• Le doyen de la presse Européenne

Spectacle << Furiani 30 anni >>

Des témoins, des questions

Spectacle, « Furiani 30 anni »
Des témoins, des questions


14 en scène pour le rappel de leur 5 mai 1992. Au théâtre de Bastia, puis sur Via Stella : des témoins à la barre. Un spectacle conçu et mis en scène par Alexandre Oppecini et mis en image par Paul Rognoni.




14 acteurs et actrices d’âges variés prêtant leur voix à autant de femmes et d’hommes qui ont souffert du même malheur, parce qu’ils ont été blessés lors de la catastrophe de Furiani, ou qu’ils ont perdu un des leurs, ou qu’ils ont, dans des conditions éprouvantes, fait tout ce qu’ils pouvaient pour porter secours à ceux qui étaient tombés de cette tribune moins solide qu’un mécano de gosse.

On avait promis, juré que la construction métallique serait tout autant sûre que celle érigée à Albertville pour les Jeux Olympiques d’hiver, cette même année 1992 ! Hélas… Un par un sur la scène bastiaise ils évoquent l’ambiance de folie de l’avant match, la joie et de la fierté de voir le petit Poucet, Sporting, affronter le monstre, OM. Ils rapportent les « bandere » claquant dans l’air, les « holà ! » du diable, les trépignements de pieds cadencés… La chute…

Séquence après séquence on entend cette jeunette d’alors raconter être dans un flou total avec une sensation de flotter au-dessus de son corps. Ce supporter coincé sous un amas de ferrailles percevant des flots de sang répandus autour de lui et une horrible odeur de mort. Cette adolescence qu’on doit sonder au milieu de l’affolement général et du tohu-bohu afin de préserver ses organes et qui éprouve ce geste médical comme un viol. Cette jeune maman qui cherche désespérément le père de ses deux fillettes, finit par le retrouver à… Marseille, fait retour sur Bastia parce qu’il lui faut penser à ses deux petites et qui à peine rentrée doit repartir d’urgence dans l’hôpital marseillais, où est son mari, pour être fracassée par la mort de l’homme qu’elle aime.

De drames en tragédies le Collectif des victimes du 5 mai se constitue. Ses revendications : une vraie justice, de véritables indemnisations, la création d’un centre de réadaptation en Corse, la construction d’un stade digne de ce nom et d’un centre de formation footballistique. Le procès qui va suivre est loin d’être à la hauteur, limitant sa sentence à un bouc émissaire. Par-dessus le marché le panorama de la lutte nationaliste s’ensanglante en un engrenage infernal.

La mairie de Bastia et la CDC ont bien fait de soutenir la création de « Furiani 30 anni » et Via Stella a rempli son rôle de service public en diffusant ce spectacle qu’on souhaite programmer sur d’autres chaînes de tv et qu’on espère être mis au plus vite en « replay » sur France 3 Corse !

Tant mieux si la période électorale ancre dans l’esprit de tous les représentants du peuple – élus de base, régionaux, députés, président – que leurs mandats s’accompagnent de lourdes responsabilités.




ENTRETIEN AVEC ALEXANDRE OPPECINI

Quel âge aviez-vous lors de la catastrophe de Furiani ?

J’avais 9 ans. J’étais devant la TV quand la tribune s’est écroulée. Ma mère était très inquiète car mon frère aîné était allé au stade. Elle est partie aussitôt et ne l’a retrouvé qu’à une heure du matin lorsque les blessés ont été sortis des décombres. Il était indemne ! Dans le spectacle, « Furiani 30 anni » son témoignage est porté par Roselyne de Nobili. Mon petit frère et moi on attendait complètement stressés…


Qui a eu l’idée du spectacle ?

C’est parti d’une discussion avec Joseph Agostini, cousin germain de Pierrot Guidicelli, mort à Furiani. Il m’a dit que ce serait bien de faire une pièce sur la catastrophe. Peu à peu l’idée de témoignages réunis dans une forme de théâtre documentaire m’est venu. J’ai lancé un appel dans la presse et sur le net à ceux qui avaient été touchés par la tragédie. En un an j’ai recueilli une centaine de témoignages, à travers eux c’était une véritable histoire de la Corse de l’époque qui se dressait : sous-développement de l’île, conséquences de la colonisation, débuts des années de plomb qu’on allait subir.


