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Les Musicales de Bastia

Hommage à Django Reinhardt

MUSICALES DE BASTIA HOMMAGE À DJANGO


Quelle belle idée que cet hommage à Django Reinhardt aux Musicales de Bastia. Pour cette fête dédiée au « héros du peuple tsigane » le Trio Jean Jacques Gristi s’en est donné à cœur joie tant les sonorités du jazz manouche restent toujours lumineuses même voilées de mélancolie.



Django c’est la musique faite homme. Si Jean Jacques Gristi, né en 1961, ne l’a pas connu directement puisque le père du jazz manouche est mort en 1953, il a été l’ami de son fils, Babik – prénommé aussi Jean Jacques ! En quoi Django est-il unique ? La réponse de Gristi fuse : il a l’art de ne jamais se répéter, il a un potentiel de créativité incroyable. C’est l’évidence même quand on écoute ses albums. Brûlé à la main gauche il a dû s’inventer une méthode de travail bien à lui, en particulier en développant un jeu latéral. Très brillant intellectuellement il a habitué son cerveau à pallier, à compenser, à surpasser son infirmité.

Personnalité à part, Django ne goûtait guère les contraintes et ne jouait sur scène que s’il en avait envie ! S’il lui prenait la fantaisie de peindre ou d’aller à la pêche à la mouche, il s’y adonnait ignorant rendez-vous et contrats. En France, en Europe on lui pardonnait ses écarts, sa fantaisie… qui perturbaient souvent son entourage. Mais tous reconnaissaient qu’il était la bonté incarnée et une belle personne que la nature et la poésie magnifiaient. Pour lui la vie devait être plaisir d’être au monde et non additions d’obligations.

« La musique de Django c’est une émotion qui touche au sacré et qui vous transperce », souligne Jean Jacques Gristi pour qui le maître a changé sa vocation première. De Babik, le jazzman corse tient des anecdotes révélatrices comme celle-ci : Pendant l’Occupation Django Reinhardt est arrêté par la Gestapo. Et d’hurler de rire pendant son interrogatoire. Par la grâce ou plutôt la malice des rayons de soleil il voit le portrait d’Hitler, placé face à lui, s’animer. Et voilà que les lèvres du führer se mettent à bouger à n’en plus finir comme s’il parlait. Et Django de rire à plus soif à la stupéfaction des gestapistes. Relâché il compose « Ungaria », un morceau d’une sensibilité extrême. Au crédit de l’inventeur du jazz manouche on doit la mise en avant de la guitare et là encore il est un novateur.

Incapable de se couler dans le moule américain Django sera déçu de sa tournée aux Etats-Unis. Mais peu importe au « héros du peuple tsigane ».
En sintikès, sa langue d’origine, Django veut dire « Celui qui réveille »… Cette image le Trio Jean Jacques Gristi l’a parfaitement illustrée en nous offrant un fort beau concert.


Django Reinhardt est né en 1910 en Belgique et mort en France en 1953. Premier album en 1928 alors que sa main est mutilée. En 1934 il fonde le Hot Club de France qui verra ses plus grands succès.



                                            ENTRETIEN AVEC JEAN JACQUES GRISTI


Qu’est-ce qui a suscité en vous le goût de la musique et de la guitare ?

Dans ma famille tout le monde était musicien. Mon père était ténor à l’opéra. Ma mère avait trois frères : Gérard et Marc, guitaristes, Jean Pierre, mandoliniste. Elle aimait tellement les écouter jouer que, lorsqu’ils venaient à la maison pour faire de la musique, elle ne toérait aucun bruit ! C’est mon oncle Gérard, qui a fait de moi un musicien et m’a aidé à me mettre à la guitare vers 4 – 5 ans.


Quand et comment avez-vous découvert le jazz manouche ?

