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Ciné Donne à Basti

Un festival de femmes ......enfin!
Cine Donne à Basti
Un festival de femmes… enfin !



Tout récemment un festival dédié aux femmes. Une belle idée d’Arte Mare et de la CAB (Communauté d’agglomération de Bastia). Il fallait y penser et c’est chose faite ! Au programme des films de cinéastes, des productrices, des actrices, des rencontres, des débats. Et surtout des questions autour de l’égalité homme / femme, autour de la parité, autour du chemin qui reste à accomplir…


Des courts-métrages de valeur, certains anciens comme l’ironique et caustique, « Dolce vendetta », de Marie Jeanne Tomasi, d’autres plus récents tel « La nuit est là » de Delphine Leoni. Des longs-métrages ainsi le singulier et inclassable, « Babysitter » de Monica Chokri ou le remarquable, « Memory box » des Libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige.

« Memory box », un fim remarquable


Le couple de réalisateurs de « Memory box » est composé de cinéastes qui sont aussi des plasticiens. C’est d’ailleurs à ce titre qu’Anne Alessandri, fondatrice du FRAC Corse, les avait invités à exposer à Corte. C’est leur double qualité d’artistes qui imprègne et caractérise leur dernier long-métrage, leur maîtrise de deux différentes disciplines donne une tonalité et une esthétique si particulière à « Memory box ». Le film est un mélange de documentaire et de fiction. Documentaire parce qu’à travers des photos, des planches contact, des cassettes, des cahiers, des lettres échangées entre deux adolescentes de 1982 à 1988, l’une restée au Liban, l’autre exilée, on revit la guerre civile qui déchira ce pays méditerranéen. Grâce à un extraordinaire travail sur tout ce matériel d’époque réalisé par les deux cinéastes ce morceau d’histoire nous est restitué, non du côté de la geste collective, mais du côté de deux jeunes filles qui quittent leur chrysalide d’enfants pour devenir femmes, au milieu du tout et n’importe quoi d’affrontements communautaires, qui se soldent par des torrents de larmes et de sang, par l’horreur qu’il faut subir sans toutefois avoir l’âme brisée.

Le film est également une fiction contant le vécu d’une grand-mère, d’une mère, d’une fille, transplantées du Liban dans l’hiver canadien, en une veille de Noël qui ne ressemblera à aucun autre… « Memory box » aborde la difficulté de la transmission intergénérationnelle. Longtemps comme beaucoup de victimes de conflits, d’incarcération dans des camps de concentration Maïa, la mère, qui a connu la tragédie libanaise, est une parfaite mutique, refusant toute information à sa fille, Alex. Maïa, cloîtrée dans le silence et Alex qui veut savoir ce qui lui est caché. Alors en ce 24 décembre survient un petit miracle avec la réception d’un colis dont le contenu va permettre à Alex de connaitre ce qui s’est passé des années plus tôt dans le pays d’origine de ses parents.

« Memory box », c’est des moments de vie hier à Beyrouth, au présent à Montréal. C’est un récit rassemblant des instants de douleur mais encore de bonheur. Douleur de la mort d’un frère tué dans un attentat et du suicide d’un père qui n’en peut plus de chagrin. Bonheur d’un premier amour arraché à la guerre. C’est la difficulté de faire ressentir une tristesse incommensurable et la légèreté invraisemblable d’être envers et malgré tout.

Le film révèle une merveilleuse actrice, Manal Issa, qui incarne Maïa, ado, une comédienne qu’on peut retrouver dans « Face à la mer » d’Ely Dagher, qui vient de sortir en salle. Rim Turki joue Maïa adulte et Paloma Vauthier est une Alex rongée par la curiosité de découvrir ce qui est arrivé à sa mère. Une curiosité qui va finalement permettre à Maïa de de renouer avec la part d’elle-même qu’elle avait enfoui dans les secrets de l’oubli.

« Memory box » n’énonce aucun jugement car au bout du bout de la tragédie demeure l’humain… Un film majeur.

Cinq cinéastes au féminin


L’un des débats phare de Cine Donne s’est penché sur l’expérience de cinq femmes qui ont choisi d’être derrière la caméra afin de maîtriser de A à Z leurs projets cinématographiques. En ouverture de la discussion un documentaire de Julie Allione, « Genre quoi : on ne se mélange pas », sur le thème de l’impossible mixité dans la jeunesse corse. En miroir des réflexions au masculin et au féminin amenant un constat peu réjouissant de vécus séparés, reflet d’une société, non pas vraiment figée, mais coincée, où sévit une assignation déterminée selon le sexe. Une sorte d’apartheid allant à l’encontre d’une évolution bénéfique à tous.

