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Résidences secondaires et dépossession foncière : la course contre la montre

Lutter cointre la spéculation foncière et immobilière : c'est une proposition de loi porté par Jean - Félix Acquaviva.

Résidences secondaires et dépossession foncière


La course contre la montre
Lutter contre la spéculation foncière et immobilière : c’est une proposition de loi porté par Jean-Félix Acquaviva. Le Député nationaliste, dans l’attente d’une possible fenêtre de tir pour débattre à l’Assemblée nationale, compte bien se servir de la loi 3Ds – nouvelle loi de décentralisation, en discussion début décembre – pour poser les jalons de son texte par le biais de plusieurs amendements. En background, une urgence réelle : la frénésie des nouvelles constructions, et une mécanique implacable de dépossession foncière que rien ne semble pouvoir stopper.

Trois piliers


La proposition de loi s’articule autour de trois axes principaux : un droit de préemption renforcé pour la Collectivité de Corse, une fiscalisation des résidences secondaires afin de doter la Région d’une nouvelle ressource financière conséquente, et enfin un renforcement de la notion d’espaces stratégiques, en lien direct avec le PADDUC. À ces 3 points centraux, a été ajouté un appendice important : la capacité pour toutes les communes de Corse d’imposer la déclaration en mairie de tous les meublés de tourisme, et donc, en cas de demandes trop importantes, de refuser cette inscription, afin de juguler le phénomène de para-commercialisation.

Premier axe : un nouveau droit de préemption pour la Région

Ce droit de préemption urbain pour la CDC serait élargi à des thèmes d'intérêt général autres que la défense des espaces naturels sensibles : l'accession à la propriété, la création de logements sociaux, de pôles de services publics, d'infrastructures de transport mais aussi tous projets de développement économiques et de protection de l'environnement. Ce premier pilier interviendrait dans des zones extrêmement contraintes aujourd'hui par la spéculation foncière et immobilière, qui seraient déterminées en Conseil d'État et à partir d'un certain niveau de revenus, pour lutter réellement contre la spéculation.

Une ressource pérenne

Le deuxième pilier permettrait de doter ce droit de préemption d’une ressource pérenne et à la hauteur des enjeux : une fiscalisation de la spéculation immobilière sur la résidence secondaire. Sur ce thème, deux propositions sont mises en avant : la première consiste à taxer la valeur des résidences secondaires en excluant tous les biens en indivis, sur critère géographique, mais aussi ceux dont la valeur est inférieure à un certain seuil défini en Conseil d'État, et permettre aussi une exonération sur critères de revenus. À travers ces critères, Jean-Félix Acquaviva espère élaguer l’ensemble des problématiques des maisons patrimoniales des Corses qui constituent aujourd'hui seulement un tier de l'ensemble des résidences secondaires. La deuxième proposition consisterait à taxer les plus-values immobilières hormis les cessions de résidence principale et les biens en indivis, avec possibilité d’exonération en fonction du revenu aussi, et selon les territoires concernés.

PADDUC et espaces stratégiques

Le troisième axe concerne quant à lui le PADDUC. Il permettrait un renforcement de la notion d'espaces stratégiques. En plus des espaces stratégiques agricoles, la loi viserait à renforcer la possibilité de créer des zones d'équilibre économique et social territorial à l'échelle des communes. Le but : favoriser prioritairement dans ces zones l'accession sociale à la propriété, le logement social, les projets de développement économiques pérennes, et donc exclure en termes de priorisation la grande distribution, le phénomène de locations saisonnières et de résidentialisation secondaire. Selon le Député, « la priorisation des espaces, c'est aussi un moyen de juguler la hausse des résidences secondaires et surtout de codifier la nécessité de créer d'autres logements, d'autres zones de développement économique et d’autres infrastructures de service public. Charge à la commune de les traduire dans son PLU bien évidemment. »