Un jour, je pouvais avoir 9 ou 10 ans, je suis entré dans un magasin de disques avec mon oncle Gérard. Là j’ai été fasciné par une pochette de 33 tours, « Les yeux noirs », un enregistrement de Django Reinhardt. A la première écoute j’ai éprouvé une déception. Puis je l’ai ré-écouter plusieurs fois et j’ai été conquis alors que je ne connaissais rien de l’artiste. Mes oncles, eux jouaient de préférence des standards corses. Un ou deux ans après j’ai découvert un disque de Bousquet, guitariste gitan de Catalogne… J’ai été foudroyé tant c’était admirable à tous les points de vue. Progressivement j’ai été happé par le jazz manouche. Mais à 12 ans j’ai eu un terrible accident.


Comme Django vous avez été blessé à la main et au poignet. Son exemple – lui qui avait souffert de blessures identiques – vous a-t-il donné la force de vous battre ?

Bien sûr ! quel bel encouragement ! Son exemple était une porte ouverte sur le réconfort. En tout j’ai subi sept opérations à la main. J’étais défiguré. J’avais honte de sortir. C’était un vrai cauchemar et mon état de santé était très compliqué. Peu à peu ça s’est amélioré. La musique et la rencontre de belles personnes m’ont été très bénéfiques. Encore maintenant je garde la même cicatrice que Django et ça m’impressionne toujours ! Je n’ai rejoué de la guitare qu’à 15 ans.


A quelle occasion avez-vous rencontré Babik, le fils de Django, lui aussi trop tôt disparu ?

C’était à Juan-Les-Pnsi, j’avais une petite affaire sur une plage au moment du festival de jazz. J’y suis allé. Bireli Lagrene discutait avec deux gars. Je leur ai dit que je leur offrais le champagne s’ils venaient me voir. Deux ans après un immense gaillard, arborant des fleurs multicolores de la casquette aux sandales arrive et me rappelle ma proposition : c’était Babik. On est vite devenu amis. C’était l’une des personnes qui bavardait avec Bireli. Il m’a beaucoup parlé de son père et confié combien il lui manquait quand il partait en tournée. Mais il était tellement fier et heureux d’être son fils… Babik était une merveille de générosité.


Trio, quartet, quintet vous avez créé plusieurs formations, avec qui ?

La première formation je l’ai créé avec mon cousin, Dominique Carotento, guitariste et Paul AÏuti, bassiste pour enregistrer un premier album. Pour le suivant j’ai fait appel à Marius Apostol et à Jean Marc Jafet, contrebassiste. C’est avec ces musiciens qu’a été constitué le Hot Club de Corse. Un album me tient particulièrement à cœur, celui en hommage à Bousquet, le guitariste gitan de Catalogne d’autant plus qu’il a été élu enregistrement de l’année par la Django Station.


Quels sont vos instruments préférés qu’ils vous aient fait un bout de route musicale ou non ?

J’adore la trompette alors que j’ai très peu joué avec des trompettistes. J’ai beaucoup d’affection pour le violon et j’ai eu la chance d’être aux côtés du violoniste, Florin Niculescu, invité aux Musicales pour un hommage à Stéphane Grappelli. J’ai également eu l’opportunité d’interpréter des morceaux de classique avec Gilles Apap, mais ce genre de répertoire se prête peu à l’improvisation ce qui limite le champ de l’interprète. J’ai une grande tendresse pour la contrebasse…


Quel est l’avenir du jazz manouche ? Suscite-t-il toujours beaucoup de vocations ?

Django est un véritable monument qui va nourrir notre inspiration pendant longtemps. Il est l’auteur d’un style très riche, très fécond. Il est le seul jazzman à avoir un festival à son nom. Ici, il attire nombre de jeunes quant bien même le jazz manouche est difficile à jouer. En Corse il y a une relève intelligente, bienveillante, pleine d’humilité et de puissance créatrice. Il n’est qu’à penser à Fanou Torracinta et à Arnaud Giacomoni.

Propos recueillis par M.A-P




Sur la scène du théâtre de Bastia Jean Jacques Gristi était entouré de son neveu, Frédéric André à la guitare d’accompagnement et de François Jandolo à la contrebasse.
Le trio a, entre autres, interprété « Minor swing », « Nuage », « Djangologie », « Saint Louis Blues », « Ungaria ».
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