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Chroniques d'Octave , natif del'Île aux Oiseaux......

Octave était songeur en ces périodes hivernales,....

Chroniques d’Octave, natif de l’Île aux Oiseaux...



Songe d’hiver


Octave était songeur en ces périodes hivernales, quand la lande, surtout dans l’intérieur des terres, était un peu dépeuplée.
L’engourdissement hivernal donnait une impression de stagnation et même d’absence de vie pour celui qui ne savait pas voir, alors que c’était pourtant en cette période que tout se régénérait. La vraie vie était celle de l’hiver, Octave en était convaincu.
Il voyait depuis l’Île aux Oiseaux le chapelet des îles voisines battues par les vents, une partie du continent aussi.
Il pensait à son Île aux Oiseaux.
Malgré le départ des hordes touristiques qui avaient déferlé pendant l’été, il ne retrouvait pas encore complètement son Île. C’était un sentiment qu’il éprouvait depuis quelques années, et qui se faisait de plus en plus prégnant.
Alors qu’autrefois, il percevait une césure bien franche et tranchée entre la période estivale et celle de l’entre-soi retrouvé, réparateur, où tout reprenait sa place, où l’harmonie régnait enfin.
Mais ce n’était plus le cas.
Pourquoi ressentait-il les choses ainsi, comme s’il était confronté à un sortilège qu’il n’arrivait pas à briser ?
Octave s’interrogeait.
Y avait-il une cause à tout cela ?
Elle était nouvelle, forcément nouvelle, et c’est elle qui avait rompu les cycles traditionnels.

Nouveaux venus du Nord


Il voyait de plus en plus sur l’Île aux Oiseaux, en toutes saisons, des coiffures bigarrées portées par des femmes venues du grand Nord, des terres de l’ancien Empire.
Dans sa jeunesse, ce n’était pas le cas ; ces populations, même si elles étaient présentes en raison de la position géographique de l’Île aux Oiseaux, avaient un autre rapport à elle.
Il y avait en elles une sorte de fascination mêlée de respect et d’humilité.
Ces gens voulaient vraiment être des nôtres, se disait Octave.
Souvent, ils créaient une famille et les enfants qui en naissaient devenaient des îliens à part entière, car ils détenaient ou s’efforçaient de détenir les codes.
Ce qui caractérisait l’état d’esprit de ces nouveaux arrivants était bien leur volonté de se fondre dans la société qui les accueillait.
Mais aujourd’hui, se disait Octave, tous ceux qui venaient de ces territoires du Nord étaient des conquérants qui méprisaient les îliens, sans doute aussi parce que les îliens avaient perdu le respect d’eux-mêmes.
Ces nouveaux venus n’avaient ainsi de cesse de s’affirmer, alors qu’ils se trouvaient pourtant en terre étrangère, pour imposer leur loi, leurs mœurs et leurs coutumes.
Ils étaient de plus en plus visibles, se disait Octave, ce qui rompait une certaine unité, qui pourtant, pensait-il, n’excluait pas la diversité. Octave, être simple mais vrai, ressentait les choses ainsi.
Tout cela le désolait car, lorsqu’il se rendait en terre étrangère, il prenait un soin particulier à se conformer aux usages locaux. Il se considérait comme invité et estimait qu’il devait le respect à ses hôtes.

Arrivants du continent


Il y avait aussi, selon Octave, une autre catégorie d’« envahisseurs », ceux qui venaient des terres voisines, du continent proche, loin de la lande, et qui, de plus en plus nombreux, s’installaient sur l’Île aux Oiseaux, qui était jadis une petite société homogène.
Dans la plupart des cas, ils étaient retraités et venaient se mettre au vert sur la lande. Ils trouvaient que la vie y était plus douce, bien que les vents d’hiver y fussent rudes.
Ils arrivaient avec leurs gros sabots, sans percevoir la spécificité de ce territoire qu’ils entendaient occuper.
Oui, occuper était vraiment le mot juste, se disait Octave.
Ils occupaient car ils ne ressentaient pas, et ne pouvaient vivre, le lien singulier qui unissait les natifs à leur terre. Ce lien qui faisait que chaque pierre leur parlait, chaque buisson leur renvoyait les paroles des aïeux, chaque ruisseau leur apportait les nouvelles des forces telluriques qui avaient connu les anciens.
Ces nouveaux arrivants ne pouvaient être imprégnés de tout cela, ils ne pouvaient ainsi parler avec la terre.
On n’y pouvait rien, ils n’y pouvaient rien. C’était ainsi.
Mais c’était aussi cela qui conduisait les natifs de l’Île aux Oiseaux à leur perte, par dilution de ce qui caractérisait leur différence. Cet afflux massif détruisait, sinon perturbait gravement, les fragiles équilibres qui jusque-là avaient permis de préserver l’Île aux Oiseaux.
Le socle fédérateur de l’identité îlienne était ainsi attaqué de toutes parts : par des conquérants, d’une part ; par des êtres ordinaires, d’autre part, qui, par ce qu’ils étaient, ne pouvaient que continuer, consciemment ou inconsciemment, le travail de mise en place d’un ordinaire caractérisé par l’uniformité exogène d’un monde devenu ainsi sans saveur.
D’un monde où tout n’était que monotonie et indistinction, l’horreur sur terre.

Le réveil

Octave poussa un cri et se réveilla en sursaut. Il était en sueur : quel horrible cauchemar il venait de faire.
Il se leva prestement, enfila son pantalon de velours usé, ses bottes de chasse, appela son chien qui était déjà prêt, dormant toujours au pied de son lit, quand ce n’était pas sur la courtepointe, et sortit sur la lande chasser la grouse.
À suivre…

Salluste
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