Une loi en Stand-by

Le 31 mars dernier, la Commission des lois validait une proposition relative à l'évolution statutaire de la Collectivité de Corse afin de lutter contre la spéculation foncière et immobilière. Cette proposition de loi était portée par les députés nationalistes, avec Jean-Félix Acquaviva en première ligne. Elle devait initialement être étudiée à l’Assemblée nationale le 8 avril dernier, dans le cadre d’un temps de parole spécifique – aussi appelée niche parlementaire – réservé au groupe Libertés & Territoires. Le débat sur la spéculation n’a finalement pas pu avoir lieu. Les discussions s’étaient à l’époque focalisées sur une proposition de loi concernant la fin de vie et « l’assistance médicalisée active à mourir », qui avait fait l’objet de plus de 3000 amendements. Exit donc la proposition de loi, qui n’a pas été remise sur le tapis depuis. La prochaine niche parlementaire du groupe sera en février. D’ici là, le Député semble avoir changer son fusil d’épaule : il ambitionne de faire passer plusieurs points urgents de sa loi par le biais d’amendements à la loi 3DS – anciennement loi 4D, une nouvelle loi de décentralisation – afin de faire bouger les lignes.

Petru Ghjaseppu Poggioli

Mais cela va-t-il suffire ? Dans une interview sans concession, Jean-Félix Acquaviva nous donne son ressenti  quant à la situation et aux perspectives d'évolutions à venir....Sans perdre de vue que le compte à rebours est lancé.



Dans un document communiqué à notre rédaction intitulé « vaincre la spéculation immobilière », rédigé par Me Martin Tomasi, avocat proche du Levante, 20 000 meublés de tourisme sont évoqués, rien que pour la seule micro-région porto-vecchiaise. Que faire ? Surtaxer ces logements ? Impossible à Porto-Vecchio, alors que cela se fait à Bastia par exemple… Votre proposition de loi permettrait-elle d’y remédier ?

Tout à fait. L’idée c’est de pouvoir surtaxer les résidences secondaires. Cette surtaxe n’est possible, du fait d’un décret de mai 2013, que dans les agglomérations d'au moins 40000 habitants, c’est-à-dire en Corse la CAPA et la CAB. Autrement dit, cela exclut de nombreuses zones « tendues », qui sont pourtant sujettes à une forte spéculation foncière et immobilière et à un fort taux de résidences secondaires. L’Extrême-Sud et la Balagna sont exclues de ce dispositif, comme d'ailleurs d’autres zones, dans les Alpes, au Pays-Basque ou en Bretagne, qui réclameraient elles aussi cette surtaxe. C'est un décret qui est inadapté à la notion de zone tendue même à l'échelle de la France. Pour aller plus loin, quand on voit des villas qui se vendent cinq, dix, voir vingt millions d’euros, il faut un outil de taxes qui soit adapté à cette politique. On ne peut pas rester sur un outil normé qui soit limité à la surtaxe d'habitation de 60%, qui n'est pas suffisante pour alimenter un droit de préemption. Ce droit de préemption, comme on l’imagine, serait un bras régulateur suffisamment fort pour commencer à rééquilibrer les choses.

La part des résidences secondaires dans l’île est la plus élevée des régions métropolitaines : près de 100.000 logements (plus d’un logement sur 3, à titre comparatif la moyenne nationale est inférieure à 10 %, 18 % pour la région PACA). Sur ces 100 000 logements, un tier seulement appartiendraient à des résidents corses. Au sein même de votre Mouvement, la lutte contre le développement de ces résidences secondaires et la spéculation induite semble être une priorité. Comment endiguer ce phénomène ? Avez-vous un plan ?

Evidemment, cette proposition de loi ne vaut que dans un temps court, en attendant la réforme de la Constitution qui doit parachever le système. C'est un moyen de mettre un coup de pied dans la porte, pour avoir des outils de régulation suffisamment forts, et ainsi commencer à freiner et rééquilibrer un phénomène qui devient exponentiel et qui échappent à tout contrôle. Aujourd'hui on doit avoir une réponse rapide. C'est dans ce cadre-là que l’on fait une proposition au gouvernement. Une proposition de compromis, mais on ne cédera pas sur l'essentiel, parce qu’il y a urgence. Ça a fait bouger les lignes au sein-même de l'hémicycle puisque beaucoup de députés d'autres groupes nous ont suivis en Commission des lois : des députés de l’UDI, du Modem, du Parti socialiste, du Parti communiste, de la France insoumise, et aussi quelques députés En marche ! Donc ça a quand même permis transversalement d'avoir une convergence sur une proposition, y compris pour éclairer d'autres territoires qui sont sujets à une tendance lourde. La Corse, en termes d'intensité est hors-catégorie : quand on cumule le taux de croissance des prix, qui est de +138% sur le foncier bâti, avec le pouvoir d'achat des corses qui est inférieur à la moyenne française, le taux de logements sociaux qui est inférieur à la moyenne française, et la rareté foncière liée à l’île-montagne, la Corse atteint une situation d'intensité qui n'a pas d'équivalent sur les territoires français. Nous ne souhaitons pas que les autres territoires atteignent notre intensité de problématique, c'est pour cela que si notre exemple peut servir ailleurs, nous sommes tout à fait heureux, mais ce n’est pas parce qu’ailleurs il n'y a pas de réponse qu'on ne doit pas en trouver une tout de suite en Corse. C'est l'argumentaire que l'on donne au Gouvernement. Evidemment il faut une réforme constitutionnelle, on ne peut pas se satisfaire simplement de la loi, mais c'est un premier pas.

