Droit aux congés payés : le farniente n'est pas acquis
Faire et boucler sa valise. Partir près ou loin. Le farniente au bord de l’eau.
Droit aux congés payés : le farniente n’est pas un acquis
Faire et boucler sa valise. Partir près ou loin. Le farniente au bord de l’eau. Et aussi pouvoir randonner en montagne, flâner à la campagne, aller à la découverte de paysages naturels, de magnifiques cités ou de lieux chargés d’Histoire. Et aussi être libre de consacrer tout son temps à soi, à sa famille, à ses amis. Disposer de toutes ces possibilités qu’ouvrent les congés payés, cela semble aller de soi. Pourtant...
En France, jusqu’au XIXe siècle, le droit aux congés payés, périodes au cours desquelles le salarié est payé par l'employeur sans devoir en contrepartie fournir un travail physique ou intellectuel, n’a d’abord été été reconnu qu’aux fonctionnaires. C’est Napoléon III qui l’a voulu (décret impérial du 9 novembre 1853). La bourgeoisie républicaine, conservatrice ou radicale, arrivée au pouvoir avec la chute de l’Empire le 4 septembre 1870, ne s’est pas souciée de généraliser les congés payés. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, seuls quelques patrons ayant la fibre sociale ou ayant compris qu’il était profitable pour l’entreprise de permettre au salariat de reconstituer sa force de travail, ont accordé des congés payés. Il convient de souligner que revendiquer ce progrès social ne représentait une priorité ni pour les syndicats ouvriers, ni pour les partis politiques se réclamant de « la défense des intérêts des travailleurs » ou du « pouvoir du prolétariat ». Ces acteurs privilégiaient les luttes contre le chômage, pour la réduction du temps de travail hebdomadaire, pour l’amélioration des conditions de travail, pour l’augmentation du pouvoir d'achat.
Pas au programme du Front populaire
Le 14 juillet 1935, la coalition Front populaire réunit les radicaux, les socialistes, et les communistes. À l’issue des élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936, le Front populaire obtient la majorité des sièges à la Chambre des députés. Le 4 juin, le socialiste Léon Blum est élu Président du Conseil (chef du gouvernement). Les congés payés ne figurent pas au programme du Front populaire. Ils vont devenir une revendication puis une conquête sociale du fait des grandes grèves ayant suivi l’accession au pouvoir du Front populaire. En effet, au Havre, dans l’usine Bréguet aviation (construction aéronautique) - dès le 11 mai, donc avant même que Léon Blum soir devenu président du Conseil - à la suite du licenciement de camarades ayant refusé de travailler le 1er
mai (qui n’est pas alors jour chômé et payé), les ouvriers se mettent en grève. Ce mouvement fait tache d’huile, prenant de court syndicats et partis du Front populaire. En plusieurs vagues, de mai à juillet, à l’échelle de l’Hexagone, plus de 12 000 entreprises privées sont mises à l’arrêt (dont plus de 9000 occupées). Quelles sont les raisons de cette généralisation. On peu citer : les attentes suscitées par la victoire du Front populaire ; les aspirations révolutionnaires qui animent une partie de la classe ouvrière ; les dures conditions de travail liées au développement de la taylorisation (division du travail selon des tâches répétitives et des rythmes élevés) ; la semaine de travail de 48 heures qui ne permet ni réel repos, ni récupération.
