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Liban : Le système confessionnel à la peau dure

Un statu quo
Liban : le système confessionnel à la peau dure

La peur du chaos et celle de réveiller la guerre civile, ainsi que la crainte que soient remis en cause des intérêts communautaires ou particuliers, contribuent fortement au statut quo.


A l’issue des élections législatives du 15 mai dernier - les premières après les manifestations de La Thaoura (La révolte) qui, en octobre 2019, réclamaient le départ des responsables des partis politiques traditionnels acquis au système confessionnel (voir encadré), tous accusés d’avoir plongé le pays dans l’impuissance de l’Etat et la crise économique et financière - rien n’a vraiment changé.
Treize opposants à ces partis, appartenant à la société civile, ont certes été élus. La coalition au pouvoir à dominante chrétienne et chiite comprenant le Hezbollah (force politique et militaire) a certes perdu la majorité absolue au Parlement du fait du recul subi par l’une des ses composantes (le parti chrétien Courant Patriotique Libre du président de la République Michel Aoun) au profit des Forces Libanaises (rassemblement de partis chrétiens opposés à Michel Aoun).
Mais les partis confessionnels ont plus que bien résisté (115 élus sur 128), et ce, pour plusieurs raisons. Le confessionnalisme contribue à figer le débat, les choix des électeurs et la répartition des sièges. Beaucoup d’électeurs restent attachés aux leaders traditionnels par esprit de clan, par conviction religieuse ou idéologique ou par clientélisme. Le découragement suscité par l’échec de La Thaoura et les difficultés du quotidien ont probablement incité de nombreux électeurs à bouder les urnes (taux d’abstention supérieur de 8 points à celui du précédent scrutin législatif). Enfin, dans les régions où le Hezbollah et Amal sont fortement implantés, plusieurs candidats ont vu leur campagne entravée par les miliciens des deux partis chiites.

Un danger et un risque


Les Forces Libanaises qui ont mené campagne en dénonçant l’action du Hezbollah sont devenues la première force chrétienne du pays. Cependant, comme l’a déploré le directeur du Département de sciences politiques de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, cette stratégie de campagne a compliqué la tâche de l’opposition réformiste : « Cette polarisation est venue occulter les débats sur la crise. Le scrutin s’est transformé en référendum pour ou contre le Hezbollah. »
Par ailleurs, cette polarisation est particulièrement dangereuse car elle a pour contexte la lutte d’influence entre deux pays qui se disputent la suprématie régionale. L’Iran soutient la coalition au pouvoir car le Hezbollah est de même obédience que les mollahs iraniens, représente une composante majeure de l’Axe de la résistance (pays et organisations combattant Israël) et se bat aux côtés du régime syrien, allié de Téhéran.
L’Arabie saoudite soutient Les Forces libanaises et la population sunnite qui sont farouchement opposées à la Syrie et favorables, tout comme le fait actuellement le pouvoir saoudien, à normaliser les relations avec Israël. Un influent député du Hezbollah a d’ailleurs récemment mis en garde Les Forces Libanaises : « Faites attention à votre discours, à votre comportement et à l’avenir de votre pays. Nous vous acceptons en tant qu’adversaires au Parlement mais pas en tant que boucliers protégeant les Israéliens. »
Au danger que représente la polarisation, s’ajoute le risque de l’instabilité politique qu’a dernièrement souligné le Directeur de la Sûreté générale libanaise : « Les résultats de cette élection pourraient provoquer un désastre puisque nous avons de grands blocs politiques avec des écarts croissants entre eux sur diverses questions et aucune majorité pour adopter des lois. »

Vers un nouveau compromis


Les députés libanais ont joué la stabilité en réélisant Nabih Berri, le leader d’Amal, à la présidence du Parlement. Cependant, rien n’est encore réglé. Avec une élection présidentielle devant avoir lieu dans les prochains mois, une période de querelles et de manœuvres politiciennes s’annonce. Gebran Bassil (majorité parlementaire) et Samir Geagea (Forces Libanaises) vont tout faire pour devenir président de la République et empêcher un autres de le devenir. Si leurs intrigues ne mènent à rien, la recherche d’un candidat de compromis s’imposera.
Le nom du commandant de l’armée, Joseph Aoun, est souvent avancé. Mais il n’est pas certain que le Hezbollah et Amal donnent leur aval car l’armée s’est opposée l’an passé à l’action de leurs miliciens.
Cependant, la crise financière et économique et la dégradation des conditions de vie (chute du cours de la monnaie, absence d’accord avec le Fonds Monétaire International, coupures d’électricité quotidiennes, eau rationnée dans plusieurs régions, explosion des prix des carburants), et le risque de colère populaire pouvant en découler, imposeront probablement un compromis aux partis traditionnels qui, avant tout, ont pour objectif de rester en place. Quant aux élus issus de la société civile, ils pourront au mieux jouer les rôle de médiateur ou d’arbitre. S’ils ne sont pas éliminés, marginalisés ou récupérés par le système…



Le système confessionnel

La Constitution libanaise prévoit que les 18 communautés religieuses reconnues par l’État doivent être représentées équitablement au sein des principales instances politiques. Le Parlement monocaméral compte 128 députés (64 chrétiens et 64 musulmans). Trois communautés monopolisent les plus importants mandats politiques : Chrétiens maronites (présidence de la République), Musulmans sunnites (Premier ministre), Musulmans chiites (présidence de la Chambre des députés). Ce système confessionnel qui induit un immobilisme politique est jugé, par de plus en plus de Libanais, comme la cause majeure du népotisme, de la corruption et des tensions communautaires qui divisent et gangrènent la société et rendent l’Etat faible et inefficace. Mais la peur du chaos et celle de réveiller la guerre civile qui a duré 15 ans, ainsi que la crainte que soient remis en cause des intérêts communautaires ou particuliers, contribuent fortement au statut quo.



Alexandra Sereni








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