Un dispositif fiscal ayant joué un rôle considérable : le Crédit d’impôt Corse. En 2017, 5274 entreprises en ont bénéficié, ce qui a représenté 52 millions d’euros de déductions fiscales, tous secteurs confondus. Nul doute que la parahôtellerie et les meublés de tourisme en ont largement profité. Depuis 2019, un amendement que vous avez déposé en a limité l’usage, en excluant les meublés de tourisme du dispositif, mais de nombreuses failles juridiques persistent, concernant par exemple les chambres d’hôtes ou les résidences de tourisme classées. N’aurait-il pas fallu exclure aussi tout le secteur de la parahôtellerie ?

Déjà, « il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Ce Crédit d’impôt permet de pallier en partie au manque de soutien des banques dans les crédits aux entreprises, ce qui est un problème structurel dans l’île en ce qui concerne l'investissement dans l’appareil productif. Je pense au secteur agroalimentaire, à la production de biens et services en général, mais aussi aujourd'hui aux établissements de santé, grâce à l'élargissement que l’on a obtenu dans la loi. Par ailleurs, il est évident que le crédit d’investissement sur les activités de meublés de tourisme a été détourné de son objectif initial. C'est cela que nous avons dénoncé en sortant du dispositif en 2019. Nous avons été soutenus, l’amendement a été adopté. Bien sûr, il a fallu ensuite cadrer les choses, pour éviter que des Corses ne subissent trop le phénomène, puisque malheureusement nous n'avons pas de statut de résident pour distinguer les meublés de tourisme appartenant à des Corses, de ceux dont les propriétaires sont étrangers à l’île. La réforme de la Constitution est sur ce point nécessaire. Néanmoins, nous avons pu faire en sorte que, dans le bulletin officiel des finances publiques, édité par Bercy, il y ait un cadrage, afin que ne puissent bénéficier de ce crédit d’impôt que des structures qui ont une logique de professionnalisation, ce qui suppose en plus du lit à louer, des prestations qui se rapprochent de l'hôtellerie professionnel (petits-déjeuners, blanchisserie, etc. ndlr). Même si cela ne résout pas l'ensemble de la problématique, ça réduit le champ du phénomène spéculatif, parce que l'intérêt de ce crédit pour les spéculateurs c'était la facilité et la fluidité. Il suffisait d’acheter et de mettre le bien sur AirBnB, ce n’est plus le cas désormais.

Il existe de nombreux autres dispositifs qui ont participé à cette recrudescence des résidences secondaires : la Loi Pinel, les aides fiscales et financières issues du Grenelle de l’Environnement, le Crédit d'impôt prêt à taux zéro renforcé (PTZ+), les frais de notaire réduits en cas d’acquisition dans le neuf, et bien d’autres... Ces dispositifs qui avaient pour but initial de fabriquer du logement locatif ont eu dans l’île des conséquences dramatiques. Les prix flambent sous l’effet d’une demande extérieure insatiable (+ 138 % entre 2010 et 2017, selon un rapport de l’Agence de l’urbanisme), ce qui rend l’accession à la propriété des Corses de plus en plus difficile. Impossible il semblerait de faire marche arrière… N’est-il pas déjà trop tard ?

