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Le long combat de quatre femmes ! Catalina Vesperini : «Nous étions censées être des “salariées protégées“»

Parce qu'elles ont voulu montrer des défaillances budgétaires au sein de l'office des transports, elles ont été placées sur le bancs desaccusées.
Des fautes ou des faux ?

Pour résumer l’affaire, en 2012 quatre des neuf agents de l’OTC alertent le président de l’Office sur l’insincérité et le déséquilibre du budget 2013 d’une quinzaine de millions d’euros. Deux ans plus tard, c’est la DSP maritime qui subit une semblable amputation tandis que les tarifs résidents augmentent de 12 % en même temps que les tarifs fret diminuent. La Chambre régionale des comptes va déclarer les trois budgets suivants insincères.
En juillet 2014, la Commission européenne alertée adresse un questionnaire à l’Office. Le directeur demande alors au personnel compétent de répondre. Les quatre employés demandent le relevé des comptes à l’interne, mais aussi « au Secrétariat général des affaires corses (Sgac), qui dépend de la préfecture » et qui est censé approuver ou refuser les comptes, ce qui rend les employées suspectes aux yeux de leur hiérarchie. Puis les employées s’aperçoivent que du carburant a été payé à un opérateur extérieur par l’Office sans qu’il y ait de justificatifs. Il y a donc par omission un faux en écriture.

Quatre lanceuses d’alerte persécutées



Les quatre employées ne sont pas fonctionnaires et ont donc le devoir de saisir le procureur au moyen d’une plainte faute de quoi, elles peuvent être condamnées au pénal. Ce qu’elles font en décembre 2014. Le dépôt de plainte n’est connu que le mois suivant et les persécutions et l’isolement des « coupables » commencent. Au premier rang des responsables méprisants et grossiers : Paul-Marie Bartoli, le ci-devant président de l’OTC. L’année 2015 est celle de la première victoire nationaliste. Les employées veulent croire que leur calvaire est terminé. Hélas ! Le nouveau directeur adopte l’attitude du règne giacobbiste : ostracisme, mépris et menaces voilées pour les malheureuses. La politique de la nouvelle majorité ne diffère en rien de la précédente : recrutement pléthorique, explosion des frais de fonctionnement en partie parce que l’OTC fait désormais appel à des cabinets d’études extérieurs. Quant aux salaires, ils sont non seulement plus que corrects, mais enrichis par de nombreuses primes ce que dénonce la Chambre régionale des Comptes. Nous voilà loin, très loin de la maison de verre, mais près, tout près des bonnes vieilles méthodes clanistes pourtant publiquement dénoncées.

Licenciées pour avoir osé affirmer la vérité


Les quatre femmes ont été licenciées par l’OTC. L’une d’entre elles, âgée de 40 ans s’est retrouvée à la rue avec des enfants à charge. Les prud’hommes ont pourtant reconnu le statut de lanceuses d’alerte à ces courageuses employées. Faut-il ajouter que ci-devant directeur de l’OTC giacobbiste se retrouve devant un tribunal correctionnel à la suite du rapport de la CRC, que l’OTC a été perquisitionné ainsi que le domicile des membres du Consortium. La justice leur a donné raison en première instance. La direction de la CTC aurait pu choisir l’occasion pour reconnaître le comportement inadmissible de la précédente. Rien de tout : ça elle persévère et fait appel de la décision de justice. Le 12 octobre, les quatre lanceuses d’alerte sont passées en appel devant les prud’hommes de Bastia. La CTC n’était représentée que par leur avocat dont la plaidoirie a duré cinq minutes montres en main et a consisté à abuser du terme de « donneuse d’alerte » ignorant volontairement le concept de « lanceuses » sous-entendu : donneuse, balance, femmes, salopes. La solitude de ces femmes courageuses a été accablante durant des ans générant désespoir et dépression mais aussi un cancer. Leur seul soutien a été des lettres de soutien écrites par Anticor et le STC. C’est tout. En attendant le résultat de l’appel, le Journal de la Corse a décidé de les accompagner dans leur combat tout simplement parce qu’elles ont raison sur le plan de l’éthique et le plan social, deux valeurs que pourtant la majorité nationaliste avait inscrites à juste titre au fronton de son panthéon.
GXC

Catalina Vesperini : « Nous étions censées être des “salariées protégées“ »



Après avoir dénoncé des irrégularités à l’Office des Transports de la Corse (OTC) et porté plainte auprès du Procureur de la République fin 2014, trois des quatre plaignantes ont été licenciées de cet établissement public. Reconnues comme « lanceuses d’alerte », elles ont saisi les prud’hommes pour contester ce licenciement. L’audience en appel a eu lieu le 12 octobre et la décision sera rendue mi-décembre. Evincée de ses fonctions de responsable du service maritime à l’OTC en février 2020, Catalina Vesperini revient sur cette affaire qui dure depuis près de dix ans.


Le 12 octobre dernier, vous passiez avec vos trois collègues devant la Cour d’appel de Bastia. Que demandez-vous ?

