui ont élu exécutif composé d’un Président et de 15 vice-présidents. Le renouvellement des conseillers se fera cette année (si la Covid 19 le veut bien) à l’échelle des anciens cantons. Cela permettra que chaque terroir alsacien conserve une représentation effective et un poids politique. Frédéric Bierry (Les Républicains), qui auparavant présidait la conseil départemental du Bas-Rhin, a été élu président. Dès son premier discours, il a fixé un cap ambitieux qu’il s’est promis de tenir en s’appuyant sur toutes les possibilités du cadre juridique existant et sur les opportunités que pourraient offrir des lois autorisant des expérimentations : « Le temps de la reconquête de la reconnaissance institutionnelle de l’Alsace ne s’arrêtera pas là. Nous nous saisirons de toutes les opportunités pour récupérer des compétences et renforcer notre capacité, nos droits et nos moyens à agir. »
Ce cap ne semble pas effrayer Paris. Ces derniers jours, lors d’un déplacement en Alsace, le Premier ministre a validé la démarche alsacienne : « Je n’ai jamais été convaincu par la création de ces immenses régions dont certaines ne répondent à aucune légitimité historique et surtout ne me paraissent pas répondre aux besoins grandissants de nos concitoyens pour une action publique de proximité (…) Le désir de retrouver une Alsace reconnue ne constitue ni une lubie folklorique, ni une menace à l’unité de la République. »
Jean Castex s’est même dit ouvert à l’obtention à moyen terme par la CEA de compétences élargies. Comment expliquer cette ouverture alors qu’en Corse l’Etat pratique le verrou ? Le poids démographique, la force économique et le positionnement politique traditionnellement modéré de l’Alsace n’expliquent pas tout.
Il convient de prendre en considération que l’Alsace a sans doute trouvé la bonne recette pour traiter avec Paris.
Cette recette peut être ainsi déclinée : reconnaissance explicite d’un attachement indéfectible à la France, concertation permanente et toujours courtoise avec tous les niveaux de représentation de l’Etat. Cette recette est ressortie clairement dans le premier discours de Frédéric Bierry devant l’Assemblée d’Alsace : « Nous avons porté haut et fort la reconnaissance républicaine de l’Alsace (...) Sans l’écoute attentive des Préfets d’Alsace qui se sont succédés, Jean-Luc Marx dont le rapport relevait le « désir d’Alsace », le Préfet du Haut-Rhin Monsieur Touvet, et Madame la Préfète de Région Josiane Chevalier qui a levé de nombreux obstacles qui entravaient notre démarche ; sans la prise de conscience de la justesse du combat alsacien, par le Président de la République Emmanuel Macron, du premier Ministre Edouard Philippe et de Madame la Ministre Jacqueline Gourault, nous n’aurions jamais pu redonner à l’Alsace son identité institutionnelle dans ce délai. »
A l’heure où les relations entre l’Etat et la majorité nationaliste aux commandes de la Collectivité de Corse sont de plus en plus antagoniques, il serait peut-être pertinent que certains chez nous s’intéressent quelque peu à la recette alsacienne en ayant en tête ce proverbe " À chi vole ugne u spetu ingrassi u mannarinu"...
Pierre Corsi
A l’heure où les relations entre l’État et la majorité nationaliste aux commandes de la Collectivité de Corse sont de plus en plus antagoniques, il serait peut-être pertinent que certains chez nous s’intéressent quelque peu à la recette alsacienne.
2015, durant la présidence de François Hollande et dans le cadre de la loi NOTRe (Loi portant nouvelle organisation territoriale de la République), la Région Alsace est arbitrairement rattachée à la nouvelle région Grand Est (qui comprend également les anciennes Régions Champagne-Ardenne et Lorraine).
La plupart des Alsaciens sont courroucés de ce diktat. Ils ne considèrent pas comme une consolation ou une compensation que Strasbourg soit désignée comme devant être la « ville Capitale » de ce que les technocrates parisiens appellent une « super région ». Ils craignent que le rattachement nuise à la prospérité économique de leurs terroirs, à leur identité culturelle et linguistique ainsi qu’au maintien de leur droit local. Le traumatisme ressenti par la population mais aussi par une grande partie des élus ne donne toutefois pas lieu à des manifestations massives ou violentes de mécontentement.
Par ailleurs, en initiant d’importantes et coûteuses campagne de communication visant à affirmer une notoriété et à construire une image Grand Est, les deux présidents alsaciens de cette nouvelle Région, Philippe Richter puis Jean Rottner, contribuent à faire croire que l’existence institutionnelle d’une entité Alsace relève de la page définitivement tournée.
En réalité, en coulisse, une page nouvelle est en train d’être écrite. Des élus et des figures de la société civile s’emploient à convaincre du bien-fondé d’un retour à une représentation institutionnelle spécifique des territoires alsaciens. L’action de ces forces vives aussi bien en Alsace qu’à Paris, fait qu’en 2018 le préfet du Grand Est Jean-Luc Marx remet un rapport au Premier ministre Édouard Philippe dans lequel il est constaté la persistance d’un « désir d’Alsace » et proposé la création d’un « département unique d’Alsace ».
