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Un paysage politique corse vidé de sa substance

À l’approche des municipales, la Corse se retrouve face à un vide politique rarement observé.

Un paysage politique corse vidé de sa substance



À l’approche des municipales, la Corse se retrouve face à un vide politique rarement observé. Les grandes familles traditionnelles, droite comme gauche, n’ont plus la capacité d’élaborer une offre cohérente ni de rassembler des forces éclatées. Les tentatives d’alliance avortent ou manquent de crédibilité, comme l’épisode bastiais où une coopération éphémère entre la droite locale et les communistes n’a fait qu’accentuer l’impression d’improvisation générale. Dans de nombreuses communes, la gauche peine à exister tandis que la droite se limite à préserver quelques bastions sans réelle vision d’ensemble.


Le cycle du dépassement et ses impasses


Cette perte de repères n’est pas propre à l’île : elle résonne avec la crise nationale qui a vu émerger le macronisme sur les ruines du clivage droite-gauche. En Corse, un phénomène analogue s’est imposé avec le siméonisme, porté par le rejet du vieux système claniste, perçu comme l’obstacle majeur à toute modernisation. Gilles Simeoni est apparu comme la figure d’un renouveau institutionnel, promettant une gouvernance apaisée, transparente, débarrassée des archaïsmes.
Mais, à l’image du macronisme national, ce dépassement a rapidement tourné à la centralisation du pouvoir. La volonté de régénération s’est muée en verticalité, la promesse de collégialité en solitude politique. La majorité nationaliste, loin d’effacer les réflexes anciens, a reproduit des comportements qui évoquent les mécanismes d’influence, d’exclusion et de verrouillage caractéristiques des systèmes qu’elle prétendait remplacer.

Reproduction du clanisme et divisions nationalistes


Le paradoxe est saisissant : le mouvement censé rompre avec le clanisme a fini par en reconstituer plusieurs aspects, parfois plus stricts encore. Les décisions concentrées, l’encadrement rigide des réseaux associés au pouvoir territorial, la difficulté à accepter la contradiction ont généré des tensions croissantes. Les partenaires nationalistes, plutôt que d’être fédérés dans un projet commun, ont été progressivement relégués à la périphérie, jusqu’à devenir des opposants frontaux.
La rupture avec les autres composantes autonomistes ou indépendantistes s’est accélérée. Dans un camp autrefois porté par une dynamique ascendante, l’effet d’érosion a été brutal : querelles de leadership, stratégies divergentes, ressentiments accumulés, impression d’un jacobinisme créé par ceux-là même qui le dénoncent pour la France. Le terme même de nationaliste apparaît désormais fragilisé, tant les organisations qui s’en réclament partagent peu de choses, hormis une référence historique au XVIIIe siècle, de plus en plus déconnectée des enjeux contemporains.

Dérives criminelles et perte de légitimité morale


À cette fragmentation politique s’ajoute un facteur aggravant : les dérives criminelles impliquant certains éléments nationalistes et cassant l’image de la maison de verre vantée par les nationalistes toutes tendances confondues en 2015, il y a dix ans exactement. Si ces actes n’engagent évidemment pas l’ensemble du mouvement, leur impact sur l’opinion publique est réel et désastreux. Ils nourrissent un sentiment de déception, voire de trahison, face à une famille politique qui s’était construite sur la revendication d’une exemplarité militante.
À cela se sont ajoutés les excès d’associations se réclamant de l’écologie, mais étroitement liées au pouvoir siméoniste qui mettent en exergue la question de la terre, du territoire. Le recours à des méthodes contestées, souvent jugées agressives ou exploitant leur proximité institutionnelle, a accentué la perception d’un système où l’activisme se confond avec l’influence. Ce mélange des genres a participé à fragiliser l’image d’un pouvoir territorial déjà en difficulté.
L’ensemble a nourri dans la société corse l’idée d’un monde politique non vertueux, peu talentueux, davantage préoccupé par la préservation d’avantages matériels que par la construction d’un projet. Le soupçon d’une classe dirigeante cherchant à s’approprier des bénéfices divers, parfois pécuniaires, s’est installé durablement. Cette crise éthique a profondément miné la confiance publique, déjà fragile.

