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FLNC: dernier avertissement ou dernier tour de piste ?

L'organisation clandestine a, en revendiquant une quinzaine d'attentats , fait planer la menace d'une reprise de l'action clandestine. Mais en a-t-elle vraiment les moyens?

FLNC : dernier avertissement ou dernier tour de piste ?

L’organisation clandestine a, en revendiquant une quinzaine d’attentats, fait planer la menace d’une reprise de l’action clandestine. Mais en a-t-elle vraiment les moyens ?



Une précision préliminaire s’impose. Quelle que soit l’analyse que l’on fasse du récent communiqué du FLNC, et aussi critique soit-elle, on ne peut que faire siens ces quelques mots que Jean-Guy Talamoni a publié sur les réseaux sociaux : « Sur Twitter et FB, aux terrasses des cafés, certains arbitres des élégances militaires critiquent les revendications du Front. Rappelons que les militants qui ont réalisé ces actions risquent la prison pour l'idée qu'ils se font de la Corse. À ce titre, ils méritent respect et solidarité. » Cela étant écrit, il est possible d’aller objectivement et sereinement au fond des choses.

Un retour attendu

Le communiqué du FLNC n’a surpris personne ou presque. L’étonnant eût-été que l’organisation clandestine ne se manifestât pas. Plusieurs éléments d’appréciation permettaient de subodorer que cela se ferait. D’abord, depuis qu’ils ont annoncé la suspension de leurs actions militaires, le FLNC-Union des Combattants et le FLNC-22 octobre dont aujourd’hui la plupart des militants s’expriment ensemble sous la seule appellation FLNC, sont sortis de leur réserve quand ils le jugeaient utile. Aussi, il eût été surprenant qu’ils fassent l’impasse sur le processus Darmanin censé dessiner les contours d’une importante avancée institutionnelle. Ensuite, depuis que Corsica Libera a été mis à l’écart par Femu a Corsica et privé d’une présence forte au sein de l’Assemblée de Corse faute de quelques dizaines de voix qui lui auraient permis de participer au second tour des dernières élections territoriales et de disposer d’au moins trois élus, une importante partie de la mouvance indépendantiste et plus globalement tous les nationalistes qui contestent la politique de Gilles Simeoni et ses partisans, ressentent le besoin d’une voix forte pour exprimer leurs idées et/ou leurs critiques. D’autant que Core in Fronte qui avait le temps de la dernière campagne électorale su le mieux incarner l’option indépendantiste et la fonction tribunitienne, semble se ranger aux côtés de la majorité territoriale siméoniste au nom d’un réalisme consistant, alors que va débuter le processus Darmanin, à ne pas vouloir diviser ce que Paul-Félix Benedetti et ses partisans appellent le « camp patriotique ». Enfin, les échecs ou les impuissances désormais avérés des élus nationalistes aux responsabilités à la Collectivité de Corse depuis décembre 2015, aussi bien dans la gestion de la plupart des grands dossiers que dans les rapports de force avec l’État, ne pouvaient que conduire les clandestins à émettre un énergique rappel à l’ordre.

Qu’est-il exprimé ?

Le communiqué du FLNC donne lieu d’une part à un constat, d’autre part à un essai de proposer une démarche ambitieuse dans le cadre du processus Darmanin. Le constat a certes été exprimé selon un mode très incisif. Mais il n’apprend pas grand-chose. En effet, il y est évoqué des perspectives préoccupantes et des griefs à l’encontre de la majorité territoriale siméoniste qui sont, somme toute, bien connus. Ainsi, il est mis en exergue un contexte défavorable dont chacune et chacun d’entre nous ne peut qu’avoir conscience : « L’environnement politique national mais aussi français et international n’augure pas la possibilité proche de notre sauvegarde en tant que peuple souverain ». Ainsi, à l’encontre de Gilles Simeoni et ses partisans, il est repris le grief devenu récurrent d’hégémonisme : « Les élections législatives françaises ont confirmé la volonté d’hégémonie de l’équipe actuelle en charge de la Collectivité de Corse » et il est ajouté deux griefs qui étaient jusqu’alors surtout relayés sur les réseaux sociaux ; à savoir l’ostracisme à l’encontre de militants qui critiquent la politique de la majorité territoriale : « Celles et ceux qui n’y adhèrent pas sont marginalisés » et la préférence donnée à des nationalistes de la 25ème heure : « Nous voyons l’émergence de personnes dans l’univers politique corse qui représentent parfaitement ce que nous avons appelé dans une précédente communication le post-nationalisme ». Ainsi et enfin, les éléments censés démontrer le constat d’échec de sept années de gestion territoriale se réclamant du nationalisme, relèvent du réchauffé. En effet, beaucoup de nationalistes font état depuis longtemps de ce qui est dénoncé par les clandestins : 5000 arrivants par an, spéculation foncière galopante, bétonisation, jeunesse corse ne pouvant se loger, consommation croissante de stupéfiants, terre agricole introuvable ou hors de prix, entreprises locales soumises à une concurrence déloyale par des nouveaux arrivants, mainmise de grands groupes sur le secteur touristique, transport maritime et grande distribution dominés par le consortium.