Le Front populaire est de gauche mais loin d’être révolutionnaire. « Alliance des classes moyennes avec la classe ouvrière », c’est ainsi que Maurice Thorez, le secrétaire général du Parti communiste, définit la coalition. Ses composantes et ses alliés syndicaux s’emploient à canaliser le mouvement de grève et à y mettre fin. De premières négociations menées entre les syndicats et le gouvernement Blum qui vient tout juste d’être formé, débouchent le 7 juin sur les accords de Matignon comportant notamment des augmentations de salaires, le respect du droit syndical, la création des délégués du personnel, le principe de la généralisation des conventions collectives instituées par la loi du 25 mars 1919. La poursuite des grèves malgré les appels des dirigeants de la CGT à la reprise du travail, permet d’imposer la limitation hebdomadaire du travail à 40 heures, des dispositions visant à améliorer les conditions de travail. La généralisation des congés payés qui n’est pas une revendication prioritaire, a découlé de ces événements. Dès le 5 juin, dans sa première allocution radiodiffusée, le nouveau président du Conseil Léon Blum annonce le dépôt immédiat d'un projet de loi visant à reconnaître à tous les salariés du public et du privé le droit aux congés payés. Le 6 juin, Léon Blum fait figurer le projet de loi portant sur la généralisation des congés payés, dans les textes devant être soumis aux députés et sénateurs avant les vacances parlementaires. Déposé le 9 juin, le projet de loi est adopté le 11 juin par la Chambre des députés et le 17 juin par le Sénat. Le texte de loi définitif est promulgué le 20 juin. Est instaurée dans le public et le privé une durée minimum des congés payés : deux semaines dont au moins douze jours ouvrables, sous la seule condition de justifier d'un an de présence continue dans l’entreprise ou la collectivité publique.
De deux semaines à cinq semaines
Avancée sociale majeure, la généralisation des congés payés permet aux classes populaires de retrouver un peu de temps libre. Même si peu d’ouvriers et d’employés ont vraiment les moyens financiers de partir en vacances, ils peuvent néanmoins bénéficier d’une durée conséquente de repos. Le droit aux congés payés ne conduit donc pas à une explosion des vacances loin de chez soi et du tourisme. En 1936, 600 000 salariés français seulement jouissent de vacances au bord de la mer ou à la campagne. Ils seront cependant 1,7 millions dès l'année suivante. Après la deuxième guerre mondiale, le Conseil National de la Résistance revalide les conquêtes sociales de 1936 dont le droit aux congés payés. La durée de quinze jours, soit deux semaines, ayant été fixée 1936 passe à trois semaines en 1956 (loi adoptée à l'unanimité le 28 février 1956, promulguée le 27 mars). Neuf ans plus tard, le 20 mai 1965, André Bergeron, secrétaire général du syndicat Force ouvrière, obtient du Conseil national du patronat français, un accord pour passer à quatre semaines. Le président de la République Charles de Gaulle et le Premier ministre Georges Pompidou temporisent. En réalité, ils rechignent. Le projet de loi validant l’accord obtenu par André Bergeron est finalement déposé le 2 mai 1968, sans doute pour tenter de canaliser les colères de Mai 1968. Après adoption,il n’est promulgué que le 17 mai 1969. Le passage à cinq semaines est réalisé par une ordonnance du 16 janvier 1982 du gouvernement du Premier ministre socialiste Pierre Mauroy.
Une conquête sociale pas un acquis
Faire et boucler sa valise. Partir près ou loin. Le farniente au bord de l’eau. Et aussi pouvoir randonner en montagne, flâner à la campagne, aller à la découverte de paysages naturels, de magnifiques cités ou de lieux chargés d’Histoire. Et aussi être libre de consacrer tout son temps à soi, à sa famille, à ses amis. Disposer de toutes ces possibilités qu’ouvrent les congés payés, nos grands-parents puis nos parents l’ont le plus souvent arraché de haute lutte. Aujourd’hui, disposer de toutes ces possibilités semble aller de soi. Pourtant cela n’est pas vrai. Le lundi de Pentecôte qui a été transformé en jour travaillé gratuit depuis 2005, pour financer la solidarité due aux personnes âgées. Le projet de supprimer deux jours fériés qui a récemment été dévoilé par le Premier ministre François Bayrou pour contribuer à la limitation de la dette du pays. Que les salariés monétisent leur cinquième semaine de congés payés, suggestion récemment faite par la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet. Voilà qui représente trois raisons de penser que le droit aux congés payés est une conquête sociale, pas un acquis.
