• Le doyen de la presse Européenne

La passion du bois de père en fils

Sébastien Mattei, jeune ébéniste de Castagniccia

La passion du bois de père en fils
Avec Sébastien Mattei, jeune ébéniste de Castagniccia



Une vocation née au cœur de l’atelier

À Morosaglia, Sébastien Mattei, 23 ans, incarne la relève d’un savoir-faire transmis de génération en génération. Il a choisi de reprendre l’entreprise fondée par son père, Sylvain, menuisier-ébéniste passionné.
Rien ne prédestinait pourtant Sébastien à reprendre le rabot : il travaillait auparavant dans la restauration.
« J’étais cuisinier, moi, avant. Et un jour, ça ne me plaisait plus, j’ai voulu arrêter. Je me tâtais, je me suis dit : qu’est-ce qui me plairait de faire ? » raconte-t-il.
Cette question a trouvé naturellement sa réponse dans les souvenirs d’atelier, les heures passées aux côtés de son père, à observer les gestes précis du bois qui se transforme.
« Je suis toujours un peu resté avec mon père à l’atelier. Du coup, je me suis dit : tant qu’à faire, allez, je vais essayer. Parce que si je n’essaye pas, je vais toujours m’en vouloir. »
Ce déclic marque le début d’un nouveau chapitre. Sébastien s’inscrit au CFA de Furiani et réalise son apprentissage chez Antoine Fieschi, à Loretu-di-Casinca, maître artisan reconnu, qui lui a transmis l’amour du métier, du bois et du travail bien fait.

L’atelier au cœur de la Castagniccia

L’atelier des Mattei est niché au cœur des châtaigniers centenaires de la Castagniccia. Sébastien a fait le choix de travailler et de vivre au village, comme son père Sylvain, qui a commencé à l’âge de 13 ans.
« C’est un métier que j’ai appris sur le tas, avec les anciens comme Pantaleon Alessandri, des gens de métier, des ébénistes de cœur. »
Sébastien confie :
« Avec mon frère, on a grandi ici. On est allés à l’école du village, on connaît tout le monde. Pour moi, il n’a jamais été question de partir. Le matin, je me lève, je vois le San Petrone. Je travaille ici, au milieu de la Castagniccia : c’est une chance. »

Une nouvelle dynamique

L’entreprise garde toujours la même philosophie et, depuis la reprise par Sébastien, une nouvelle dynamique s’installe.
« J’ai repris il y a environ sept à huit mois, explique-t-il. J’ai déjà eu pas mal de travail de restauration : des portes, des volets, des fenêtres anciennes. Et récemment, on a décroché un chantier important, la restauration du soubassement de l’orgue de Pedigrisgiu. »
Le jeune homme s’est entouré de deux amis, Jean-Roch Zévaco, originaire de la microrégion, et Alexandre Milana, de Balagne, afin d’élargir le réseau.

Transmettre la passion

Sébastien veut aussi transmettre sa passion aux plus jeunes, une démarche qui prolonge celle de son père.
« On reçoit régulièrement les élèves de sixième du collège de Corte. On leur montre le tournage, la restauration, le débit, la fabrication… C’est important qu’ils voient comment on travaille, qu’ils comprennent que ces métiers existent encore, et que des pièces d’exception sont sorties de cet atelier. »
Parmi elles, un projet remarquable a marqué les esprits : le livre de Paoli, une œuvre monumentale réalisée avec les enfants du village, pour les 300 ans de Pasquale Paoli.
Un grand livre en châtaignier massif, vieilli à la main, avec toutes les pages en feuilles de bois : une pièce exceptionnelle offerte à l’Assemblée de Corse, où elle trône désormais entre les bustes de Paoli et de Napoléon.
Une reconnaissance rare pour un artisan. « C’est une fierté, mais surtout une joie immense pour les enfants, ajoute Sylvain. Les voir heureux, c’est le plus beau des cadeaux. »

Le flambeau et l’avenir

Sébastien, lui, reprend le flambeau avec humilité.
« Je n’ai pas encore la maîtrise du tournage comme mon père, avoue-t-il. Mais je sais que j’y viendrai. Pour l’instant, je me concentre sur la restauration et la menuiserie. »
Les deux hommes travaillent souvent côte à côte, dans l’atelier.
« Je le regarde, dit Sylvain. Il a la passion. C’est ce qu’il faut. Ce métier, on ne le fait pas pour l’argent. On le fait parce qu’on aime le bois, parce qu’on aime créer. »

Entre tradition et ouverture

Si la tradition reste le socle, Sébastien veut aussi ouvrir l’atelier vers de nouveaux horizons.
« Aujourd’hui, je travaille avec des particuliers, des mairies, des communautés de communes. On essaie aussi de collaborer avec des ferronniers, des architectes. »
Cette ouverture se traduit par des partenariats, notamment avec un ferronnier, avec lequel l’équipe conçoit des ensembles combinant fer forgé et habillage bois.
Le jeune artisan sait que l’avenir de la construction passera par le bois.
« J’ai discuté avec des architectes du patrimoine : ils veulent remettre du bois et de la pierre dans les projets. C’est écologique, local, durable. Et surtout, ça correspond à notre savoir-faire. »
Mais la conjoncture reste fragile.
« Pour l’instant, les financements publics sont compliqués. La Collectivité de Corse n’a plus les mêmes budgets qu’avant. Mais on garde espoir. »

La fierté d’un héritage vivant

Dans la voix de Sébastien, on sent la fierté de perpétuer une histoire, mais aussi de la faire évoluer.
À ses côtés, Sylvain sourit :
« Moi, je commence à fatiguer, mais je suis fier. Fier de lui, fier de voir que le savoir-faire reste ici, qu’il ne s’en va pas. Le bois, c’est notre vie. »

Alexandre Santerian
photo : A.S
Partager :