Trafic de drogue en Corse : une montée en puissance devenue structurelle
Depuis le début des années 70, la présence de stupéfiants en Corse n’est pas un phénomène nouveau.
Trafic de drogue en Corse : une montée en puissance devenue structurelle
Depuis le début des années 70, la présence de stupéfiants en Corse n’est pas un phénomène nouveau. Ce qui change aujourd’hui, ce sont les volumes, les modes de distribution et l’ancrage du trafic dans le quotidien insulaire. Le séminaire organisé au palais de justice de Bastia en novembre 2025, réunissant magistrats, enquêteurs et acteurs associatifs, a confirmé ce que les Corses savaient depuis des années : le trafic de drogue n’est plus un phénomène périphérique, mais une composante majeure de la criminalité contemporaine de l’île.
Interpellations en forte hausse
Les chiffres constituent le premier indicateur objectif de cette mutation. Entre 2020 et 2024, la part des affaires liées aux stupéfiants dans le total des procédures a doublé, passant de 13 à 26 %. Sur Ajaccio, le nombre de condamnations a progressé de 350 % en dix ans. En 2025, les services de l’État enregistrent une accélération sans précédent : 789 interpellations sur l’ensemble de la Corse entre janvier et septembre, contre 548 l’année précédente. Rien qu’en Corse-du-Sud, 419 personnes ont été mises en cause pour infractions à la législation sur les stupéfiants. Parmi elles, 161 sont impliquées dans des affaires de trafic ou de revente, plus du double de 2024.
Un élargissement du marché
Pour les autorités, cette croissance ne reflète pas seulement une meilleure action des forces de l’ordre encore que…. Elle traduit aussi l’élargissement du marché à cause du moindre coût des drogues sur le marché, l’abaissement des barrières d’entrée dans le trafic et l’apparition de profils nouveaux. Comme le rappelle le procureur de la République d’Ajaccio, la vente de cocaïne est désormais une activité de complément pour des personnes insérées professionnellement, alimentée par les réseaux sociaux et les messageries cryptées. Les points de deal sont désormais quasiment exclusivement réservés au hasch et à l’herbe. La cocaïne est livrée à domicile d’où une plus grande difficulté à combattre ce fléau.
Un marché local devenu plus structuré, mais encore erratique
La hausse des saisies illustre la transformation du paysage criminel : 72 kilos de cannabis et 10 kilos de cocaïne interceptés entre janvier et septembre 2025, soit cinq fois plus que l’année précédente. Certes, les magistrats ont tout de même rappelé que la Corse n’est pas le théâtre de trafics industriels comparables à ceux de grandes métropoles européennes, mais pour un territoire de 350 000 habitants, les quantités demeurent significatives. Beaucoup de règlements de compte ont pour sujet les partages de territoire et le recyclage de l’argent sale. Depuis deux décennies, le trafic s’est territorialisé, s’est adapté, et s’est diffusé dans toutes les couches sociales. La cocaïne n’est plus un produit élitiste ; elle devient la drogue de monsieur et madame tout le monde, avec ses points de revente mobiles, discrets, volatils.
Priorité stratégique de l’État
Le Plan d’Action Départemental de Restauration de la Sécurité du Quotidien structure désormais la lutte contre les stupéfiants autour de cinq priorités, dont la réduction de l’offre et la diminution de la présence d’armes à feu, omniprésentes dans de nombreuses affaires. Cette articulation est essentielle : lors d’interventions liées au trafic, des fusils ou armes de poing prêtes à l’usage sont régulièrement découverts. La criminalité liée aux stupéfiants, en Corse, ne peut être dissociée de l’abondance d’armes illégales, ni de l’histoire locale des violences. Les 350 armes pour 1000 habitants recensées placent l’île dans une situation particulière.
Une société confrontée à un risque de banalisation
Les autorités soulignent que, malgré ces chiffres, la délinquance générale rapportée à la population reste faible. Mais la progression continue des trafics crée un risque structurel : celui de l’implantation durable de réseaux, de l’augmentation des violences concomitantes, de la normalisation d’une économie parallèle dont les jeunes seraient les premières victimes.
La Corse, encore épargnée par les grandes organisations mafieuses au sens strict, se trouve désormais face à une montée en puissance d’une criminalité hybride, mêlant opportunisme économique, violence diffuse et circulation massive d’armes. Les efforts actuels produisent des résultats, mais la tendance de fond pose une question majeure : l’île peut-elle éviter que le marché des stupéfiants ne devienne un élément permanent de son paysage social et sécuritaire ?
GXC
illustration : D.R