On demande la confirmation du jugement des prud’hommes, c’est-à-dire la reconnaissance du harcèlement, de la discrimination, et l’annulation du licenciement sur le fondement de notre statut de lanceuses d’alerte. En effet, après la plainte déposée en décembre 2014 pour « faux en écriture publique » auprès du procureur de la République d’Ajaccio, on a introduit un recours devant le conseil des prud’hommes qui nous avait reconnues toutes les quatre comme « lanceuses d’alerte ». Nous étions donc censées être des « salariées protégées ». En principe, on ne pouvait pas nous licencier. Par ailleurs, en décembre 2019, deux mois avant mon licenciement, l’Assemblée de Corse avait voté une délibération sur la protection des lanceurs d’alerte. Mais ça n’a rien changé...


À l’origine, ce que vous dénoncez remonte à la mandature « Giacobbi », entre 2010 et 2015. Qu’en est-il exactement ?

À l’arrivée de cette mandature, en 2010, on avait commencé à alerter le président de l’Office des Transports sur le déséquilibre du budget. Mais rien ne bougeait. En décembre 2014, nous étions donc déjà placardisées et harcelées au moment de déposer plainte. Nous avions constaté que des surcoûts de carburants avaient été payés à une compagnie maritime et pas à son co-délégataire alors que la Cour de Justice Européenne avait stipulé que ces sommes n’étaient pas dues. En outre, une somme de 6,5 millions d’euros avait été versée sans aucun fondement à une compagnie au titre de l’aide sociale.


L’ambiance s’est donc encore plus tendue ?

Oui. Début 2015, suite au dépôt de plainte, les pressions et les violences ont été telles que ma collaboratrice est la première de nous à avoir craqué. Elle a pris sa retraite de façon anticipée. Nous avons toutes craqué à la suite et avons été arrêtées en accident du travail.


Au moment de déposer plainte, pensiez-vous aux conséquences que cela pouvait engendrer ?

Honnêtement oui. Mais ça faisait un moment qu’on s’inquiétait et qu’on alertait la hiérarchie de certaines dérives. Là, c’était différent. Evelyne Mariani et moi étions respectivement responsables du service aérien pour elle et du maritime pour moi. Avec nos deux autres collègues, on a déposé plainte toutes les quatre ensemble. On a aussi toutes lancé une procédure aux prud’hommes pour discrimination et harcèlement. Si j’avais été seule, je ne sais pas si j’aurais fait tout ça.


En décembre 2015, les nationalistes accèdent au pouvoir à la Collectivité de Corse. Quelle incidence cela a-t-il eu pour vous ?

En ce qui me concerne, quand ils sont arrivés aux affaires, j’étais très soulagée. J’ai même repris le travail ainsi que ma collaboratrice après onze mois d’arrêt. Compte tenu de la poursuite des violences au travail, la responsable du service aérien n’a pas été en mesure de reprendre son poste. Elle a été licenciée la première pour « inaptitude à tout poste » en avril 2017.


Quelle a été votre réaction ?

J’étais très déçue. J’étais un peu comme Jean-Christophe Angelini qui avait déclaré que si on lui avait dit un jour qu’il serait dans l’opposition avec une majorité nationaliste au pouvoir, il ne l’aurait pas cru. C’est un peu la même chose pour moi. Non pas que j’espérais quelque chose à titre personnel, pas du tout ; j’espérais juste retrouver mes fonctions. Mais en voyant comment évoluaient les choses…


Que s’est-il passé ?

Sous la mandature « Giacobbi », on nous avait mises au placard mais on n’avait pas osé nous enlever l’ensemble de nos missions. Avec les nationalistes, en revanche, on n’avait plus aucun courrier et plus aucun travail à faire. Ils n’ont pas mis de gants et ont été plus loin encore. Ils ont même fabriqué une fausse adresse email pour faire croire que je ne répondais pas à leurs sollicitations. Pire, ils ont nommé le responsable des ressources humaines - qui était notre principal harceleur sous l’ère Giacobbi - secrétaire général de l’Office des Transports. Désormais, il est attaché parlementaire d’un député corse pour lequel il est en charge du social. Ce qui est assez «amusant»…


Avez-vous reçu des soutiens ?

Le STC et l’association Anticor nous ont apporté le leur via une lettre. La représentante du STC a d’ailleurs été témoin de menaces à mon encontre de la part d’un élu. Quant à Anticor, l’association a été abordée par certains élus pour nous discréditer. Nous avons été contactées récemment par le collectif Maffia No', A vita Iè et nous les rencontrons ces prochains jours.



La décision de la Cour d’appel a été remise au 15 décembre. Vous êtes confiante ?

Oui, nous sommes confiantes, mais, quel que soit le dédommagement que nous pourrions obtenir, ça ne réparera jamais toutes les souffrances endurées pendant toutes ces années. J’ai l’âge à présent d’être à la retraite, néanmoins, afin que notre combat ne soit pas vain et notamment pour notre jeune collaboratrice, il est capital que les licenciements soient annulés.

Propos recueillis par A.S
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