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Avis de turbulences pour l’aviation corse

L’aviation corse traverse une zone de fortes turbulences économiques et politiques.

Avis de turbulences pour l’aviation corse



L’aviation corse traverse une zone de fortes turbulences économiques et politiques. Entre licenciements, dépendance structurelle à la dotation de continuité territoriale et expérimentation d’un tourisme subventionné, l’équilibre du ciel insulaire reste fragile.


Un secteur sous perfusion publique

Depuis 2009, la dotation de continuité territoriale versée par l’État à la Collectivité de Corse stagne à 187 millions d’euros. En quinze ans, l’inflation a grignoté plus de 50 millions de pouvoir d’achat public. Cette manne, censée financer les dessertes aériennes et maritimes, ne suffit plus à garantir la même qualité de service. Sur ce total, plus de la moitié (106,6 M€) est absorbée par les lignes maritimes, laissant moins de 81 M€ pour l’aérien. L’équilibre n’a été rétabli qu’en 2025 grâce à une rallonge exceptionnelle de 50 M€, sans garantie pour les années suivantes. La Corse dépend ainsi de négociations budgétaires annuelles avec un État lui-même en tension financière.

Air Corsica, entre survie et mutation

Dans ce contexte, Air Corsica engage une restructuration majeure. Le plan « Tocc’à noi » prévoit le départ volontaire de 70 salariés d’ici 2027, soit près de 10 % des effectifs. Gel des salaires, allongement du temps de travail, recours accru à des prestataires externes : la compagnie vise 30 millions d’euros d’économies par an pour retrouver un équilibre menacé par un déficit d’exploitation récurrent. En 2023, celui-ci atteignait 27 millions d’euros malgré un chiffre d’affaires de 245 millions, dont 73 issus directement des subventions publiques.
La nouvelle délégation de service public 2024-2027 impose des marges réduites : 56,4 M€/an pour les liaisons « bord à bord » et 32,8 M€ pour celles vers Paris, partagés avec Air France. Ces montants contraints ont obligé la compagnie à rogner 23,5 M€ sur ses offres initiales. Air Corsica, qui emploie encore plus de 700 personnes, cherche désormais à réduire sa dépendance à la DSP, représentant aujourd’hui 90 % de son activité commerciale. L’objectif annoncé est d’atteindre un ratio 50/50 en 2028 grâce à des lignes européennes comme Rome, Munich, Londres ou désormais Marrakech et Séville.

Vols vers le sud, pari commercial et symbolique

Les escapades hivernales 2026 vers le Maroc et l’Espagne marquent cette stratégie de diversification. Ajaccio–Marrakech, Bastia–Barcelone ou Palma de Majorque : autant de destinations ponctuelles qui testent la capacité de la compagnie à capter une clientèle non résidente et à rentabiliser ses appareils hors saison. Ces vols courts, proposés entre février et mars, visent à équilibrer l’activité hivernale, mais restent marginaux face au poids du trafic subventionné.

Tourisme et subventions croisées
La Collectivité de Corse lance parallèlement un dispositif inédit : 250 000 billets d’avion subventionnés à hauteur de 2,5 M€ par an, opérés par Air Corsica et Volotea, pour étaler les flux touristiques. L’objectif est de générer 7 millions de nuitées supplémentaires et 100 M€ de retombées économiques sur quatre ans. Ce mécanisme d’« achat public de flux » consiste à combler les sièges inoccupés en hiver. L’opération illustre la recherche d’un nouveau modèle où la puissance publique devient acteur direct du remplissage aérien.

Une équation incertaine

Entre coûts salariaux, gel des aides, inflation et concurrence des compagnies privées, la soutenabilité du modèle d’une compagnie insulaire semi-publique interroge. Les lignes Paris–Corse, peu fréquentées par les résidents (à peine 17 % des passagers), pourraient être exclues du futur périmètre subventionné après 2027. Si cette hypothèse se confirme, Air Corsica devra s’appuyer sur ses recettes commerciales et ses destinations hors DSP pour survivre.
La période 2025-2028 sera donc décisive. L’île, dépendante à plus de 90 % du transport aérien pour ses échanges rapides, teste simultanément deux voies : un tourisme subventionné et une compagnie publique cherchant son autonomie. Reste à savoir si ces deux dynamiques pourront coexister sans se neutraliser.


GXC
illustration : D.R
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