Je pense qu’il n'est jamais trop tard, parce qu'il y a quand même une conscience politique et démocratique forte dans l'île Il suffit de voir les réactions à nos interventions politiques à l'Assemblée nationale sur ce sujet, et ailleurs. Il suffit de voir l'appétence des jeunes à vouloir se battre pour se rendre compte qu'il n'est pas trop tard. Je crois que s’il avait été trop tard dans les années 70 pour le Riacquistu, alors que la langue et le chant se mourraient, on n’en serait pas là. Je préfère voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. On est toujours à temps de changer les choses, c'est une course contre la montre, mais on a quand même des atouts. Cette bulle spéculative crée une réaction démocratique en Corse mais aussi ailleurs. Les spéculations foncière et immobilière sont des sujets de tensions dans le débat français, comme dans le débat européen. Ces éléments-là créent un contexte de combat politique favorable. Cela ne veut pas dire que ça va être simple mais ces sujets-là, quand bien même le Gouvernement voudrait les éviter, en Corse comme ailleurs, doivent faire l'objet de réponses. On nous dit souvent « vous avez raison, votre diagnostic est bon, on va vous faire des propositions », le problème c’est que ces propositions de la part du Gouvernement, on les attend toujours… On est dans un cheminement où il faut avoir conscience que le foncier, la terre, c'est la base de tout. Je crois que c'est un combat qu'il faut mener dans toutes ses dimensions, et qu’il faut avoir bon espoir dans cette capacité à faire converger toutes les forces qui veulent que ça change.

Une accession à la propriété de plus en plus compliquée pour les Corses, alors que paradoxalement, plus ça va plus on construit ! En 2016, il y a eu dans l’île une hausse de 22 % des constructions, mais l’augmentation la plus alarmante est celle des permis de construire : + 102 % ! La Région ne peut-elle rien faire pour ralentir ce rythme de construction effréné ?

La Région peut aider à construire intelligemment. Le dispositif Una Casa pè tutti, una casa per ognunu, permet aux communes d'avoir des aides importantes si elles créent de l’allotissement pour l'accession à la propriété ou du logement à vendre à des résidents issus de la commune ou l’intercommunalité. C'est le paradoxe du statut de résident, qui est interdit à l’échelle de la Corse, mais accepté à l’échelle de la commune ou de l'intercommunalité, par le biais d’un jury qui identifie ce que l'on entend par « issu de ». C'est un moyen de contourner l'obstacle. La CDC a un produit ce dispositif pour venir en aide aux communes mais aussi aux ayants-droits, qui ont jusqu’à 27000€ d'aides publiques lorsqu'ils répondent aux critères. Les demandes sont de plus en plus nombreuses. Il faut maintenant un autre dispositif à côté qui régule le phénomène de la spéculation et sa croissance exponentielle, parce que si la croissance de la spéculation et celle du prix vont plus vite que la croissance des projets et des deniers publics actuels de la Collectivité, il est évident que l'on aura quand même une distorsion importante… En attendant une évolution législative qui est absolument nécessaire.

La Corse est l’une des régions les plus pauvres de France. Dans une île qui connaît un apport migratoire constant estimé à plusieurs milliers de personnes chaque année, et où le solde naturel est désormais négatif, il semble, pour paraphraser Me Tomasi, qu’une mécanique implacable de dépossession foncière soit en marche. Ce processus atteindra son paroxysme en 2027, lorsque prendra fin le régime fiscal dérogatoire en matière de succession : rares seront alors les familles corses à pouvoir s’acquitter de l’impôt sans avoir à vendre leurs biens. Une course contre la montre semble donc avoir démarré. Peut-on réellement être optimistes quant à l’avenir ?

Optimiste, si l’on se situe par rapport aux forces politiques, humaines, démocratiques, associatives, syndicales et économiques, qui ont bien compris que maîtriser le foncier c'est maîtriser le devenir humain des familles corses sur leurs terres, mais aussi le devenir du développement économique, oui ! Maintenant, si on se laisse aller à ne regarder que le phénomène de croissance des prix, c’est évident que l'urgence est là. « U bisognu hè à mezu à a casa », et le pire peut être à venir. Je crois qu’il faut se poser la question du combat politique à mener sous tous ces aspects, dans toutes ses dimensions, et mettre en œuvre la convergence la plus large possible. Non pas un consensualisme mou sur le sujet parce qu'on ne peut pas se le permettre, mais quelque chose qui ait du sens. Il suffit de voir les déceptions issues de la COP26 qui se manifestent partout ! Il y a des forces politiques à mettre en mouvement dans un contexte corse, français, européen, où le développement durable, le changement climatique, la nécessité de construire mieux, de se loger mieux, sont des préoccupations partagées.

Propos recueillis par P.G.P
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