Sur quelle base avez-vous sélectionné les témoignages ?

En parallèle du casting des acteurs on a rassemblé plusieurs points de vue au sujet du 5 mai : ceux qui n’avaient connu que la joie de l’avant-match, ceux de blessés, ceux de familles ayant eu un parent tué, ceux de sauveteurs … Je voulais que les témoignages soient en résonnance avec les acteurs qui allaient jouer. Dans les témoignages retenus j’ai recherché la diversité.


Fallait-il qu’il y ait ressemblance entre témoins et acteurs ?

Quand les témoins ont rencontré leurs alter ego sur la scène, eux qui rapportaient leurs propos, ils ont ressenti des affinités. Car malgré des différences d’âge, ils présentait des points communs.


Quels enseignements vos témoins ont-ils tiré du procès ?

Pour eux ce procès était de la mascarade masquant des liens sombres et ambigus entre l’Etat et certains nationalistes sur fond de politique et d’affairisme. « Furiani 30 anni » pose des questions toujours irrésolues dont je ne pouvais inventer les réponses. Ce procès avec le recul est révélateur du mode de penser d’alors : on occulte, on ne se contente que de minuscules bouts de vérité avec au résultat des victimes condamnées à vie au malheur. Au procès 13 personnes auraient dû être présentes. Jean François Filippi, président du club au moment des faits, disposait sûrement de clés pour comprendre… Il a été assassiné… Dans l’euphorie d’avant match on s’est cru indestructibles…


Les témoins évoquent l’existence d’une caisse noire du club dont on a beaucoup parlé à l’époque. Qu’en est-il ?

Il n’y a eu aucune instruction judiciaire à ce sujet ni en ce qui concerne une double comptabilité du club. Tout est resté dans le flou et l’inconscience s’est cumulée à la bêtise et à l’incompétence. Ainsi pourquoi la commission de sécurité n’est-elle passée qu’enfin d’après-midi pour vérifier la conformité de la tribune montée à la hâte alors qu’elle était pleine de monde depuis 16 heures. Ainsi pourquoi le préfet ne s’est-il pas déplacé en personne avec la commission de sécurité, se déchargeant sur un adjoint.


Dans l’histoire du foot français quelle étape marque la catastrophe de Furiani ?

C’est le début du foot fric mais également le commencement de l’envolée de la bourse, et sur l’île de l’augmentation du chômage et des difficultés du quotidien pour les Corses… Le fric est à intégrer dans la zone obscure qui entoure la catastrophe.


Quel a été l’écho rencontré par le Collectif du 5 mai à ses débuts ?

Il faut souligner les difficultés qu’ont eu les familles à savoir où les blessés étaient transférés à cause d’un manque criant d’informations, à cela s’est ajouté le manque de cellule psychologique, le manque de soutien face aux assurances. Le Collectif s’est alors senti très isolé, d’autant que le club avait réuni un comité de soutien.


Une catastrophe semblable à celle de mai 1992 serait-elle possible aujourd’hui ?

Au niveau administratif et technique il y a maintenant des procédures qui existent ! Par exemple le tribunal administratif serait saisi ce qui n’a pas été le cas. Reste la part sombre des choses : l’autoprotection que s’est érigée l’Etats, la disparition de la caisse noire, les assassinats de nationalistes qui ont suivi…


La grande victoire du Collectif ?

La sacralisation du 5 mai avec son bannissement des matchs ce jour-là pour rappeler que le foot ce n’est pas du fric mais des valeurs !


L’accueil réservé à votre pièce à votre pièce, « T-Rex » au Lucernaire de Paris ?

« T-Rex » a eu un bon accueil et de belles surprises sont en préparation.

Propos recueillis par M.A-P





Partager :