Le procès du Petit Bar, symptôme et tournant
Au-delà des verdicts, ce procès agit comme un révélateur.
Le procès du Petit Bar, symptôme et tournant
Le procès en assises du Petit Bar s’est voulu exemplaire. Il l’a été par son retentissement médiatique, par la lourdeur des peines prononcées, mais aussi par les zones d’ombre qui ont accompagné son déroulement. La condamnation de Bacchiolelli, figure centrale de ce système criminel, marque indéniablement une étape. L’acquittement de Laurent Emmanuelli, en revanche, rappelle que la justice pénale reste un terrain de preuves et non de soupçons, au risque de choquer l’opinion publique.
Au-delà des verdicts, ce procès agit comme un révélateur. Il montre à la fois la capacité de l’État à frapper, et ses fragilités, mises à nu par une succession d’événements qui ont troublé la sérénité des débats.
Le « vrai-faux » document et la porosité des services
L’arrestation de Mickaël Ettori qui avait réussi à échapper à une rafle grâce à un policier ripoux est particulièrement opportune, d’autant qu’elle est intervenue après la fuite du document attribué à un futur parquet anticriminalité, mais contesté par le parquet. Ce « vrai-faux » document, dont l’origine exacte demeure floue, pose une question lourde : celle de la porosité des services chargés de la répression. À l’évidence, il contient des informations sensibles qui ne pouvaient circuler sans complicités, légèretés ou rivalités internes. Deux failles majeures donc du système répressif qui ont été un peu « corrigées » par ces évènements.
Cette affaire rappelle que la lutte contre la criminalité organisée ne se joue pas seulement dans les prétoires, mais aussi dans la capacité des institutions à se faire confiance. Magistrats et policiers ne peuvent mener une offensive durable si leurs rangs sont traversés par la défiance, les fuites ou les règlements de comptes.
Une victoire judiciaire, malgré tout
Il serait pourtant erroné de nier la portée symbolique des condamnations. Voir tomber deux piliers du Petit Bar constitue une victoire réelle contre ce que l’on a fini par appeler, sans plus d’ambiguïté, une mafia. Cette victoire est d’autant plus significative qu’elle intervient dans un contexte où la Corse n’est plus l’épicentre du pouvoir politique national, désormais englué dans un marasme parlementaire dont l’issue la plus vraisemblable semble être une victoire du RN, accompagnée, sur l’île, d’une percée du bloc Unione di i Patriotti.
Autrement dit, la question corse n’est plus centrale à Paris. Et pourtant, c’est bien sur l’île que se joue, à bas bruit, un combat essentiel pour l’État de droit.
Une pieuvre aux tentacules mondialisés
Le procès n’a cependant effleuré qu’une partie du problème. Les enquêteurs savent que les ramifications du Petit Bar dépassent largement le cadre insulaire. Les flux financiers, les montages opaques, les circuits de blanchiment mènent jusqu’en Chine, dessinant les contours d’une pieuvre dont la puissance financière rivalise avec celle des héritiers de la Brise de Mer. Or, de ce côté-là aussi, les fortunes accumulées n’ont été qu’à peine écornées.
Le trouble des Corses vient précisément de là : ces hommes ont longtemps évolué dans le monde de surface, multipliant l’acquisition opaque de cafés, entreprises et signes extérieurs de richesse, roulant carrosse sans jamais pouvoir justifier réellement leur train de vie. Cette normalisation apparente du crime a élargi leur surface de pouvoir et leur influence jusque dans le monde politique insulaire.
Frapper au portefeuille, ou l’urgence Al Capone
Face à cette situation, une seule méthode semble pertinente : celle dite d’Al Capone. Fouiller les acquisitions, disséquer les patrimoines, frapper à la caisse. La justice pénale a ses limites ; la justice fiscale, elle, peut se révéler implacable.
L’opinion publique, on le sait, se lasse vite. Les collectifs ont su alerter, nommer le mal endémique, provoquer une mobilisation salutaire. Mais rien ne garantit que cette vigilance continue d’exister. En période de crise, la force de la criminalité organisée est précisément de savoir se substituer à l’État et aux acteurs économiques légaux, apparaissant comme une bouée de secours pour des citoyens aux abois.
Le temps presse. Et l’affaire du « vrai faux document » en est l’illustration la plus inquiétante. Sans confiance entre magistrats et policiers, sans assainissement interne, aucune stratégie ne tiendra. À eux, désormais, de faire le ménage dans leurs rangs pour que cette victoire judiciaire ne reste pas un coup d’éclat sans lendemain.
Pierre Leoni
crédit photo : D.R