Qu’est-il suggéré ?

Tout cela est exprimé noir sur blanc et conduit logiquement à l’énoncé clair d’un avis de décès : « Qu’en est-il aujourd’hui du peuple corse ? Il meurt ! Il disparaît ! » Cependant, au fil des phrases, il est aussi décelable du fortement suggéré. Ainsi, à la lecture de « Il faut absolument changer de paradigme. C’est ce qui est attendu de la gouvernance nationaliste », il apparaît que Gilles Simeoni et ses partisans sont sous la menace d’être un jour désignés comme des vassaux ou des complices de l’Etat français. Ainsi, il transparaît que le FLNC ne fonde que peu d’espoirs sur le processus Darmanin et ne cache qu’à moitié qu’il reproche à la majorité territoriale siméoniste ainsi qu’à d’autres nationalistes de faire prendre aux Corses des vessies pour des lanternes : « Certains s’extasient d’un moment historique, d’une situation ouverte vers un avenir radieux pour notre peuple. Il y a pour l’instant peu de place pour une réelle ambition de changement institutionnel. » Ainsi et enfin, il est implicitement mais très perceptiblement demandé que la clandestinité puisse, d’une façon ou d’une autre, être présente ou représentée à la table des négociations qui vont s’ouvrir dans le cadre du processus Darmanin : « Le Président de l’Exécutif de Corse doit sans attendre prendre la mesure de sa responsabilité et si, pour l’instant, il reste le chef désigné du rapport à la France, il faudra qu’il soit en capacité de fédérer pour construire la route vers l’autodétermination. »



Des exigences mais quelle marge manœuvre ?

Concernant la proposition d’une démarche ambitieuse dans le cadre du processus Darmanin, le communiqué du FLNC fait état d’un cadre revendicatif évoquant un retour aux sources. Il est d’abord souligné la nécessité que « les bases des négociations doivent, a minima, se placer à la hauteur des exigences historiques de la lutte de libération nationale ». Et, en ce sens, il est énoncé trois revendication similaires à celles qu’avaient fait connaître, en 1976, les fondateurs du FLNC : reconnaissance officielle du peuple corse ; mise en place d’une autonomie politique transitoire ; accession à l’autodétermination dans un délai de 5 ans avec définition du corps électoral. Ces revendications sont bien entendu inacceptables par l’Etat car elles représentent non pas une démarche vers l’autonomie dans la République mais, comme le disaient hier les opposants à toute évolution institutionnelle, un tobogan vers l’indépendance. Elles sont en outre de nature à compliquer la tâche des nationaliste qui souhaitent jouer la carte du processus Darmanin soit par conviction comme Gilles Simeoni et Femu a Corsica qui voient dans l’autonomie un aboutissement ; soit par pragmatisme comme Core in Fronte et u Partitu di a Nazione Corsa qui considèrent l’autonomie comme une étape vers l’autodétermination. En effet, alors que la composante la plus radicale de la base nationaliste ne manquera pas de se référer aux trois revendications susmentionnées pour juger insuffisantes d’éventuelle avancées institutionnelles permises par le processus Darmanin, les opposants hexagonaux ou insulaires à ces avancées ne manqueront pas de les brandir comme autant de chiffons rouges. Bien sûr, on peut s’interroger sur la capacité du FLNC de porter ces trois revendications. L’organisation clandestine a en partie répondu en revendiquant une quinzaine d’attentats ayant principalement visé des résidences secondaires de non-corses et des structures touristiques et en faisant ainsi planer la menace d’une reprise de l’action clandestine. Mais en a-t-elle vraiment les moyens ?

Plutôt le bulletin de vote que la cagoule

Le doute est permis. Certains observateurs l’ont d’ailleurs souligné en faisant remarquer que les actions revendiquées étaient essentiellement des incendies volontaires et que cela permettait de supposer que le FLNC ne disposait plus de la force de frappe d’autrefois. Cela peut être pris en considération. Mais le plus grand obstacle à une résurgence de l’action clandestine est sans doute le décalage qui semble s’être instauré entre ce moyen d’action et les évolutions de la famille nationaliste. Celle-ci semble désormais plébisciter davantage le bulletin de vote que la cagoule, même si les nombreuses violences ayant suivi l’assassinat d‘Ivan Colonna ont pu un temps conduire à penser le contraire. Cela a été confirmé par les résultats des élections législatives qui ont reconduit dans leur mandat trois députés nationalistes tous acquis à un abandon de la violence clandestine. Cela est lisible dans la réaction de Jean-Christophe Angelini pourtant opposant à la majorité territoriale siméoniste. Le maire de Portivechju et chef de file du Partitu di a Nazione Corsa en effet déclaré qu’il qualifierait de « recul et de régression tout retour de la violence politique et de la clandestinité sur la scène publique ». La marge de manœuvre du FLNC est donc étroite et il est permis de se demander si son communiqué de ces derniers jours relève du dernier avertissement ou du dernier tour de piste.



Pierre Corsi


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