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Imaginer une autre architecture judiciaire

Avocat au Barreau d'Ajaccio depuis plus de trente ans, ......

Imaginer une autre architecture judiciaire

Avocat au Barreau d’AJACCIO depuis plus de trente ans, j’ai pu observer l’évolution de l’institution judiciaire.


Ce qui me frappe à ce jour, c’est la lente et inexorable dégradation des relations Avocats /Magistrats. Lorsque la J.I.R.S. Marseille a été créée en 2004, les Avocats Corses étaient vent debout contre cette usine à gaz. Nous avions des rapports très tendus avec les Magistrats de cette juridiction. Cependant, au-delà de ces tensions, il existait un respect mutuel et réciproque entre hommes de Loi et de droit. « La relation Avocat / Magistrat, s’est modifiée, distendue, et compliquée au cours des dernières années, il faut le dire sans langue de bois » a déclaré en Juin 2020 François MOLINS, Procureur Général de la Cour de Cassation devant les 163 Bâtonniers de France réunis en assemblée générale. Triste constat qui s’explique par plusieurs raisons.

Tout d’abord, il convient de rappeler que ladite « relation » Avocat / Magistrat n’est pas celle d’un couple.

Les Avocats ont été, sont et resteront, je l’espère, un contre-pouvoir, alors que les Magistrats ont perdu depuis le 19ème siècle le pouvoir judiciaire tel que l’entendait Montesquieu. La trilogie, pouvoir exécutif législatif et judiciaire, a disparu au profit de l’omnipotence du pouvoir exécutif, donc du pouvoir politique ; et ce dernier n’a pas cessé depuis des décennies de transformer les Magistrats en fonctionnaires.
Fini la place centrale occupée par la Justice, vertu cardinale, et place à l’administration judiciaire.

« Mais Maître, vous plaidez, là !! » (phrase souvent prononcée avec un petit sourire, à défaut d’arguments).
Oui, je plaide pour une justice humaine car j’ai le souvenir de mon serment qui m’impose d’exercer avec humanité.

Les Magistrats deviennent-ils des fonctionnaires courtelinesques, soucieux de leur carrière avant tout, et pressés par le « flux des dossiers » ? Les Avocats, quant à eux, subissent une paupérisation exponentielle : j’ai commencé ma carrière lorsque le Barreau d’Ajaccio comptait une vingtaine d’avocats et, aujourd’hui, nous sommes plus de 140 !

La confraternité et la loyauté du combat judiciaire disparaissent au profit de la rentabilité économique du cabinet. Face à cette situation, en octobre 2021, le Président Macron a ouvert Les Etats Généraux de la Justice, en demandant une remise à plat du système judiciaire ne s’interdisant « aucune audace et aucun sujet ».

Un bide intégral. Cela a été perçu par l’ensemble du milieu judiciaire comme un gadget politicien du plus mauvais goût.
Ah, j’oublie peut-être le principal : l’installation et la généralisation du RPVA (Réseau Privé Virtuel des Avocats) depuis les années 2000, qui éloigne l’Avocat de son Juge.

On communique par écrans interposés en échangeant des messages écrits, stéréotypés et impersonnels.
Que dire des plaidoiries en visioconférence avec des coupures de son, d’image et d’attention.
Qui aimerait être jugé en visioconférence ? La pratique des audiences de dépôt de dossier sans plaidoirie se généralise.

Toujours aller vite, toujours plus vite, mais pour aller où ? Peut-être vers la barbarie technologique qui s’installe à bas bruit dans l’institution judiciaire, tranquillement, discrètement, drapée dans un barbarisme nommé intelligence artificielle.

La détérioration des relations Avocats /Magistrats n’est finalement qu’un symptôme de l’effondrement à venir de la Justice. Mais je reste persuadé qu’il faudra la reconstruire, cette Justice indispensable au vivre ensemble, au même titre que la santé et l’éducation.

À nous tous d’imaginer une architecture judiciaire à même de répondre réellement aux attentes des citoyens du 21ème siècle.



Philippe Gatti. Avocat. Ancien Bâtonnier d’Ajaccio.

Membre de la Ligue des Droits de l’Homme
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