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Processus : Emmanuel comme Lionel ?

Le "processus Bauveau" est il mort avant d 'avoir vu le jour ?
Processus : Emmanuel comme Lionel ?

Le « processus Bauveau » est il mort avant d’avoir vu le jour ? Faudra-t-il attendre un retour durable au calme pour qu’un nouveau rendez-vous soit fixé ? Rien n’est moins sûr.

18 mars 2022 :
le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, dépêché en Corse pour trouver les voies de l’apaisement après la tragédie d’Arles, et le Président du Conseil exécutif de Corse Gilles Simeoni apposent leur signature sur un document censé acter « l’ouverture d’un processus à vocation historique de discussions entre l’Etat et la Corse afin de construire une réponse politique globale à la question corse ». Les deux signataires conviennent que le processus débutera durant la première semaine d’avril, à Paris, place de Bauveau, dans les locaux du ministère de l’Intérieur, et impliquera « l’ensemble des élus et des forces vives ». Ils s’engagent à ce que « les discussions sur une évolution statutaire soient conclues avant la fin de l’année », à ce que soit abordé « l’ensemble des problématiques corses » et à ce que soit misesur la table la possibilité d’une « évolution institutionnelle vers une autonomie », et ce, à l’aune de « statuts existants dans la Constitution, en Méditerranée ou le long de l’arc Atlantique, voire de propositions sui generis ». Début d’un « processus Bauveau » ? On a pu y croire quelques jours même si l’absence de tabous initialement évoquée par le ministre de l’Intérieur quant aux problématiques pouvant être abordées, avait fait l’objet de l‘énoncé d’une première ligne rouge par le Président de la République : le refus qu’au sein de la République soient reconnues deux catégories de citoyens.

Report sine die

4 avril 2022
: le ministère de l’Intérieur fait savoir que la réunion qui aurait dû ouvrir « un processus à vocation historique de discussions entre l’Etat et la Corse » et avoir lieu le 8 avril, est reportée sine die. Il est précisé que ce report est dû au fait que les manifestations accompagnées de violences n’ont pas cessé depuis le 18 mars, date à laquelle il avait été acté que la réunion devrait avoir lieu : « À la lumière des deux dernières semaines, force est de reconnaître que les conditions d'un dialogue normalisé ne sont guère réunie […] Ces événements sont bien évidemment inacceptables, tant pour la démocratie qui ne saurait faire preuve de complaisance vis-à-vis de la violence, que pour les Corses eux-mêmes qui désapprouvent ces événements. » Il est par ailleurs implicitement dénoncé la participation des élus nationalistes à ces manifestations et déploré qu’aucun d’entre eux n’ait dénoncé les acte violents : « Près de 43 actions ou manifestations se sont déroulées ces deux dernières semaines, quasi toutes émaillées de débordements violents, en présence d'élus pourtant censés participer aux discussions prévues à Paris […] Au total, ce sont près de 59 blessés, tant parmi les forces de l'ordre que les manifestants, qui n'ont d'ailleurs fait l'objet d'aucune condamnation publique. »

Tout sauf une surprise

La décision de reporter n’a pas représenté un surprise. Elle planait depuis qu’à l’occasion du retour du corps d’Yvan Colonna, Gérald Darmanin avait publiquement critiqué que Gilles Simeoni ait fait mettre en berne les drapeaux de la Collectivité de Corse. Le ministre de l’Intérieur avait souligné : « Je ne veux pas qu'il y ait de concurrence des morts mais Monsieur Colonna n'était pas un héros, c'est un assassin, il avait assassiné un préfet » et avait dit voir dans l’hommage rendu au militant nationaliste « une sorte d’insulte pour la famille Érignac, pour l’État français, pour les représentants de l’État ». La décision de reporter planait d’autant plus qu’Emmanuel Macron avait ainsi commenté la mise en berne des drapeaux : « C'est une faute et c'est inapproprié. »
La décision de reporter est devenue plus que probable quand, quelques heures avant qu’elle ait été rendu officielle, Emmanuel Macron a donné le ton. En effet, le président de la République a d’une part sévèrement jugé que des responsables politiques nationalistes aient participé à la manifestation qui avait eu lieu à Aiacciu le jour précédent : « Ce que j'ai encore vu ce week-end est inacceptable. Y compris avec des responsables politiques en tête de cortège » ; d’autre part remis en cause l’ouverture d’un dialogue avec ces derniers :« Il n'y aura pas de discussion avec des gens qui se comportent comme ça. » Pour autant le « processus Bauveau » est-il mort avant d’avoir vu le jour ? Faudra-t-il attendre un retour durable au calme pour qu’un nouveau rendez-vous soit fixé ? Rien n’est moins sûr bien qu’Emmanuel Macron ait assuré que « le retour à l'ordre est un préalable à toute chose". Si ce dernier est réélu, et même si un certain degré de violence persiste, il n’est pas à exclure qu’ayant des mains bien plus libres que celles d’un candidat à sa réélection et que ne souhaitant pas traîner le fardeau du Dossier corse durant tout son nouveau quinquennat, il s’inspire du bien connu scénario suivant.

Un scénario bien connu

Début septembre 2019
: dans l’hémicycle de l'Assemblée de Corse, le Premier ministre Lionel Jospin est catégorique : « La condamnation de la violence est la condition préalable à toute évolution du statut de l'île ». 25 novembre 2019 : deux attentats diurnes pulvérisent deux bâtiments publics à Aiacciu.
La réaction de Lionel Jospin surprend la classe politique et l’ensemble des observateurs. Il rompt avec la politique d’évitement du Dossier corse qui a été la sienne après son entrée à Matignon en 2017 puis avec la politique de rétablissement de l’état de droit que, dans le cadre de la cohabitation, il a conduite de concert avec le Président de la République Jacques Chirac après l’assassinat du préfet Claude Erignac le 6 février 1998. En effet, il lève le préalable qu’il avait posé moins de trois mois plus tôt. Le changement de cap est exposé en quelques mots : « Après avoir fermement conduit, à la suite de l'assassinat du préfet Erignac, une politique de respect de la règle de droit, j'ai invité, en toute transparence, les élus de la Corse à s'associer à une démarche de développement économique et de réforme institutionnelle, sans jamais renoncer à la lutte contre la violence. » Dès le 13 décembre, le Premier ministre réunit à l’Hôtel Matignon, autour de lui et de ses plus proches conseillers, les principaux élus de Corse, compris les représentants de Corsica Nazione qui ont toujours manifesté leur solidarité politique avec les clandestins du FLNC Storicu. Ce qu’on appellera le « Processus Matignon » commence…

Pierre Corsi


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