• Le doyen de la presse Européenne

Le lion, la colombe et l'enfant

<< Le lion de la place des palmiers >>, le dernier ouvrage de la coteuse Francette Orsoni
Le lion, la colombe et l’enfant
« Le lion de la place des palmiers », le dernier ouvrage en date de la conteuse, Francette Orsoni, est un régal. Un conte profond et léger, souriant et puissant. Une lecture pour tous, grands et petits. A lire et écouter en corse et en français.



Le lion de l’histoire porte une crinière, véritable couronne de palmes ! Il a une bonne bouille ce lion à la fois pensive, interrogative, comique. Dès les premières pages on voit que ce lion n’a rien de banal, non parce qu’il est taillé dans la pierre et couché aux pieds de la statue de Napoléon sur la place des palmiers à Ajaccio, mais parce qu’il aime l’échange, le dialogue, surtout avec une colombe. Rieur ou méditatif il est avant tout rêveur. Le regard tourné vers la mer il a tendance à cultiver la nostalgie de son Afrique natale. Heureusement, la colombe est là, sautillant sur une de ses pattes afin d’atténuer ce quelque chose de mélancolique qui l’habite. La colombe est plus qu’un simple ramier puisque c’est elle qui va tisser le lien entre le lion et son lieu d’exil.

La colombe, comme l’enfant assis sur un banc de la place, va être à la source de rêves qui aident à cicatriser les blessures d’âme du lion et à l’enraciner dans cette terre étrangère en devenant plus qu’une terre d’adoption… sa terre mère. La colombe sait sacrément bien raconter son périple aérien qui la conduit, au mauvais temps, par des « chemins invisibles » sur la côte africaine. Elle est capable d’adapter le vrai à ce que peut entendre son ami léonin sans être blessé. Mais la tricherie à la fin lui coûte et un beau jour elle lui dit : « Amicu, u to paesi hè quì… ». Elle va aussi lui avouer qu’elle ne migre plus car les hivers corses sont désormais si doux qu’elle n’a plus besoin de changer de continent.

Par son pouvoir de suggestion l’ouvrage à une portée philosophique qui incite à réfléchir à notre temps présent aux prises avec le bouleversement du climat et avec son lot de réfugiés fuyant la sécheresse qui s’ajoute au nombre de ceux chassés de leurs pays par les guerres et les famines.

Les images de Francette Orsoni sont douceur. Tendresse. Elle distille à l’occasion un brin d’humour. Paysage urbain ou marin elles dessinent un décor subtil qui suggère sans asséner. Le texte est poésie. L’album se déguste avec les yeux, avec les oreilles grâce à un QRcode.


De Francette Orsoni on retrouve toujours avec délice « Basgiu basgiu – Le petit dragon corse », les aventures de Fighidigna, « La légende du brocciu », « Contes et légendes de Corse » pour ne citer que quelques livres.


ENTRTIEN AVEC FRANCETTE ORSONI

Ce conte avec pour protagoniste un lion de la place des palmiers d’Ajaccio, comment vous est venue cette idée ?
Un jour en prenant un café sur cette place, j’ai vu une colombe sur la patte d’un des lions. Ça m’a fait rêver. Le rapport était si surprenant ! Ce lion transplanté d’un pays lointain, comme les palmiers d’ailleurs et cet oiseau voilà que ce tableau s’est inscrit en moi. Ce lion avec le regard tourné vers la mer est resté longtemps pour moi au stade oral. Puis il a pris de l’épaisseur dans mon mental.


L’album est un livre audio en corse et en français. Vous êtes donc devenu une artiste du QRcode ?

C’est une nouveauté pour moi. Je n’avais jamais fait ça ! La réalisation des versions audio a été longue à boucler et a exigé beaucoup de travail de fignolage… Autre nouveauté, c’est mon premier conte urbain !


C’est vous-même qui à l’oral racontez l’histoire. Qu’apporte de plus la parole au texte ?

