L’extrême droite corse en ordre d’attaque
L’évolution récente du paysage politique corse s’inscrit dans une dynamique européenne plus vaste
L’extrême droite corse en ordre d’attaque
L’évolution récente du paysage politique corse s’inscrit dans une dynamique européenne plus vaste : celle de la progression continue des formations identitaires et du repli sur soi des sociétés occidentales. Dans un contexte d’incertitude économique, de tensions migratoires et de crise de confiance envers les institutions, les discours fondés sur l’enracinement, la souveraineté et la protection rencontrent un écho croissant. La Corse, longtemps perçue comme une singularité politique, devient aujourd’hui un miroir fidèle de ces mutations continentales.
Alliance de circonstance ou alliance durable ?
L’alliance esquissée entre le Rassemblement national et la mouvance Palatina en une Unione di i Patriotti illustre cette recomposition. Ce rapprochement, encore fragile, traduit une volonté de conjuguer la revendication identitaire corse avec une offre politique nationale recentrée sur la gestion et l’autorité. Si, comme beaucoup l’anticipent, l’Assemblée nationale venait à être dissoute, cette coalition pourrait espérer s’imposer à Ajaccio, où la droite classique s’effrite en même temps que l’alliance Édouard Philippe-Emmanuel Macron. À Bastia, un « front républicain » devrait limiter sa progression, mais les municipales ne sont qu’une étape. Le véritable enjeu demeure les élections territoriales où une majorité relative deviendrait un levier d’influence décisif.
Le virage orléaniste du Rassemblement national
Ce mouvement s’inscrit dans un repositionnement idéologique plus large du RN. Après des décennies marquées par une posture bonapartiste, centralisatrice et verticale, le parti semble adopter une orientation plus orléaniste, valorisant la gestion décentralisée, le pragmatisme et la modération. Ce glissement, perceptible dans les discours récents, témoigne d’une stratégie de normalisation destinée à rassurer les territoires et à prendre la place de la droite traditionnelle. En s’ancrant davantage dans les provinces, le RN cherche à se présenter non plus comme un parti de rupture, mais comme une alternative d’ordre. Cependant ce tournant intrigue : s’agit-il d’une adaptation durable ou d’un simple artifice électoral ?
Identité locale et discours national
La Corse devient ainsi un terrain d’observation privilégié de cette mutation. Le nationalisme insulaire, historiquement méfiant envers l’État central, partage avec l’extrême droite nationale le diagnostic d’un affaiblissement du pays et d’un effacement culturel. Les deux discours convergent autour d’un même sentiment de déclin, nourri par la peur du déclassement et l’inquiétude identitaire. Toutefois, leurs horizons différaient : l’un revendiquait l’autonomie, l’autre défendait l’unité. Leur rencontre traduit la recomposition d’un espace politique où la question de l’appartenance l’emporte sur celle du projet.
Une tendance continentale
Cette dynamique s’insère dans un climat européen marqué par la résurgence du sentiment national. En Italie, la Ligue a troqué son régionalisme pour un patriotisme d’État. En Espagne, Vox s’appuie sur la mémoire historique pour fédérer les conservateurs. En Hongrie, en Tchéquie et plus largement dans une partie de l’ancien glacis soviétique, la défense des « valeurs chrétiennes » structure un modèle de démocratie illibérale. Partout, la peur de la dilution identitaire sert de moteur politique. Les vagues migratoires et les transformations climatiques accélèrent ce repli. La Corse, tout en restant un cas particulier, participe désormais pleinement à ce mouvement trans continental.
Une mutation politique durable
Dans ce contexte, la figure de Nicolas Battini illustre la transition stratégique d’un nationalisme de protestation vers un nationalisme d’action. Derrière une image omniprésente sur les réseaux, il déploie une méthode politique pragmatique, mêlant communication moderne et enracinement local. L’alliance RN–Palatina incarne ainsi la confluence de trois courants : l’identité, la contestation et la volonté de gouverner. Elle traduit un glissement de la colère populiste vers la stratégie, du ressentiment vers la conquête du pouvoir local. Elle révèle aussi l’usure des formations traditionnelles nationalistes comprises, incapables de proposer une vision mobilisatrice et ne pouvant guère s’appuyer sur un bilan positif. Si cette alliance venait à durer, elle pourrait annoncer une recomposition durable du champ politique insulaire. Plus largement, elle s’inscrit dans un monde où les forces identitaires, sans toujours triompher, imposent leur rhétorique et redéfinissent le cadre du débat public.
GXC
photo : D.R