L’année suivante, se fondant sur les enseignements et les préconisations de ce rapport, le gouvernement fait adopter par l’Assemblée Nationale et le Sénat un projet de loi prévoyant la création d’une Collectivité Européenne d’Alsace (CEA) au sein du Grand Est. Cette institution unique en France a vu le jour le 1er janvier dernier. Elle est structurée à partir de la fusion des conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Elle dispose de 6000 agents et d’un budget de 2 milliards d’euros. Elle a repris les compétences des deux anciens départements notamment l’action sociale, la gestion de 147 établissements scolaires du secondaire, l’entretien de plus de 6000 km de routes et de 4500 itinéraires cyclables.
La CEA s’est aussi vue attribuer des compétences nouvelles. Elle pourra organiser son propre schéma de coopération transfrontalière avec l’Allemagne et la Suisse en de nombreux domaines dont les transports transfrontaliers et la santé. Elle aura les coudées franches en matière de bilinguisme, pouvant même recruter des intervenants pour enseigner l’allemand en complément des programmes nationaux. Elle coordonnera la politique touristique sur son territoire (2,5 milliards d’euros de revenus annuels, 39 000 emplois).
Un cap qui ne semble pas effrayer Pari
Le pouvoir politique de la CEA est mis en œuvre par un Conseil départemental d'Alsace (aussi appelé Assemblée d'Alsace).
Cette assemblée délibérante est en place depuis le 1er janvier 2021. Elle comprend 80 « conseillers d’Alsace » (nouvelle dénomination des anciens conseillers départementaux, 46 dans le Bas-Rhin, 34 dans le Haut-Rhin) qui ont élu exécutif composé d’un Président et de 15 vice-présidents. Le renouvellement des conseillers se fera cette année (si la Covid 19 le veut bien) à l’échelle des anciens cantons. Cela permettra que chaque terroir alsacien conserve une représentation effective et un poids politique. Frédéric Bierry (Les Républicains), qui auparavant présidait la conseil départemental du Bas-Rhin, a été élu président. Dès son premier discours, il a fixé un cap ambitieux qu’il s’est promis de tenir en s’appuyant sur toutes les possibilités du cadre juridique existant et sur les opportunités que pourraient offrir des lois autorisant des expérimentations : « Le temps de la reconquête de la reconnaissance institutionnelle de l’Alsace ne s’arrêtera pas là. Nous nous saisirons de toutes les opportunités pour récupérer des compétences et renforcer notre capacité, nos droits et nos moyens à agir. »
Ce cap ne semble pas effrayer Paris. Ces derniers jours, lors d’un déplacement en Alsace, le Premier ministre a validé la démarche alsacienne : « Je n’ai jamais été convaincu par la création de ces immenses régions dont certaines ne répondent à aucune légitimité historique et surtout ne me paraissent pas répondre aux besoins grandissants de nos concitoyens pour une action publique de proximité (…) Le désir de retrouver une Alsace reconnue ne constitue ni une lubie folklorique, ni une menace à l’unité de la République. »
Jean Castex s’est même dit ouvert à l’obtention à moyen terme par la CEA de compétences élargies. Comment expliquer cette ouverture alors qu’en Corse l’Etat pratique le verrou ? Le poids démographique, la force économique et le positionnement politique traditionnellement modéré de l’Alsace n’expliquent pas tout.
Il convient de prendre en considération que l’Alsace a sans doute trouvé la bonne recette pour traiter avec Paris.
Cette recette peut être ainsi déclinée : reconnaissance explicite d’un attachement indéfectible à la France, concertation permanente et toujours courtoise avec tous les niveaux de représentation de l’Etat. Cette recette est ressortie clairement dans le premier discours de Frédéric Bierry devant l’Assemblée d’Alsace : « Nous avons porté haut et fort la reconnaissance républicaine de l’Alsace (...) Sans l’écoute attentive des Préfets d’Alsace qui se sont succédés, Jean-Luc Marx dont le rapport relevait le « désir d’Alsace », le Préfet du Haut-Rhin Monsieur Touvet, et Madame la Préfète de Région Josiane Chevalier qui a levé de nombreux obstacles qui entravaient notre démarche ; sans la prise de conscience de la justesse du combat alsacien, par le Président de la République Emmanuel Macron, du premier Ministre Edouard Philippe et de Madame la Ministre Jacqueline Gourault, nous n’aurions jamais pu redonner à l’Alsace son identité institutionnelle dans ce délai. »
A l’heure où les relations entre l’Etat et la majorité nationaliste aux commandes de la Collectivité de Corse sont de plus en plus antagoniques, il serait peut-être pertinent que certains chez nous s’intéressent quelque peu à la recette alsacienne en ayant en tête ce proverbe " À chi vole ugne u spetu ingrassi u mannarinu"...
Pierre Corsi