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Une autonomie... vidée de son contenu par le Conseil d’État

L’avis du Conseil d’État, bien que rédigé avec tact et prudence, réduit à peu de chose le projet d’autonomie pour la Corse

Une autonomie... vidée de son contenu par le Conseil d’État



L’avis du Conseil d’État, bien que rédigé avec tact et prudence, réduit à peu de chose le projet d’autonomie pour la Corse. Il en conserve les symboles tellement vagues (insularité, culture, langue...), que ça en devient risible mais vide de substance les éléments centraux exigés par les nationalistes, en particulier la reconnaissance d’un peuple corse et la capacité législative propre. Le Comité stratégique piloté par François Rebsamen n’a pas souhaité modifier le projet initial avant sa soumission au Conseil des Ministres. Elle ne fait en fait qu’entériner ce qui avait déjà été décidé en 2002 et encadré par la loi organique n° 2003-704 du 1 août 2003 relative à à l'expérimentation par les collectivités territoriales et renforcé par la loi organique n° 2021-467 du 19 avril 2021 relative à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution.



Sur la notion d’autonomie : un mot sans pouvoir


Le Conseil d’État commence par relativiser l’idée même d’autonomie : ce n’est pas un statut particulier, mais un degré de liberté dans un cadre général, celui de la République. Tous les niveaux de collectivités en disposent, y compris les communes. Il insiste sur le fait que l’autonomie ne découle pas d’un statut spécifique (non défini dans la Constitution) mais d’un régime, qui pourrait être précisé dans un nouvel article 72-5, propre à la Corse. En clair, on parle d’un aménagement du droit commun, pas d’une exception radicale.


Sur l’intérêt propre de la Corse : l’ombre d’une ombre


La Corse pourrait avoir des intérêts propres, mais toujours dans le respect de l’intérêt général national. Ces intérêts spécifiques seraient strictement encadrés par des éléments comme aussi flous que :
- son insularité,
- son relief montagneux,
- ses caractéristiques historiques, linguistiques, culturelles et sociales.

Mais ce cadre devient une limite plus qu’un levier : la Corse ne pourrait revendiquer un intérêt propre que si elle justifie son action par l’un de ces éléments. En ajoutant le « relief montagneux », le Conseil montre bien qu’il cherche à verrouiller les domaines d’intervention.
Par ailleurs, deux lignes rouges sont tracées :
• Pas de co officialité de la langue corse ;• Pas de droit de résident corse, jugé contraire au droit européen.

Sur la notion de communauté corse : rejet clair


Le Conseil rejette fermement l’idée d’une « communauté corse ». Il y voit une remise en cause du principe d’égalité des citoyens, car cela reviendrait à créer un groupe avec des droits particuliers fondés sur l’origine.
Même la notion de « lien singulier à la terre », inspirée de l’accord de Nouméa pour les Kanaks, est écartée. Elle est « neutralisée » en rattachant les caractéristiques corses non à un peuple, mais à des habitants partageant un contexte social et culturel — ce qui dépolitise et décommunautarise le projet.


Sur le pouvoir législatif : pas question de partage réel


Le Conseil se montre très restrictif sur l’idée de donner à la Corse un véritable pouvoir législatif :
— Pas de compétence propre, contrairement à la Polynésie.
— Risque de conflit juridique si la Corse pouvait édicter des lois ou règlements du même niveau que l’État.
Résultat : la collectivité pourrait intervenir seulement si le Parlement ou le gouvernement l’autorise — ce serait donc une délégation, pas une compétence propre.
Cette délégation ne pourrait concerner ni les libertés publiques, ni la justice, ni le droit pénal, ni la sécurité, ni la monnaie, etc. Et surtout, le Conseil d’État s’arrogerait le contrôle de ces actes, les considérant comme administratifs, donc hors du champ du Conseil constitutionnel.


Sur le référendum : une illusion démocratique


Contrairement à ce que peuvent affirmer certains élus ou membres du gouvernement, le peuple corse ne serait pas appelé à se prononcer sur le principe d’autonomie lui-même, mais uniquement sur la loi organique d’application. En clair, le cœur du projet leur échapperait.

Deux grandes limites


Une contradiction de fond : le Conseil rattache la Corse à l’article 72 de la Constitution (le droit commun des collectivités), alors que la logique du projet la rapproche de l’article 74, celui des collectivités d’outre-mer. Ce flou rend la position quasiment impossible à tenir.
Même réduite à une autonomie limitée, accorder le statut à la Corse décrit dans le compromissur le sol métropolitain pourrait ouvrir la voie à des demandes similaires ailleurs (Alsace, Bretagne, Pays basque…). Le texte est jugé politiquement explosif par le Conseil d’État.

En résumé pas grand-chose de nouveau sous les cieux français


Le Conseil d’État a donné un feu vert… pour continuer quasiment comme avant : Pas depouvoir propre, pas d’une reconnaissance identitaire : des symboles sans contenu, mais en écartant les revendications fortes. Il en résulte un texte politiquement fragile, juridiquement verrouillé.



GXC
Illustration : GXC


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