Alexandra Sereni
Illustration : Pexels,
Photos : JDC
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Faire et boucler sa valise. Partir près ou loin. Le farniente au bord de l’eau. Et aussi pouvoir randonner en montagne, flâner à la campagne, aller à la découverte de paysages naturels, de magnifiques cités ou de lieux chargés d’Histoire. Et aussi être libre de consacrer tout son temps à soi, à sa famille, à ses amis. Disposer de toutes ces possibilités qu’ouvrent les congés payés, cela semble aller de soi. Pourtant...
En France, jusqu’au XIXe siècle, le droit aux congés payés, périodes au cours desquelles le salarié est payé par l'employeur sans devoir en contrepartie fournir un travail physique ou intellectuel, n’a d’abord été été reconnu qu’aux fonctionnaires. C’est Napoléon III qui l’a voulu (décret impérial du 9 novembre 1853). La bourgeoisie républicaine, conservatrice ou radicale, arrivée au pouvoir avec la chute de l’Empire le 4 septembre 1870, ne s’est pas souciée de généraliser les congés payés. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, seuls quelques patrons ayant la fibre sociale ou ayant compris qu’il était profitable pour l’entreprise de permettre au salariat de reconstituer sa force de travail, ont accordé des congés payés. Il convient de souligner que revendiquer ce progrès social ne représentait une priorité ni pour les syndicats ouvriers, ni pour les partis politiques se réclamant de « la défense des intérêts des travailleurs » ou du « pouvoir du prolétariat ». Ces acteurs privilégiaient les luttes contre le chômage, pour la réduction du temps de travail hebdomadaire, pour l’amélioration des conditions de travail, pour l’augmentation du pouvoir d'achat.
Pas au programme du Front populaire
Le 14 juillet 1935, la coalition Front populaire réunit les radicaux, les socialistes, et les communistes. À l’issue des élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936, le Front populaire obtient la majorité des sièges à la Chambre des députés. Le 4 juin, le socialiste Léon Blum est élu Président du Conseil (chef du gouvernement). Les congés payés ne figurent pas au programme du Front populaire. Ils vont devenir une revendication puis une conquête sociale du fait des grandes grèves ayant suivi l’accession au pouvoir du Front populaire. En effet, au Havre, dans l’usine Bréguet aviation (construction aéronautique) - dès le 11 mai, donc avant même que Léon Blum soir devenu président du Conseil - à la suite du licenciement de camarades ayant refusé de travailler le 1er
mai (qui n’est pas alors jour chômé et payé), les ouvriers se mettent en grève. Ce mouvement fait tache d’huile, prenant de court syndicats et partis du Front populaire. En plusieurs vagues, de mai à juillet, à l’échelle de l’Hexagone, plus de 12 000 entreprises privées sont mises à l’arrêt (dont plus de 9000 occupées). Quelles sont les raisons de cette généralisation. On peu citer : les attentes suscitées par la victoire du Front populaire ; les aspirations révolutionnaires qui animent une partie de la classe ouvrière ; les dures conditions de travail liées au développement de la taylorisation (division du travail selon des tâches répétitives et des rythmes élevés) ; la semaine de travail de 48 heures qui ne permet ni réel repos, ni récupération.