Sur la scène de l’Alb’Oru réunies pour échanger : Camille de Casabianca, Delphine Leoni, Julie Allione, Marie Jeanne Tomasi, Julie Perreard. Des parcours, des âges, des acquis, des appréhensions de la situation faite aux femmes dans le milieu du cinéma divers que ce soit ici ou dans l’hexagone. En bref des réactions souvent nuancées même si toutes sont convaincues que l’égalité ne sera une réalité que dans un avenir lointain… ou proche si les femmes tiennent bon !

Camille de Casabianca est l’auteur de onze longs métrages de fiction et de documentaire. A ses débuts en 1986, être femme et avoir la prétention de réaliser, est si problématique qu’elle se sent opprimée tant la création est le domaine réservé aux hommes. Certes, on lui concède que le documentaire ne lui est pas inaccessible d’autant qu’il se budgétise à moindre frais ! Sa ténacité va néanmoins être concluante. Avec le recul de trente ans de carrière – on pourrait dire au front ! – elle estime que la période actuelle est bien plus positive, d’une part parce que la technique du cinéma s’est démocratisée en étant plus maniable et moins lourde, d’autre part parce que les femmes parviennent à mieux se faire écouter. Entendre. « Aujourd’hui on peut faire des films en restant soi », souligne-t-elle.

Marie Jeanne Tomasi est une grande ancienne du cinéma corse. D’emblée elle s’est signalée par un « Ava Basta » interprété par Agathe Luciani qui va faire date tant il restitue finement l’atmosphère confinée, étouffante de Sartène. Ensuite la cinéaste va poursuivre son chemin avec maints documentaires diffusés par France 3 Corse et avec des fictions moins nombreuses. Aux inégalités homme / femme elle avoue s’être peu intéressée, elle l’ancienne footballeuse, persuadée qu’être femme n’était pas un préjudice.

Delphine Leoni se veut journaliste et réalisatrice. Les différences de traitements entre hommes et femmes elle connait ! Mais elle remarque que les choses évoluent et souhaite que ces messieurs s’habituent de plus en plus à tenir compte des femmes talentueuses dans le métier. Elle signale que sur sa route les hommes l’ont fort peu encouragée. Elle salue l’apport du Collectif 50 /50 qui milite pour la parité au cinéma. En s’insurgeant contre les stéréotypes elle refuse l’ambiance régnant dans certains comités de sélection, qui, pour se refaire une virginité, en viennent à privilégier des sujets écrits par des femmes uniquement s’ils sont porteurs ! En résumé dans l’air du temps … Un peu d’interventionnisme serait, d’après elle, profitable. Un interventionnisme qui ne favoriserait pas systématiquement ce qui était rejeté auparavant.

Julie Perreard est monteuse et réalisatrice. A son actif de nombreux documentaires pour Via Stella, des fictions courtes et un court-métrage magnifique, « Marcu Maria », sur la résistance au Niolo en 1774. Un film historique d’une grande justesse et pétrie d’émotion. La question du genre ? Elle ne se l’est pas trop posée parce qu’elle s’est toujours sentie libre même si elle comprend qu’une déconstruction de l’image de la femme au cinéma lui parait nécessaire.

Julie Allione, ingénieure du son, réalisatrice, directrice de casting. Est-ce cette dernière activité qui la conduit surtout à se questionner sur la représentation de la femme au cinéma ? Sans doute, ainsi que sur celle de la couleur de la peau, de l’orientation sexuelle, de l’origine qui vire trop à la caricature et au cliché. D’où l’urgence, selon elle, d’en finir avec la misogynie et avec toutes les projections réductrices pesantes. D’où l’impératif de réinventer les choses, de revoir sa copie pour la déconstruire afin être vrai.

En point final du débat l’un des rares hommes de l’assistance a appelé les réalisatrices à renverser toutes les barrières du conformisme ambiant en étant libres ! De quoi être mortes de rire…

Michèle Acquaviva-Pache




« L’heure du départ » de Camille de Casabianca va être reprogrammer en juin au Studio de Bastia.
« Genre quoi » série de Julie Allione est disponible sur la plateforme Allindi.
« Ma famille afghane » de Michaela Pavlatova, génial film d’animation, est actuellement en salle.
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