Mon métier c’est d’être conteuse. En l’occurrence la parole est importante pour bien saisir les nuances du corse… Quand l’écriture passe par l’expérimentation orale – comme c’est mon cas – l’écoute est capitale… L’art du conte implique une écriture pleine de fluidité et attachée à faire ressentir des couleurs qui sont dans les tons doux pour « U lionu di a piazza d i palmi ».


Sous une forme simple et poétique vous abordez des thèmes graves. Quels sont-ils ?

Le récit est en effet complexe et à plusieurs niveaux… Mais l’imaginaire est toujours complexe ! Le conte parle d’exil avec ce lion transplanté à Ajaccio, lion qui a besoin de connaitre son histoire. Autres thèmes : l’amitié qui lie le lion et la colombe ; la fraternité qui existe entre les oiseaux migrateurs, telles les oies sauvages qui soutiennent les plus faibles d’entre elles ; le changement du climat puisque la colombe n’a plus à migrer en Afrique ; la capacité de l’enfant à rêver, à inventer.


Le livre s’ouvre sur des vignettes où le lion exprime divers sentiments et se referme sur des vignettes où sont croqués les autres personnages du conte. Pour quelles raisons ?

Les vignettes du début montrent les différentes facettes du lion : force, voyage, rêve et son côté sauvage. Elles renvoient aussi au signe astrologique solaire du Lion et à la représentation symbolique de l’évangéliste, Marc. A la fin les images sont une manière d’invitation lancée au lecteur ou à l’auditeur de refaire l’histoire comme il le souhaite…


Dans un premier temps la colombe arrange la vérité pour ne pas chagriner le lion. Tricher, est-ce une option valable ?

La colombe veut ménager le lion. Il est bien connu que tout le monde déforme plus ou moins la vérité. Mais y-a-t-il une vérité ? Une seule ? Lorsque l’oiseau estime son ami prêt à entendre la vérité, elle n’hésite plus…


Le pays de ses origines habite très fort les rêves du lion. Dans le pays où il est, doit-il s’en inventer d’autres
?
Absolument, car il doit être ouvert sur d’autres histoires. C’est ainsi qu’il parviendra à être heureux, serein selon les moments. Le lion évolue parce que la colombe l’a aidé à élargi son imaginaire et l’espace de ses rêves.


L’amitié entre le lion et la colombe c’est tout un symbole ?

La colombe symbolise la paix, le lion la force, l’agressivité. Est-il possible de surmonter ces contradictions ? Je le pense, en cohabitant et en traçant de nouvelles voies qui relient tous les endroits du monde. Des voies qui deviendront des ponts entre les gens.


J’ai trouvé qu’il y a de l’humour dans votre livre et que cet humour permet d’établir un lien très fort entre les cultures. Je
me trompe ?
Je n’emploierais pas le mot, humour. Je dirais que le conte est tout le contraire de triste, qu’il est sourire. S’il y a de l’humour c’est du côté des oiseaux qu’il faut chercher, pas du côté du lion !


Quand on regarde les dessins de cet album, on est loin des vos ouvrages précédents, au plan graphique. Je citerai par exemple « Basgiu basgiu » ou les Fighidigna. Comment appréhender cette évolution ?
Elle est le résultat de techniques différentes. Pour cet album j’ai employé l’aquarelle afin d’obtenir plus de légèreté. Pour les Fighidigna, au propos plus incisif et en raison de leur ancrage dans la Corse de l’intérieur j’ai utilisé le tracé à l’encre. J’ai estimé que dans « Le lion de la place des palmiers » l’aquarelle était plus propice à renvoyer au rêve et à l’ambiance de la Méditerranée.


Vous avez publié des livres illustrés par d’autres. Là, vous maîtrisez le dessin et le texte. C’est beaucoup plus gratifiant ?

Quand un éditeur parisien fait appel à moi, il ne s’encombre pas de mon univers personnel. Il va me proposer de choisir parmi trois dessinateurs. Si je les refuse tous, le livre ne se fait pas. Il arrive que tout se passe bien, par exemple avec « Nino et la mère des vents » où l’accord a été total avec l’illustratrice. Cet album vient d’être réédité en volume souple…

Propos recueillis par M.A-P




Partager :