Le Front populaire est de gauche mais loin d’être révolutionnaire. « Alliance des classes moyennes avec la classe ouvrière », c’est ainsi que Maurice Thorez, le secrétaire général du Parti communiste, définit la coalition. Ses composantes et ses alliés syndicaux s’emploient à canaliser le mouvement de grève et à y mettre fin. De premières négociations menées entre les syndicats et le gouvernement Blum qui vient tout juste d’être formé, débouchent le 7 juin sur les accords de Matignon comportant notamment des augmentations de salaires, le respect du droit syndical, la création des délégués du personnel, le principe de la généralisation des conventions collectives instituées par la loi du 25 mars 1919. La poursuite des grèves malgré les appels des dirigeants de la CGT à la reprise du travail, permet d’imposer la limitation hebdomadaire du travail à 40 heures, des dispositions visant à améliorer les conditions de travail. La généralisation des congés payés qui n’est pas une revendication prioritaire, a découlé de ces événements. Dès le 5 juin, dans sa première allocution radiodiffusée, le nouveau président du Conseil Léon Blum annonce le dépôt immédiat d'un projet de loi visant à reconnaître à tous les salariés du public et du privé le droit aux congés payés. Le 6 juin, Léon Blum fait figurer le projet de loi portant sur la généralisation des congés payés, dans les textes devant être soumis aux députés et sénateurs avant les vacances parlementaires. Déposé le 9 juin, le projet de loi est adopté le 11 juin par la Chambre des députés et le 17 juin par le Sénat. Le texte de loi définitif est promulgué le 20 juin. Est instaurée dans le public et le privé une durée minimum des congés payés : deux semaines dont au moins douze jours ouvrables, sous la seule condition de justifier d'un an de présence continue dans l’entreprise ou la collectivité publique.
De deux semaines à cinq semaines
Avancée sociale majeure, la généralisation des congés payés permet aux classes populaires de retrouver un peu de temps libre. Même si peu d’ouvriers et d’employés ont vraiment les moyens financiers de partir en vacances, ils peuvent néanmoins bénéficier d’une durée conséquente de repos. Le droit aux congés payés ne conduit donc pas à une explosion des vacances loin de chez soi et du tourisme. En 1936, 600 000 salariés français seulement jouissent de vacances au bord de la mer ou à la campagne. Ils seront cependant 1,7 millions dès l'année suivante. Après la deuxième guerre mondiale, le Conseil National de la Résistance revalide les conquêtes sociales de 1936 dont le droit aux congés payés. La durée de quinze jours, soit deux semaines, ayant été fixée 1936 passe à trois semaines en 1956 (loi adoptée à l'unanimité le 28 février 1956, promulguée le 27 mars). Neuf ans plus tard, le 20 mai 1965, André Bergeron, secrétaire général du syndicat Force ouvrière, obtient du Conseil national du patronat français, un accord pour passer à quatre semaines. Le président de la République Charles de Gaulle et le Premier ministre Georges Pompidou temporisent. En réalité, ils rechignent. Le projet de loi validant l’accord obtenu par André Bergeron est finalement déposé le 2 mai 1968, sans doute pour tenter de canaliser les colères de Mai 1968. Après adoption,il n’est promulgué que le 17 mai 1969. Le passage à cinq semaines est réalisé par une ordonnance du 16 janvier 1982 du gouvernement du Premier ministre socialiste Pierre Mauroy.
Une conquête sociale pas un acquis
Faire et boucler sa valise. Partir près ou loin. Le farniente au bord de l’eau. Et aussi pouvoir randonner en montagne, flâner à la campagne, aller à la découverte de paysages naturels, de magnifiques cités ou de lieux chargés d’Histoire. Et aussi être libre de consacrer tout son temps à soi, à sa famille, à ses amis. Disposer de toutes ces possibilités qu’ouvrent les congés payés, nos grands-parents puis nos parents l’ont le plus souvent arraché de haute lutte. Aujourd’hui, disposer de toutes ces possibilités semble aller de soi. Pourtant cela n’est pas vrai. Le lundi de Pentecôte qui a été transformé en jour travaillé gratuit depuis 2005, pour financer la solidarité due aux personnes âgées. Le projet de supprimer deux jours fériés qui a récemment été dévoilé par le Premier ministre François Bayrou pour contribuer à la limitation de la dette du pays. Que les salariés monétisent leur cinquième semaine de congés payés, suggestion récemment faite par la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet. Voilà qui représente trois raisons de penser que le droit aux congés payés est une conquête sociale, pas un acquis.
Alexandra Sereni
Illustration : Pexels,
Photos : JDC
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