Un champ politique désorienté


Dès lors, il n’est pas surprenant que le paysage apparaisse désorienté. La droite, divisée entre orgueils campanilistes, ne parvient pas à stabiliser une stratégie. Il est vrai que la droite continentale donne l’exemple. La gauche souffre d’unité mais d’une une absence de cadres renouvelés et d’un discours inaudible face aux mutations sociales et démographiques de l’île. Quant aux nationalistes, ils semblent incapables de redevenir une force motrice, minés par leurs contradictions internes autant que par leurs échecs récents après dix ans d’une gestion calamiteuse.

Cette désorganisation généralisée ouvre un espace inattendu : celui de l’extrême droite. Longtemps marginale localement, elle bénéficie désormais d’une dynamique nationale et d’un électorat insulaire réceptif à ses thématiques. Surtout, elle apparaît comme la seule famille politique à avoir réussi une forme d’unité et donc capable d’impulser une dynamique, ce qui contraste avec l’éparpillement des autres camps et leur atonie. Ce n’est pas l’adhésion idéologique qui explique ce mouvement, mais la saturation généralisée face à un personnel politique jugé inefficace et déconnecté, l’accumulation d’angoisses suscitées par une paupérisation réelle et la question de la survie économique. Or dans un tel contexte prôner une forme de séparation d’avec la France tout en réclamant toujours plus de moyens apparaît comme un paradoxe sans solution.

L’exception Angelini et le pragmatisme local


Dans ce tableau ressemblant au radeau de la Méduse, un acteur pourtant se distingue : Jean-Christophe Angelini. Sa gestion de Porto-Vecchio, bien qu’imparfaite et parfois teintée de pratiques clientélistes, repose sur une approche pragmatique, non idéologique, orientée vers des résultats concrets. Ce positionnement lui confère une crédibilité que les autres figures nationalistes ont perdu. Angelini incarne moins un nationalisme doctrinal qu’un municipaliste efficace, et cette différence explique sa résilience politique.

Son cas illustre une réalité profonde : en Corse, l’action locale garde une valeur que les grands récits politiques ne parviennent plus à fournir. Là où la majorité territoriale s’est enfermée dans une verticalité stérile, Porto-Vecchio a offert l’image d’une gestion quotidienne maîtrisée, permettant à Angelini de demeurer l’un des rares dirigeants insulaires encore perçus comme compétents.

L’horizon des municipales et la question du sens


À l’approche du scrutin, la question centrale devient donc celle du sens. Peut-on reconstruire un projet collectif lorsque les repères anciens ont disparu et que les forces politiques se révèlent incapables de proposer une direction claire ? Peut-on restaurer la confiance dans un système que beaucoup considèrent comme devenu un espace d’intérêts particuliers plutôt qu’un instrument d’émancipation collective ? La popularité du cardinal Bustillo et la ferveur populaire qui a accompagné le pape François lors de sa venue à Ajaccio montrent également que la société corse et plus généralement l’humanité est en quête d’une forme de spiritualité, d’une vérité qui transcende les intérêts individuels. Or c’est bien cette absence de proposition collective qui vient se heurter aux égoïsmes partisans.
Les municipales risquent de mettre en lumière non seulement l’affaiblissement des partis, mais l’épuisement d’un cycle politique entier et le sentiment de vacuité qui en découle. La Corse se retrouve face à un moment charnière : soit elle parvient à réinventer un cadre d’action et de responsabilité, soit elle s’enfoncera dans une longue période de désagrégation où les forces les moins structurées mais les plus bruyantes occuperont mécaniquement le devant de la scène. Et ne nous faisons pas d’illusions si les partis locaux et l’État manquent à l’appel la criminalité reprendra ses droits sur un paysage ensauvagé.


GXC
Illustrations /D.R
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